À moins qu'il ne s'agisse du calme qui précède la tempête, la crise politique que l'on attendait suite au retrait de l'Istiqlal du gouvernement a tout d'une tempête dans un verre d'eau! Ce qui est sûr, c'est qu'elle n'a pas eu -jusque-là- l'effet escompté par Chabat et ses partisans, en tout cas pas sur l'action gouvernementale. Il est vrai que l'arbitrage royal attendu explique, dans une large mesure, cette tempérance des ardeurs au niveau de la majorité. Cependant, force est de reconnaître que sur ce coup, Abdelilah Benkirane a su manœuvrer intelligemment en ne faisant pas dans la surenchère politique avec son principal allié, d'autant plus qu'il a pu bénéficier du soutien naturel de son parti et des autres membres de la majorité, principalement le PPS. Mieux encore, l'action gouvernementale ne s'est en aucun cas trouvé paralysée, comme nous l'a confirmé le ministre de l'Economie et des finances, l'istiqlalien Nizar Baraka, qui a soutenu avec fermeté que «le gouvernement ne fait pas qu'expédier les affaires courantes». Ceci a également été confirmé par plusieurs ministres du cabinet Benkirane. Pour couper court à toutes les polémiques, le chef du gouvernement a tenu, à l'issue du dernier conseil de gouvernement, à rassurer son équipe: «le gouvernement continue à bénéficier de la confiance du roi». Dans les faits, rien ne témoigne d'une quelconque léthargie du côté de l'exécutif qui continue à vaquer à ses occupations officielles, prenant même le luxe de valider plusieurs importantes décisions comme la sortie à l'international ou la révision des procédures administratives en direction du secteur privé. Amplification des crises Alors, Benkirane serait-il imperturbable ? On serait tenté de l'affirmer s'il n'y avait pas une multiplication des crises pour le chef du gouvernement, qui continue malgré tout à faire bonne figure. Dernièrement, en plus de la crise économique et politique, Benkirane et son gouvernement ont dû faire face à la levée de bouclier de l'opposition et aux syndicats, qui entendent maintenir la pression sur le gouvernement. Pour ce dernier, la priorité du moment est accordée à la gestion de la situation économique du pays à travers la préparation des grandes réformes toujours en attente. Abdelilah Benkirane a maintenu que son gouvernement engagera les réformes structurelles socioéconomiques attendues, sans pour autant donner plus de visibilité sur leur agenda. Le ministre délégué au Budget, Azami Al Idrissi, a lui aussi, et en marge de l'emprunt international opéré avec succès par le Maroc, réaffirmé que ces réformes relèvent d'une nécessité pour la survie de l'économie nationale. C'est en tout cas ce que confirment toutes les analyses économiques, ce qui alimente les principales inquiétudes pour le Maroc au vu de la situation critique dans lesquels se trouvent les finances publiques et les comptes extérieurs du pays. En revanche, pour beaucoup d'experts, la situation politique actuelle ne plaide pas en faveur d'un début de ces réformes, qui nécessitent un minimum de consensus entre tous les acteurs politiques et socioéconomiques du pays. S'il y a donc un impact palpable de la crise qui secoue la majorité, c'est bien évidemment le fait d'avoir encore assombri la visibilité quant au lancement des réformes, ce qui risquerait d'engendrer quelques mauvaises surprises pour l'économie nationale, notamment au niveau des agences de notation internationales et des partenaires financiers traditionnels. Lors de la conférence tenue la semaine dernière à Marrakech, Nizar Baraka, qui revenait d'une tournée auprès d'investisseurs à Londres, a reconnu que la question de la crise politique a été évoquée par les interlocuteurs de la délégation marocaine. Cependant, a-t-il tenu à rassurer, le gouvernement a assuré que cela n'affecterait en aucun cas les engagements pris par le Maroc, surtout ceux concernant les réformes à long terme. Aujourd'hui, plus que la crise politique, Benkirane et son gouvernement semblent préoccupés par la gestion des affaires de l'Etat. Ce ne sont pas les crises qui manquent. Opposition parlementaire, l'effet Chabat ! C'est ce qu'on pourrait qualifier «d'effet Chabat» ! Depuis un certain temps, l'opposition parlementaire semble avoir retrouvé ses marques et multiplie les offensives à l'endroit du gouvernement. Au sein de la première Chambre comme au niveau des conseillers, les partis de l'opposition ne manquent aucune occasion pour fustiger l'action gouvernementale avec comme principal cible, le chef du gouvernement. Le point d'orgue a été atteint vendredi dernier lors de la séance mensuelle des questions orales. Les conseillers de l'opposition ont opté pour la politique de la chaise vide, un boycott qui n'a pas bouleversé outre mesure, le chef du gouvernement. Cette levée de boucliers de l'opposition contraste avec la position qu'elle affichait jusque-là au niveau de l'hémicycle. Il est vrai que l'épisode Chabat n'a pas manqué de bouleverser la carte politique du Parlement. Depuis que le leader de l'Istiqlal s'est adjugé la position «d'opposant en chef», le rôle de l'opposition s'est retrouvé quelque peu dénaturé. Il fallait qu'elle donne un peu de la voix pour se faire entendre. La tâche se trouve facilitée pour les partis les plus en vue de l'opposition dans sa configuration actuelle (RNI, PAM et USFP), avec le renfort de l'Istiqlal. Cependant, cette sorte d'alliance de circonstance risque de ne pas tenir à l'épreuve du temps et reste conditionnée par la suite des évènements. En cas de départ de l'Istiqlal du gouvernement, la donne politique risque de changer. C'est ce qui explique les raisons pour lesquelles les partis qui n'ont aucune chance de rejoindre la coalition gouvernementale, par principe, sont les plus virulents à l'égard du chef du gouvernement. Pour l'heure, Abdelilah Benkirane, privilégie la politique de la «sourde oreille», tout en laissant le soin aux députés et autres membres de son parti, notamment Abdellah Bouanou, de porter «la réponse du berger à la bergère». En tout cas, pour l'opposition, le réveil est presque tardif, l'Istiqlal ayant réussi ces derniers temps à monopoliser la contestation politique. L'Istiqlal, tempête dans un verre d'eau Le parti que dirige Hamid Chabat a bien réussi à cristalliser l'actualité politique depuis sa décision de se retirer du gouvernement sans pour autant parvenir à faire plier Benkirane et le PJD. Pour l'heure et en attendant l'arbitrage royal, Chabat multiplie les critiques virulentes à l'égard de son allié. Chaque semaine apporte son lot d'attaques de la part du leader de l'Istiqlal, sans pour autant faire réagir, ni le PJD, ni son chef. Il est vrai qu'en coulisses, les deux partis se livrent à des joutes verbales à travers notamment des messages à peine voilés. Cependant, jusque-là, les dirigeants de l'Istiqlal sont restés officiellement sur la position de principe déclinée depuis quelque temps : le retrait est une décision interne du parti. Il faut dire que depuis que la décision a été entérinée par le Conseil national, Hamid Chabat a vu ses marges de manœuvre se réduire comme peau de chagrin. La balle est désormais dans le camp de Benkirane, qui se trouve conforté par l'intervention du souverain. En maintenant son cabinet au complet et en veillant à ce que la dynamique gouvernementale ne pâtisse pas de la crise politique, Benkirane peut se targuer d'avoir réussi à faire passer un début de crise politique en un fait divers politique. Cela s'explique largement par le fait qu'au sein du PJD, l'Istiqlal commence à devenir «un allié véritablement encombrant», dont le parti peut se passer, surtout qu'il existe des alternatives crédibles pour combler le départ de l'Istiqlal. Il est vrai qu'au vu des dernières sorties médiatiques de Hamid Chabat, la rupture avec le PJD semble avoir presque atteint un point de non retour. La question qui reste en suspens, à présent, c'est que fera l'Istiqlal maintenant ? Quelle que soit l'issue de la crise, il va sans dire que Chabat a déjà raté son coup. Les deux issues les plus probables donnent Benkirane vainqueur, que l'Istiqlal reste au gouvernement ou au contraire qu'il décide de rejoindre l'opposition. Patronat, à couteaux tirés ! C'est le nouvel entrant dans la danse. Alors que jusque-là, le gouvernement et la CGEM continuaient à vivre leur lune de miel, la visite en début de semaine du Premier ministre turc, Reccep Tayyip Erdogan, est venue compliquer les relations entre les deux parties. Le patronat a tout simplement boycotté les rencontres B2B organisées en marge de la visite de la délégation turque, ce qui a fortement détérioré l'ambiance de l'accueil réservé à Erdogan par ses amis du PJD. Il est vrai que la CGEM a expliqué sa position par le fait qu'elle n'avait pas été associée à l'organisation de l'évènement. «Une erreur» comme l'a reconnu, par la suite, le chef du gouvernement qui s'en est, d'ailleurs excusé auprès des membres du patronat, assurant que cela ne se reproduirait plus. Cependant, cette faille qui a été entr'ouverte par la CGEM a servi de prétexte pour les opposants au chef du gouvernement de renouer avec leurs critiques. La position de la CGEM, aussi légitime soit-elle, ne nécessitait pourtant pas une réaction aussi radicale, au vu des enjeux économiques qui entourent la visite de la délégation turque, même si c'est une autre structure patronale, Amal Entreprise, qui est aux commandes. Cela est d'autant plus vrai que le gouvernement n'a pas cessé de multiplier «les cadeaux» à l'endroit du secteur privé, même si beaucoup de promesses faites dans le cadre du mécanisme de concertation commune gouvernement/CGEM n'ont pas été tenues. Le dernier acte en date a été la publication d'une série de mesures destinées à assouplir les tracasseries administratives pour les entreprises marocaines dans la gestion quotidienne de leurs activités. Il reste à savoir si l'impact de cet épisode se limitera à ce qu'il conviendrait alors de qualifier «d'incompréhension» ou s'il s'amplifiera davantage, surtout que cela réactualise le débat sur l'absence de concertation, sur les grandes décisions que valide le gouvernement, comme pour les coupes budgétaires. Ce qui est sûr, c'est que la bonne entente entre les deux parties s'en trouverait mieux à être consolidée dans l'optique des grandes réformes qui s'annoncent, mais également de la validation de plusieurs lois organiques, notamment sur les grèves ou pour la réforme de la seconde Chambre. En embuscade, en effet, les centrales syndicales se préparent, également, à rehausser leur pression sur le gouvernement par rapport à plusieurs points du dialogue social qui demeurent en suspens.