La responsabilisation du gouverneur pour le contrôle des constructions est contestée par les opérateurs Taoufik Hjira, ministre de l'Habitat, souligne que le texte vise à combattre les constructions anarchiques de l'informel. Laconférence débat sur «l'Habitat et la Politique urbaine», organisée par La Vie éco et Eventis le 11 mai 2004 à Casablanca, a fait salle comble. Il ne pouvait en être autrement tant le sujet est d'actualité depuis que les pouvoirs publics ont décidé d'éradiquer les bidonvilles au lendemain des événements du 16 mai 2003. C'est donc devant une assistance très intéressée que Taoufik Hjira, ministre de l'Habitat et de l'Urbanisme, qui a affiché une forme olympique durant les quatre heures qu'a duré la séance, a défendu son programme ainsi que la nouvelle loi sur l'urbanisme dénommée «la 04.04», sans se départir de sa bonne humeur, mais prêt à en découdre. Système de financement, aménagement des villes, Casablanca en particulier, foncier… Les sujets d'affrontement ne manquaient pas. Pourtant, la salle s'est essentiellement focalisée sur le projet de loi. Du coup, Amine Nejjar, DG de Wafa Immobilier et Faouzia Imansar, gouverneur de l'Agence urbaine de Casablanca, les deux autres orateurs qui étaient aussi sur le plateau aux cotés de Saïd Sekkat, vice-président de la FNI (Fédération nationale de l'immobilier) et de Azzedine Nekmouch, président du Conseil régional centre de l'ordre des architectes, ont passé une soirée presque tranquille. Si ce projet de loi suscite autant de passion, c'est bien parce que son contenu fait peur. Taoufik Hjira a cherché à lever le doute en expliquant avec pédagogie les points de discorde. La principale critique est que ce projet de texte a été rédigé sans concertation avec les professionnels. Mais, selon M. Hjira, qui a bien précisé que les délais qui lui étaient fixés pour la production du texte ne lui permettaient pas de toucher tous les corps de métiers, le projet de loi ne constitue pas une nouvelle réglementation. Il s'agit plutôt d'une série d'amendements par rapport aux lois 25-90 et 12-90. Le ministre a souligné que «l'Administration, forte de ses moyens techniques et humains et de l'exercice quotidien de ses prérogatives, sur l'ensemble du territoire, a considéré qu'elle disposait d'éléments d'analyse suffisants, lui permettant d'apporter les correctifs par rapport aux anciens textes. Si nous étions incapables de le faire, nous devrions fermer boutique». Pour la majeure partie des intervenants, il constitue un recul par rapport aux avancées démocratiques du pays car il renforce le pouvoir des gouverneurs en leur confiant le monopole du contrôle des constructions. Selon le ministre, cette disposition est fondamentale parce que le pouvoir sera entre les mains d'une seule personne, le «représentant de l'Autorité au niveau local», alors qu'avec les commissions constituées de plusieurs membres (président de commune, gouverneur, agence urbaine…), les responsabilités sont diluées. Les sanctions pénales risquent de créer un climat de méfiance Dans le même ordre d'idées, la question des peines d'emprisonnement et des amendes en cas d'infraction a été soulevée. M. Hjira a précisé que les fonctionnaires de l'Etat, à tous les niveaux, seront soumis à la loi au même titre que tous les intervenants. Ce qui, à son avis, constitue une avancée par rapport à l'ancien texte. Seulement, pour certains opérateurs, il n'est pas sain de créer un climat de méfiance qui pourrait brider l'initiative. Par exemple, il est expliqué que les présidents de communes seront désormais réticents à signer les autorisations de construction. Cette crainte est également exprimée par les promoteurs immobiliers qui souhaitent que les responsabilités des différents intervenants soient mieux définies eu égard aux sanctions prévues. C'est ce qu'espère Saïd Sekkat, vice-président de la FNI, qui indique que «la responsabilité des promoteurs devrait être dégagée du moment qu'[ils] recourent aux architectes et aux bureaux d'études». Le ministre rejoint cette idée mais «dans la mesure où la délégation de la responsabilité est clairement définie dans le contrat liant le promoteur à ses fournisseurs». Reste à savoir si les architectes et les responsables des bureaux d'études sont prêts à risquer leur liberté dans le cadre de l'exercice de leur profession. De ce fait, la CGEM, représentant les fédérations de l'immobilier, du conseil et de l'ingénierie et des BTP, suggère, parmi les amendements proposés, que la sanction d'emprisonnement ne soit retenue que pour les constructions sans autorisation qui entrent dans le cadre de l'illégalité. Ceci est d'autant plus justifié, à leurs yeux, que les normes de construction auxquelles se réfèrent les sanctions du projet de texte ne sont pas clairement annoncées dans des textes de loi. Une série d'amendements attendus au Parlement Mais, de l'avis de M. Hjira, la promotion immobilière organisée n'a rien à craindre car cette réglementation vise plutôt à combattre les constructions anarchiques de l'informel. Les promoteurs et les architectes proposent qu'on délimite, dans ce cas, le champ d'application de ce projet de texte aux intervenants dans l'informel. Dans sa version actuelle, cette législation décourage l'investissement dans le secteur de l'habitat. «Les sanctions prévues dans le texte militent pour une démission de l'ensemble du secteur organisé», explique un professionnel. Autre point soulevé : le délai pour l'obtention de l'autorisation de construire. Selon Azarab Benjelloun, architecte, la nouvelle législation constitue encore une fois une régression car elle propose qu'au-delà de 30 jours le promoteur ou l'architecte doivent considérer que leurs plans ont été refusés. Alors que, suivant la législation en vigueur, après 60 jours, et sans réponse de l'administration, l'accord est tacite. Même si, dans les faits, les promoteurs utilisent cet avantage, sans réellement l'appliquer, en le brandissant comme menace pour accélérer la procédure d'octroi des autorisations. Toutefois, après 30 jours, les promoteurs ou architectes peuvent engager, selon le projet de texte, une procédure de recours auprès du gouverneur. Mais ces derniers considèrent que le gouverneur sera toujours du côté de l'Administration. Pour dépasser ce problème, ils proposent un amendement suivant lequel une commission ad hoc, présidée par le gouverneur, et comprenant, entre autres, des représentants du secteur privé, à savoir les architectes, les bureaux d'études et les promoteurs, puisse se réunir dans la semaine pour l'examen des dossiers sans réponses dans un délai de 30 jours. D'autres amendements seront présentés par la CGEM au Parlement, s'agissant de l'intervention du gouverneur pour l'arrêt du chantier et la saisie du matériel, ou encore de l'intervention du bureau d'études… Le projet de texte sera discuté, à partir de la semaine prochaine, par la commission de l'urbanisme. A ce sujet, le ministre n'avait peut-être pas à insister sur le fait qu'il est ouvert aux amendements des uns et des autres, puisque cela constitue le «b.a. – ba» de la démocratie. Le cas particulier de Casablanca Ily a eu ovation dans la salle au dîner-débat sur «l'Habitat et la Politique urbaine», lorsque Tawfik Hjira, ministre de l'Habitat et de l'Urbanisme, a déclaré que les délais d'obtention des autorisations de construire sont limités à une journée dans les villes où des guichets uniques ont été mis en place dans les Agences urbaines, notamment à Meknès ou Settat. Les intervenants se sont interrogés sur les délais d'application de cette disposition à Casablanca où le délai moyen varie entre deux et trois mois, selon les architectes. «Nous avons l'impression de vivre dans un Maroc à deux vitesses», explique Azarab Benjelloun, architecte. Il ajoute néanmoins que «dans les deux cas de figure, il ne faudrait pas en arriver aux extrêmes car une autorisation de construire ne doit pas être fournie à la hâte, car elle engage le paysage urbain pour des décennies». Pour Casablanca, indique-t-il, «nous avons proposé la mise en place d'un guichet unique qui regroupe l'ensemble des services. Ce guichet, après étude des plans, base de la demande d'autorisation de construire, pourrait livrer l'ensemble de ses remarques lors d'une même séance. A l'architecte, le soin de rectifier les plans en une fois. Nous souhaitons également que la réglementation d'urbanisme soit plus souple à Casablanca, et évolutive, car celle de 1957 nous oblige à souffrir d'une monotonie dans la création des immeubles» Qu'en pensent les architectes Azzedine Nekmouch, président du Conseil régional centre de l'ordre des architectes, a exposé une vision du développement urbain de la ville qui devra se baser principalement sur une appropriation de l'espace urbain par le citoyen. Cette stratégie suppose une plus grande décentralisation et une démocratie fondée sur le dialogue. Il se situe là sur la même longueur d'onde que Faouzia Imansar, gouverneur de l'Agence urbaine de Casablanca. «La première condition pour avoir une politique urbaine, c'est d'avoir des hommes et des femmes porteurs d'un programme cohérent. Il faut qu'ils soient engagés dans l'exécution du programme vis-à -vis du groupe social (qu'ils représentent) dans un laps de temps déterminé par des échéances électorales», explique M. Nekmouch. Moins consensuel, il qualifiera Casablanca de ville malade. Il souligne que le passage de l'individualisme communal à l'unicité de la ville est un point positif, mais malheureusement non accompagné de moyens humains et matériels. Par rapport aux constructions, dans le cadre des programmes de 200 000 logements, l'avis de l'ordre des architectes est défavorable. Selon M. Nekmouch, «on assiste à un dérapage dangereux des principes d'urbanisme, d'éthique et des droits fondamentaux au logement. Il juge qu'une densité de 1 500 personnes à l'hectare, un chiffre hors normes, « provoque des déchirures sociales très graves pour l'avenir, avec la création de ghettos, oà1 germent les conflits sociaux, accentués par le manque voire par l'absence d'équipements»