le lynchage survenu à Beni-Mellal a conduit ses victimes, attaquées sous leur toît par une dizaine de voisins, à se retrouver derrière les barreaux avec quatre mois de prison ferme alors que leurs agresseurs sortaient libres du tribunal avec une peine de deux mois avec sursis. A chaque carrefour, elle s'étale sous le regard, placardée sur les immenses panneaux d'affichage qui ont pris la place des arbres dans la ville. De prime abord, cette publicité pour eau minérale n'a rien d'agressif. Elle prétend tout au contraire véhiculer une image de quiétude et de pureté. Un personnage féminin y est mis en scène, le regard perdu dans le vague, en train de boire à la bouteille. Pas très recherchée comme idée, mais là n'est pas le propos. Celui-ci est ailleurs, dans la mise du modèle, une femme, jeune, catégorie sociale A/B, photographiée en gros plan avec ce signe vestimentaire : un voile sur la tête qui emprisonne la chevelure. Pas complètement, le haut du crâne étant laissé découvert pour plus de légèreté mais la manière dont le tissu est retenu sous le menton signe la nature du couvre-chef. Il s'agit d'un hijab. Pas d'une «derra» portée à la façon marocaine, mais d'un hijab. Un «hijab» soft, un hijab d'un bleu pétant qui se veut primesautier mais dont la connotation idéologique est entière. Pour vanter les mérites de l'une des principales eaux minérales nationales, l'annonceur a opté donc pour un modèle en hijab. Et pas en «derra». Il le fait parce qu'il estime que la cible à laquelle il s'adresse, soit une bonne part de la population, se reconnaîtra en ce type de femme. C'est ce qu'ont dû lui révéler ses études de marché. En cela, l'image produite est tout sauf anodine. La mue de la «derra» en hijab va au-delà de la simple expression d'une mode vestimentaire. Elle est le reflet d'un basculement idéologique, d'une transformation des mentalités au sein de la société marocaine. Une transformation qui peut apparaître sous les traits sereins d'une femme au regard tourné vers le ciel mais qui se présente aussi sous ceux, déformés, d'inquisiteurs haineux capables de défoncer la porte d'une maison pour battre jusqu'au sang ses habitants sous prétexte que ces derniers s'adonneraient au «péché». «Je ne comprends pas... Avant, dans le quartier où j'ai grandi, il y avait un vieux gars qu'on appelait El Hajd. Tout le monde savait ce qu'il était, il avait un copain attitré mais personne n'en prenait ombrage... alors là, aujourd'hui, aller agresser ces jeunes chez eux... c'est...». Ce sexagénaire, haut cadre dans une banque, en perd ses mots tant il est révulsé. Comme beaucoup, il est horrifié par le lynchage survenu à Béni-Mellal, lynchage qui a conduit ses victimes, attaquées sous leur toît par une dizaine de voisins, à se retrouver derrière les barreaux avec quatre mois de prison ferme alors que leurs agresseurs sortaient libres du tribunal avec une peine de deux mois avec sursis. Un scandale encore autour de l'homophobie et dont la résonance, une fois de plus, a dépassé les frontières avec des pétitions lancées sur internet pour exiger la libération des deux jeunes et une équipe de Canal + expulsée pour avoir voulu couvrir le sujet. Face à cette énième atteinte aux libertés individuelles, à ce énième déni flagrant de justice, de quoi faut-il le plus s'émouvoir ? De ces extrémistes qui s'arrogent le droit de venir exercer leur «justice» jusque dans votre chambre à coucher ou de cette «Justice» qui les couvre, et en les couvrant, leur délivre le feu vert pour agresser, violer les intimités et punir qui offense selon un esprit malade «la vertu» ? La gravité des faits a conduit, une fois n'est pas coutume, des formations politiques à sortir de leur passivité pour dénoncer ce scandale. L'ONG Bayt el Hikma a, pour sa part, appelé à la dépénalisation de l'homosexualité. Sur cette question comme sur celles des relations sexuelles hors mariage, l'obsolescence des textes reste une entrave à l'édification tant vantée de l'Etat de droit. Mais, vu les forces politiques en place, ce n'est pas demain la veille qu'on aura une évolution sur le sujet. Maintenant, le plus terrible dans cette histoire est ce qu'elle reflète de l'intolérance haineuse qui a pris corps dans la société, nourrie par le salafisme propagé d'abord par les Frères musulmans, véhiculé à présent par les djihadistes. Dans ce Maroc d'hier où les femmes portaient la «derra», il ne serait venu à l'esprit de personne de venir «pendre» l'homosexuel. Parce que les esprits n'étaient pas malades comme ils le sont aujourd'hui. Derrière le nœud joliment ourlé du hijab bleu vif de la pub affichée à travers la ville gît un cadavre : celui de l'esprit d'ouverture et de la tolérance.Hind