comment expliquer l'étrange silence des autorités marocaines à l'annonce de ce drame ? Le parti au gouvernement était occupé ce week-end par l'organisation de son congrès exceptionnel. Mais est-ce pour autant qu'aucune place dans les pensées de ses dirigeants n'ait pu être faite pour cette centaine de Marocains morts pour avoir voulu juste accéder à une vie honorable ? La dernière tragédie en mer survenue les 25 et 26 mai dernier au large des côtes libyennes choque doublement. Par le nombre des victimes – plus d'une centaine de morts – mais également par le silence assourdissant des officiels marocains alors même que la grande majorité des disparus serait, selon le témoignage des survivants, des Marocains. Cent noyés marocains et aucun des responsables de ce pays pour s'émouvoir ni communiquer autour de ce qui, si l'information est bien exacte, relèverait d'un drame national. Du fait de cette indifférence, dont on aimerait qu'on nous donne les raisons, les malheureux engloutis par les flots bleus connaissent une seconde mort, aussi cruelle et injuste que la première. La signature de l'accord entre Bruxelles et Ankara, en permettant le renvoi des migrants par les Turcs dans leur pays d'origine, ferme de manière drastique la route des Balkans. Le résultat ne s'est pas fait attendre avec une recrudescence des tentatives de rejoindre l'Europe à partir des côtes libyennes, entraînant une nouvelle série de naufrages. Celui survenu mercredi 25 mai compte, par le nombre de ses victimes, comme l'une des plus grandes tragédies en mer depuis le début de la crise des migrants. Le bateau qui a chaviré contenait environ 650 passagers à son départ de Libye dont «la majorité sont des Marocains», selon Flavio Di Giacomo de l'Organisation internationale pour les migrations. Une nationalité jusqu'alors très peu représentée parmi les candidats à l'immigration en Europe par voie libyenne a pris soin de préciser ce responsable de l'OMI. 562 migrants ont pu être secourus mais une centaine, restée prisonnière de la coque du bateau, a péri. Des Marocains pour l'essentiel. Aussi, la première question qui vient à l'esprit est celle des raisons qui conduisent aujourd'hui les Marocains à venir grossir les rangs des migrants clandestins, composés jusque-là essentiellement de Subsahariens et de réfugiés syriens et afghans. La réponse est évidente. Comme les autres travailleurs étrangers, les Marocains installés en Libye, parfois depuis de longues années, souffrent du chaos dans lequel le pays est plongé depuis maintenant quatre ans. Avec le délitement de l'économie libyenne, beaucoup ont perdu leur travail. Si certains, lors de la révolution qui a eu raison de Mouamar Kaddafi et de son régime, ont fait le choix d'un retour chez eux, d'autres sont restés de crainte de ne pas pouvoir se réinsérer professionnellement au Maroc. Mais l'insécurité qui perdure en Libye, avec la progression inquiétante de l'EI dans ce pays –on se rappelle l'effroi jeté en février 2015, après que la branche libyenne de Daesh eut revendiqué la décapitation de 21 travailleurs égyptiens de confession chrétienne– rend la vie infernale aux habitants. On peut comprendre dès lors que, dans l'impossibilité à la fois de rester en Libye et de retourner au Maroc, des Marocains viennent à leur tour prendre place, au péril de leur vie, dans ces embarcations de fortune qui, pour 1 000 euros par personne, font la traversée de la Méditerranée avec le risque, à chaque fois, de chavirer en haute mer. Le sort réservé ce 25 mai aux cent malheureux qui, à la vue d'un bateau de la Marine italienne, se crurent sauvés mais finirent avalés par les flots. Maintenant comment expliquer l'étrange silence des autorités marocaines à l'annonce de ce drame? Le parti au gouvernement était occupé ce week-end par l'organisation de son congrès exceptionnel. Mais est-ce pour autant qu'aucune place dans les pensées de ses dirigeants n'ait pu être faite pour cette centaine de Marocains morts pour avoir voulu juste accéder à une vie honorable ? Comment ne pas voir dans cet «oubli» le déni d'une réalité, celle qui fait que des hommes et des femmes sont prêts à mourir faute de pouvoir vivre décemment chez eux ? Cet «oubli», dans lequel on peut difficilement ne pas voir une forme de mépris, est aussi l'expression de la mauvaise conscience. La mauvaise conscience de n'avoir pas été capable d'offrir des alternatives à ces nationaux pour les inciter à rentrer chez eux plutôt que de rêver de ce miroir aux alouettes qu'est l'Europe. Ces hommes et ces femmes qui n'auront pas de sépulture auraient eu droit qu'on se recueille collectivement pour eux. Cent morts, ce n'est pas rien ! Mais il est vrai que leurs voix n'iront à personne lors des prochaines échéances électorales !