Aucun cas n'est (encore) recensé dans le pays. Les 200 espèces d'oiseaux migrateurs sont particulièrement surveillées. La population cible à protéger en premier lieu est de 5,5 millions de personnes. La psychose créée par la grippe aviaire n'a épargné aucun coin du globe. L'alerte est maintenue par l'OMS et la mobilisation est au niveau trois sur une échelle de six. Bref, la grippe aviaire mobilise la planète entière même si les cas de décès humains restent encore cantonnés en Asie du Sud-Est, foyer de cette peste aviaire. De quoi s'agit-il réellement ? La grippe ou influenza aviaire est une maladie d'abord animale. Cependant, dans quelques cas répertoriés par l'Organisation mondiale de la Santé (OMS), le virus dénommé H5N1 a pu se transmettre à l'homme par le biais des sécrétions respiratoires des animaux infectés, leurs déjections ou les plumes et les poussières souillées. Une précision s'impose : la contamination n'est pas automatique. Seules les personnes qui ont des contacts étroits, prolongés et répétés avec des animaux malades sont exposées à une contamination par le virus H5N1. A ce jour, les personnes ayant contracté ce virus sont toutes localisées en Asie du Sud-Est et la maladie n'est pas transmissible d'homme à homme (pas de contamination inter-humaine). Le risque de survenue éventuelle d'une pandémie grippale chez l'homme est lié à l'augmentation de la circulation du virus aviaire rendant plus probable l'émergence d'un nouveau virus grippal «humanisé». Les oiseaux migrateurs sont présentés comme étant les premiers responsables du transport de ce virus. Le monde entier traque leurs déplacements et suit de près leurs mouvements. Le Maroc capitalise sur l'expérience du Sras Qu'en est-il alors du degré de mobilisation au Maroc ? Le pays, de par sa situation géographique, l'importance de ses échanges internationaux, la forte densité de sa population ainsi que ses caractéristiques écologiques, présente tous les facteurs favorables à l'introduction et à la circulation du nouveau virus grippal. L'aveu vient des rédacteurs mêmes du plan de riposte national contre la grippe aviaire. Le pays accueille en effet quelque 200 espèces d'oiseaux migrateurs qui prennent la destination des dizaines de zones humides dispersées un peu partout dans le pays (lire encadré en p. 9). Le risque est d'autant plus grand que, parmi ces espèces, figure le canard qui a été reconnu comme un porteur sain du virus. Autrement dit, il n'en meurt pas, ce qui rend plus difficile son suivi. Cette mission délicate a été confiée au Haut commissariat des eaux et forêts. Pour s'acquitter de leur tâche, les responsables sont allés jusqu'à associer les chasseurs et leurs investigations pour les alerter en cas de découverte d'oiseaux morts. Quoi qu'il en soit, les responsables de ce département se veulent rassurants. Un chaînon essentiel de la transmission manque au Maroc : le contact direct entre les volailles et les oiseaux migrateurs. Ils ne partagent pas les mêmes eaux, d'autant plus que les élevages de volailles au Maroc se font en espaces confinés. Ceci pour les fermes. Qu'en est-il des élevages en plein air dans la campagne et chez les populations vivant près des zones humides ? Le ministre de la santé et les responsables du Haut commissariat des eaux et forêts sont catégoriques : un suivi quotidien de la situation est assuré. N'empêche que le risque existe lorsqu'on sait qu'un gramme de fiente dans l'eau peut contaminer jusqu'à un million de volailles ! A l'heure où nous mettions sous presse, aucun cas n'avait encore été détecté dans le pays. Mais la vigilance est de mise et le niveau d'alerte est le même que celui déclenché à l'échelle internationale, soit le niveau 3, déclaré en cas «d'infection(s) humaine(s) par un nouveau virus grippal, mais sans transmission inter-humaine ou très rares cas de diffusion, par contact rapproché». A ce niveau d'alerte, le pays a mis en place une cellule de veille et d'aide à la décision regroupant, entre autres, la direction de l'Epidémiologie et de la lutte contre les maladies et l'Inspection du service de santé des Forces armées royales. Les responsables se veulent parfaitement rassurants, même si l'entrée directe dans la crise peut avoir lieu sans le passage par tous les niveaux d'alerte (voir schémas en pages 10 et 11). Le niveau 6, celui de la pandémie, peut à tout moment être atteint. Des scénarios de réaction et un plan d'action ont été élaborés pour y faire face. Les responsables marocains capitalisent sur l'antécédent du Sras, apparu en 2003. Cette première crise avait permis la mise en place de deux laboratoires de haute sécurité et l'acquisition d'équipements qui peuvent encore servir aujourd'hui en cas de pandémie. Cette dernière «sera déclarée quand il aura été mis en évidence qu'un nouveau sous-type de virus est à l'origine de plusieurs épidémies dans au moins un pays et qu'il s'est propagé à d'autres pays, avec une expression symptomatique comparable de l'infection, laissant penser que la morbidité et la mortalité pourraient êtres sévères dans au moins un sous-groupe de la population», précisent les rédacteurs du plan de riposte. Si un virus de la grippe aviaire, tel le H5N1, vient à acquérir la capacité de transmissibilité interhumaine, la pandémie se répandra à toute la planète. En effet, les virus grippaux «humanisés» se caractérisent par leur grande contagiosité, essentiellement par voie aérienne, avant même l'apparition des symptômes ; aucune mesure d'isolement étanche ne pourra donc protéger un pays durablement. La prophylaxie par les antiviraux en continu paraît être la stratégie la plus efficace Selon les modèles élaborés par certains pays, l'épidémie progresserait fort probablement dans un pays sous forme de vagues successives séparées de quelques mois, d'une durée de 8 à 12 semaines chacune ; toutes les régions du territoire ne seraient pas nécessairement atteintes simultanément. Quelle pourrait être l'ampleur de la pandémie au Maroc ? A ce stade, il est très difficile de l'estimer. Par analogie au modèle statistique utilisé par la France, l'impact d'une pandémie de grippe au Maroc varierait en fonction du type d'intervention et de l'incidence attendue de la maladie. Plusieurs stratégies de lutte ont été comparées pour un taux d'attaque moyen de 25 %. Ces interventions comprennent la vaccination et l'utilisation des antiviraux tel l'oseltamivir, appellation scientifique du Tamiflu, soit en traitement curatif, soit en mesures préventives continues, soit en prophylaxie post-exposition consistant en la prise d'antiviraux à la suite d'un contact avec un cas de grippe. Deux populations cibles particulières à protéger en priorité ont été identifiées : la population des personnes indispensables à la pérennité de fonctionnement des services de base (professionnels de la santé, de secours, de sécurité, services publics ou privés indispensables…) et la population à risque élevé de complications en cas de grippe (personnes âgées, femmes enceintes, sujets atteints de maladie chronique, enfants de moins de 2 ans). Les effectifs de ces populations ont été estimés respectivement à 500 000 et 5 millions, soit un total de 5,5 millions de personnes. Peut-on alors vacciner toute cette population si un vaccin vient à être fabriqué ? Le ministre de la santé est catégorique. Le pays a préempté pour ce vaccin mais ne peut acquérir plus de 440 000 doses. Non pas qu'on ne veuille pas en acheter plus, mais la capacité de production sera limitée. Le ministre donne l'exemple du virus contre la grippe saisonnière dont la production mondiale ne dépasse pas les 280 millions de doses pour une population planétaire de plus de six milliards de personnes. Dans l'autre cas de figure, celui de l'absence d'un vaccin, et si la pandémie est déclarée, les deux populations précitées resteront toujours prioritaires. «pour le personnel stratégique, la prophylaxie par les antiviraux en continu paraît la stratégie la plus efficace et la plus justifiée. Dans l'hypothèse d'une couverture de 100 %, elle pourrait éviter 70% des cas, 76 % des hospitalisations et 82 % des décès dans ce groupe. S'agissant des populations à risque médical, la comparaison de l'utilisation des antiviraux en prophylaxie ou en curatif plaide en faveur de son usage en curatif. En effet, en curatif, le traitement antiviral, bien que n'évitant pas l'apparition des cas, semble plus faisable et présente un meilleur rapport coût/efficacité (29 % de décès évités et 1 800 doses/décès évités) que la prophylaxie en post-exposition (56% de décès évités et 18 500 doses/décès évités). L'usage en curatif devrait donc être privilégié, en particulier si la disponibilité en antiviraux est limitée», conclut le plan de riposte. Outre la vaccination, le plan de riposte a défini cinq autres axes stratégiques d'intervention, dont la restriction d'activités. Ainsi, les frontières du pays peuvent être totalement fermées et les voyages internationaux suspendus. Des restrictions des déplacements pourraient aussi être décidées en plus de l'arrêt des transports publics de passagers. Les rassemblements de population, quant à eux, seront interdits. Les manifestations sous forme de spectacles, rencontres sportives, foires, moussems et souks devront ainsi être annulées jusqu'à élimination totale du danger. Quant à l'enseignement, il sera suspendu. Crèches et établissements scolaires devront fermer. Autant dire que la vie sociale sera complètement bouleversée. Dans un tel schéma, l'anticipation est le mot d'ordre. Chaque département ministériel devra, afin de pouvoir garantir la continuité de l'action gouvernementale et de minimiser les conséquences de l'épidémie, anticiper l'organisation de ses services centraux et régionaux. Pour éviter la panique de la population, un axe de l'intervention a été totalement réservé à la communication. Une commission d'information, appuyée par la cellule de veille et d'aide à la décision veillera à tenir informée la population sur la situation épidémiologique, les mesures prises et les préconisations. Ces mesures devront être levées par la suite après confirmation du retour à un état sanitaire normal. Coût de l'opération ? Un chiffre de 900 MDH avait été avancé dans un premier temps, mais le ministre de la Santé estime que ce budget n'a aucun sens. «Le coût peut être plus ou moins important en fonction de l'étendue géographique de l'attaque, du nombre des malades et de la disponibilité en générique du vaccin». Dans tous les cas, si jamais le stade de la pandémie est atteint, l'humanité connaîtra une cassure dans son modèle social. Le petit village qu'est devenu la Terre cessera d'exister. Les frontières seront fermées et les échanges commerciaux bloqués. Les risques humain et économique sont majeurs, d'où la mobilisation internationale. La semaine prochaine, les responsables marocains devront prendre part à Genève à une réunion de coordination de l'OMS pour mettre à jour les plans d'action. Parmi les facteurs de risque, l'élevage à l'air libre, assez répandu au Maroc. Les élevages infectés seront indemnisés Un accord est en train d'être conclu entre les éleveurs de volailles et le ministère de l'Agriculture. Selon des sources bien informées, l'Etat pourrait accorder jusqu'à 85 % d'indemnisation pour les éleveurs dont les fermes seraient touchées par la grippe aviaire et qui seraient donc obligés d'abattre immédiatement toutes la volaille de l'exploitation. L'abattage est accompagnée d'une mise en quarantaine de l'exploitation infectée. Une zone de protection de 3 km et une autre de surveillance (10 km) sont établies. Rappelons que le prix de la viande blanche a enregistré, pendant la deuxième semaine du mois de Ramadan, une chute de 3 à 4 DH le kg avant de retrouver son cours normal deux semaines après. Selon des opérateurs, les pertes du secteur dues à la baisse de la demande ont atteint 42 MDH. Le canard sauvage, danger numéro un Selon les données du Haut commissariat des eaux et forêts, le Maroc compte près de 80 zones humides réparties entre le domaine littoral et le domaine continental. Les plus importantes sont localisées au nord-ouest (lagune de Moulay Bousselham et Sidi Boughaba), au Centre-Atlantique (Oualidia-Sidi Mousssa) et au Sud-Ouest à Agadir et Dakhla. Au total, quelque 200 espèces d'oiseaux migrateurs traversent le Maroc ou y restent. Trois grands groupes essentiellement sont répertoriés. Il s'agit des canards, des limicoles (petits oiseaux vivant au bord de l'eau) et des goélands, mouette et sterne. Le danger des espèces accueillies par le Maroc est d'autant plus important que parmi ces oiseaux figurent des porteurs sains du virus de la grippe aviaire, notamment le canard sauvage, ce qui rend difficile la détection .