Les pertes pour la région sont chiffrées à 320 MDH dont 140 MDH au titre des agrumes invendables. Les exportateurs redoutent de ne pas pouvoir reconquérir leurs parts de marché lors de la prochaine campagne. C'est la catastrophe dans le Tadla. La récolte agrumicole de cette saison est tout simplement perdue. Le verger de la vallée a bien connu des gelées en 1975, 1981 et 1986. Mais jamais, de mémoire d'agriculteur, les températures n'ont été aussi basses que cette année – avec des pointes de -9° – et sur une période aussi longue. Ahmed Derrab, secrétaire général de l'ASPAM (Association des producteurs d'agrumes du Maroc), explique que l'ampleur de la catastrophe qui a touché ce verger a surpris tout le monde. A vue d'œil, le fruit ne présente aucun dommage. Il faut l'ouvrir pour se rendre compte qu'il a perdu pratiquement toute son eau (voir photo). La perte de la récolte est d'autant plus grave que la production est destinée essentiellement à l'export. Sur place, l'effondrement des exploitants, petits et grands, est visible. Les détritus d'orange jonchent encore les allées des exploitations dans les zones de production agrumicole à 15 ou 20 km de Beni Mellal, comme Souk Sebt, Oulad M'barek, Oulad Boubker, Sidi Jaber ou encore à Oulad Youssef. Fayçal Chaâbi, qui possède 13 ha dans la région de Beni Mellal, est atterré. «Je viens de perdre toute ma production et je n'ai pas vu venir les effets des gelées qui ont desséché les fruits et ceci alors que je suis arrivé à des rendements de 35 à 40 tonnes et même plus à l'hectare. Il m'est arrivé de perdre 4% et même 10 % de ma récolte mais, cette année, la récolte est entièrement perdue». Cet exploitant n'est pas seul à avoir été surpris par les effets tardifs et désastreux sur la campagne. Même un groupe comme Delassus, qui possède une expertise reconnue en la matière et dont les vergers atteignent des rendements compris entre 50 et 60 tonnes à l'hectare, n'a pas prévu le cataclysme à temps. Il a même exporté des cargaisons entières de fruits qui lui ont été renvoyées par ses clients européens. Kacem Bennani-Smirès, son DG, explique que c'est fin mars seulement qu'ils se sont rendus compte que toute la variété d'oranges «Maroc late» avait été touchée à 70 ou même 100%. Jusque-là, les petits fruits comme la clémentine, la mandarine ou encore le citron n'ont pas subi de dommage particulier et ont été normalement exportés. Puis, catastrophe !, on découvre les effets, jusque-là ignorés des gelées. Les agriculteurs s'attendent à une baisse de la productivité de 50% l'année prochaine Moustarih Bouhali et Mnaouri Hamid possèdent respectivement 10 ha à Ouled Jabri (à 35 km au sud de Beni Mellal) et 47 ha à Sidi Jaber (15 km de Beni Mellal) et de grands exploitants comme Hadj Mohamed Sefiani, Chaâbi Bouzekri ou Chahbar Abdeslam, qui exploitent en propre ou en location des surfaces de 150 à 400 ha chacun, partagent la même analyse : non seulement la campagne est pratiquement perdue mais les séquelles sur la prochaine sont prévisibles. Ils s'attendent en effet à ce que la productivité baisse de 50 % par rapport à une année normale, et fondent leur prédiction sur l'état inquiétant de la floraison des jeunes pousses. La région produit, bon an mal an, entre 180 000 et 220 000 tonnes, toutes catégories d'oranges confondues. Les variétés touchées, dont la «Maroc late» représente, à elle seule, 70 000 tonnes, totalisent des pertes de l'ordre de 132 MDH. Ce calcul est établi par les agriculteurs sur la base des prix de vente de l'année dernière. A cela, il faut ajouter le coût d'enfouissement ou de transport des déchets estimé à 0,10 DH/kg et qui revient à un total de près de 8,5 MDH (le fruit est en effet si sec qu'on ne peut pas le transformer car il contient à peine 20 % d'eau, alors qu'il n'est recevable chez les producteurs de jus qu'à partir de 45 % de teneur en eau). Ce qui donne des pertes de 140 MDH pour les vergers de la région. Mais les exploitants estiment que ce chiffre ne couvre pas les dégâts subis par les jeunes plantations dont le cycle de rendement commence à partir de la cinquième année ni le coût de renouvellement pour les arbres que le gel a détruits. Les oranges égyptiennes pourraient profiter de la situation sur le marché européen Par ailleurs, les retombées négatives de la perte sèche de la récolte se ressentent aussi bien sur la main-d'œuvre qui n'a pas été sollicitée – les charges de la cueillette sont de l'ordre de 10 centimes par kg – que sur les usines d'emballage et de conditionnement ou encore les transporteurs, dont l'activité s'est forcément ralentie. Au total, les conséquences directes et indirectes des mauvaises conditions climatiques dépassent 320 MDH. Le DG de Delassus redoute une autre conséquence. «Notre absence forcée des marchés européens, s'inquiète-t-il, a ouvert la voie aux oranges égyptiennes, cette année. Et je crains qu'elles n'y fassent une entrée fracassante qui risque de fermer la porte à nos produits à l'avenir. Il ne faut pas oublier qu'au pays des pharaons la main-d'œuvre ne coûte que 15 DH la journée et que le gasoil est à 1 DH / litre pour les agriculteurs». Aujourd'hui, l'Etat doit faire un geste. Les agriculteurs demandent par exemple la révision des tarifs de l'électricité ou encore des mesures ponctuelles comme l'abandon des droits de location en cette année difficile. Des mesures comme des prêts pour la remise en état des exploitations et la suppression des droits de douane sur certains matériels sont effectivement annoncés (voir La Vie éco du 15 au 21 avril). Mais il faudra surtout réfléchir à la mise en place d'un système d'assurance pour ce genre de catastrophes .