Un chercheur marocain avait révélé un risque de séisme pour Al Hoceima. Le prochain grand séisme pourrait avoir lieu à Oued Laou. Le gouvernement a commandé une étude stratégique sur la prévention des risques naturels. Les résultats sont attendus pour début septembre. Sil'on ne savait pas quand un séisme allait frapper Al Hoceima, on savait depuis longtemps qu'il allait frapper précisément. En 2003, bien avant le tremblement de terre de février 2004 donc, Driss Bensari, éminent géophysicien marocain à la rénommée mondiale, et surtout un des premiers chercheurs à s'être intéressé depuis des années aux séismes au Maroc, mettait la touche finale à un ouvrage intitulé prévision et préventions des catastrophes naturelles et environnementales. Le cas du Maroc(*). Publié récemment sous l'égide de l'Unesco, l'ouvrage dresse un tableau, inquiétant par moments, de tous les dangers naturels qui guettent le Maroc. Ce que l'on ignore, c'est que quelques mois avant le séisme d'Al Hoceima, les pouvoirs publics avaient reçu la première mouture du rapport, au sein duquel une large partie avait été consacrée au risque sismique qui menaçait la ville d'Al Hoceima. En guise de conclusion, M. Ben Sari avait écrit : « les mesures GPS entreprises entre 1999 et 2003 dans la région d'Al Hoceima (Beni Boufrah et Midar) nous montrent un champ de contraintes dans cette région avec un mécanisme focal de type «coulissage senestre» présentant le risque d'un futur tremblement de terre». Quelques mois plus tard, son diagnostic s'est avéré être vrai. C'est dire que l'homme sait de quoi il parle quand il dit aujourd'hui qu'il «y a quelque chose qui est en train de se passer à Oued Laou». Ainsi, le séisme d'Al Hoceima était prévisible. On aurait pu, à tout le moins, armé de cette précision géographique, et en l'absence de prévisions temporelles, entamer des travaux de mise à niveau à la norme sismique RS 2000 pour la région. ça n'a pas été le cas. Il aura fallu plus d'une année et demie après le drame d'Al Hoceima pour que le gouvernement prenne enfin au sérieux l'idée de mettre en place un système pour la prévention et la prévision des risques de catastrophes naturelles. Dans le cadre d'une opération initiée en juillet 2005, conjointement par le gouvernement, à travers le ministère de l'Aménagement du territoire, et le programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), M. Ben Sari a été chargé de mener la réflexion en vue de mettre en place les éléments d'une stratégie nationale pour la prévision et la prévention des catastrophes naturelles. Et si aujourd'hui les pouvoirs publics ont décidé de s'y mettre, c'est, bien sûr, pour que le scénario d'Al Hoceima ne se reproduise plus. Mais c'est également parce que le Maroc n'est pas à l'abri d'un autre séisme ni d'autres catastrophes naturelles qui peuvent être dévastatrices. Plus le séisme tarde à se produire, plus il sera violent A commencer par les séismes. D'entrée de jeu, Driss Ben Sari annonce la couleur : «nous ne sommes pas à l'abri d'un scénario sembable à celui d'Al Hoceima». Oui mais oà1 et quand ? Pour ce qui est du «oà1», on sait déjà , ou presque. Les études empiriques ayant montré que «les tremblements de terre tendent à se reproduire là ils ont eu lieu dans le passé», la zone la plus exposée reste incontestablement le bout de côte méditerranéenne allant de Tétouan à Nador en passant par Al Hoceima. Mieux, Driss Ben Sari est en mesure d'être plus précis : le prochain grand séisme aura lieu très probablement dans la petite localité de Oued Laou, à 42 km de Tétouan, et sa magnitude dépassera probablement le degré 7 sur l'échelle de Richter. Pourquoi ? Parce que tout simplement, dans cette région, les différentes mesures effectuées, dont certaines sont très récentes puisqu'elles datent de 2004, démontrent l'existence de forces de poussées (appelées aussi tensions ou contraintes) de sens contraire et d'intensité importante. La précision est en fait accentuée par le fait que ces prévisions sont faites grâce à des réseaux d'instruments de plus en plus sophistiqués pour la mesure de l'activité tectonique. M. Ben Sari fonde son diagnostic, entre autres, sur les données fournies par un dispositif de 31stations terrestres GPS, installées sur le territoire national (voir encadré) qui permettent de déceler, en connection avec les satellites, le mouvement des plaques tectoniques au millimètre près. Pour la région de Oued Laou, justement, les données parlent d'elles-mêmes, sachant que toute la région du Rif reste une région à haut risque. Les mesures révèlent également un autre axe comme étant à haut risque, à savoir celui allant d'Erfoud à Sebta en passant par Rich, Midelt, Ifrane, Ouezzane, Chefchaouen, Oued Laou et Tétouan. En revanche, pour le «quand», les scientifiques ne sont pas encore en mesure de donner de réponse. «Ce qui est sûr, par contre, c'est que plus le séisme tardera à venir, plus sa puissance sera grande et donc plus les dégâts risquent d'être importants», explique M. Ben Sari. Cela dit, si, selon les mesures actuelles, la région de Oued Laou reste la plus exposée, plusieurs autres régions du Maroc le sont mais, peut-être, à des degrés moindres. Dans son ouvrage, Driss Ben Sari dresse un tableau oà1 le Maroc est réparti en quatre zones sismiques. La première, dite «zone 4», est la plus dangereuse par la puissance des séismes qui risquent de s'y produire. On y trouve, en plus d'Al Hoceima, bien sûr, des villes comme Agadir, Mellila, Nador, Sebta, Tétouan et Oued Laou. Dans ces localités, l'intensité maximale probable d'un séisme est supérieure ou égale à VIII sur l'échelle dite de Mercalli, ce qui équivaut à une magnitude d'au moins 7 sur l'échelle de Ricther. Par ailleurs, si, aujourd'hui, les séismes sont les catastrophes les mieux appréhendés et observés, le Maroc n'est pas à l'abri d'autres types de catastrophes qui peuvent être aussi voire plus dévastatrices. Comme les tsunamis, par exemple. Oui, les tsunamis. Et si un jour, par malheur, une vague de ce genre venait à déferler sur nos côtes, ce ne serait pas pour la première fois. Scientifiquement, le risque existe. Le Maroc, en effet, a eu son tsunami en 1755 déjà , à la suite du célèbre tremblement de terre qui avait rasé la ville portugaise de Lisbonne. Toute la côte atlantique marocaine allant de Tanger à Essaouira avait alors été ravagée. Comme le rapporte Driss Ben Sari dans son ouvrage : «A Tanger, il [le tsunami] a provoqué d'importants dégâts et fait couler de nombreux bateaux. Il a été ressenti à Asilah, Larache, Mehdia, Salé et Rabat. A Safi, la hauteur de la vague a atteint 15 mètres et la mer a pénétré sur 35 kilomètres à l'intérieur des terres. A El Jadida, Safi et Essaouira, la mer est passée par-dessus les remparts». On ne peut pas savoir quand, mais on peut s'y préparer Et aujourd'hui ? Rien ne permet de dire que le Maroc est à l'abri d'une nouvelle catastrophe de ce genre. Driss Ben Sari atténue tout de même en expliquant que «l'arrivée d'un tsunami peut, dans de nombreux cas, être annoncée à temps pour permettre d'évacuer les populations, en installant un système d'alerte». Pour lui, «la participation du Maroc à un réseau d'alerte pour les tsunamis en Atlantique Est et en Méditerranée Est est à même de renforcer la prévention des catastrophes qui leur sont liées». En dehors du tsunami, d'autres risques existent. L'ouvrage traite de manière assez précise d'autres types de catastrophes comme les inondations, les crues, la sécheresse et la désertification, les incendies de forêts ou encore la pollution de l'eau et de l'air, tout en proposant des solutions préventives concrètes, des systèmes d'alerte et des batteries de mesures pour l'atténuation des risques. La grande question qui se pose maintenant est de savoir ce qui peut et ce qui doit être fait. Première réponse de Driss Ben Sari : «on ne peut pas arrêter un séisme ou un tsunami, certes, mais on peut le prévoir, s'y préparer et donc faire en sorte que les dégâts soient limités». Et c'est la raison d'être de sa mission actuelle, le gouvernement l'ayant justement chargé de plancher sur une stratégie adéquate. Il devra également proposer des projets concrets susceptibles d'être financés par des institutions internationales ou encore dans le cadre de la coopération bilatérale. Pour la réalisation de ce travail, une première série de rencontres a été programmée pour le mois d'août et durant lesquelles le consultant s'entretiendra avec tous les intervenants, notamment le ministère de l'Intérieur, la Gendarmerie royale, la Protection civile, l'Agence du Nord et d'autres départements comme l'Equipement et l'Agriculture. Sont également programmées des rencontres dans les régions avec l'administration territoriale, notamment les gouverneurs, les walis et les chefs des services extérieurs. Le gouvernement lui ayant demandé un programme ficelé pour le mois de septembre, délai trop court, pour la préparation des éléments de la stratégie, le consultant du PNUD n'est pas pour autant inquiet. Et pour cause, toute la connaissance qu'il a accumulée durant sa longue carrière est compilée dans son dernier ouvrage. Le PNUD a d'ailleurs choisi de faire de cet ouvrage la référence pour la confection du document préliminaire qui servira de plate-forme à la formulation d'une stratégie nationale pour la gestion des catastrophes naturelles. D'ici à la stratégie et à sa mise en Å"uvre, croisons les doigts pour qu'il ne se passe rien ! (*) Prévision et prévention des catastrophes naturelles et environnementales. Le cas du Maroc. Collection «sciences de la terre», édition Unesco, 2004.