Dilution des responsabilités par l'introduction d'un syndic adjoint, complication des prises de décision par le rehaussement des conditions de majorité, exclusion des façades d'immeubles des parties communes… Les professionnels énumèrent plusieurs dispositions malvenues. Voilà quelques mois que la réforme de la loi sur la copropriété est enclenchée dans une étonnante discrétion. Le texte préparé par le ministère de l'habitat, déjà validé en conseil de gouvernement, est actuellement examiné par la première Chambre du Parlement. Pourtant, cette réforme est attendue pour corriger une kyrielle de problèmes vécus en matière de copropriété, l'actuelle loi en la matière (18-00), entrée en vigueur depuis 11 ans, étant loin d'avoir produit des résultats probants. Surtout, la révision en cours doit retenir l'attention du fait qu'elle pourrait amener plus de problèmes qu'elle n'en règle, selon les spécialistes. Des changements introduits par la nouvelle loi, qui pourraient paraître anodins, risquent en effet de compliquer plus encore la gestion des copropriétés, déjà confrontée à de multiples contraintes. Un premier exemple en est la mise en place d'un syndic adjoint en plus du syndic, prévue par le nouveau texte. Si l'on peut justifier cette nouveauté par une garantie d'exécution des missions du syndic en toutes circonstances, cela peut aussi induire une dilution des responsabilités, prévient El Ouagari Mohammed, enseignant chercheur à l'Institut national d'aménagement et d'urbanisme (INAU) et consultant pour les questions d'habitat. De même, la nouvelle loi prévoit que les réunions de copropriétaires doivent suivre un projet d'ordre du jour et non un ordre du jour. «Là encore, la différence, même si elle paraît simple, ouvre la voie pour que la liste de sujets devant être discutées en assemblée change en cours de réunion, ce qui peut pénaliser les copropriétaires non présents», note un juriste. Pour dire le caractère déterminant de cette question, en France c'est bien un ordre du jour qui doit être déterminé et son éventuelle modification doit être portée à la connaissance des copropriétaires une semaine à l'avance. Une autre nouvelle disposition que les juristes jugent malvenue concerne le rehaussement des exigences de majorité pour valider les décisions en assemblée générale des copropriétaires. Par exemple, la désignation du syndic doit se faire aux trois quarts des voix. «Déjà qu'il est ardu de faire passer des décisions selon le niveau d'exigence actuel», note M. El Ouagari. Un administrateur en cas de syndic en difficulté Un autre aspect du nouveau cadre qui suscite l'incompréhension des spécialistes concerne l'exclusion des façades d'immeubles des parties communes qui se trouvent de fait intégrées aux espaces privatifs des copropriétaires. En termes clairs, «les membres de la copropriété n'auraient plus la possibilité de s'opposer aux aménagements réalisés par tout propriétaire au niveau de sa façade», explicite un praticien. Ceci au moment où les transformations tel que la pose d'un grillage ou d'un vitrage au niveau des balcons d'immeubles ont tendance à être systématiques, dégradant l'esthétique des constructions. Certes, les autorités locales gardent la main pour interdire de tels aménagements de par leur mission de préservation de l'ordonnancement architectural. Mais force est de reconnaître que les pouvoirs publics sont loin de sévir à chaque fois que cela s'impose. Sur un autre plan, le nouveau cadre innove en introduisant un cadre spécifique pour traiter le cas des copropriétés en difficulté. Concrètement, lorsque le syndic de copropriété est en difficulté, la nouvelle loi prévoit qu'il soit apparenté à une entreprise en difficulté et qu'il fonctionne comme celle-ci, à savoir que sa gestion est confiée juridiquement et provisoirement à un administrateur. Celui-ci a latitude de prendre les décisions qui lui paraissent nécessaires à l'accomplissement de sa mission. Mais si les praticiens applaudissent ce nouveau mécanisme, ils font aussi savoir qu'il reste incomplet. «La désignation d'un administrateur résout effectivement le problème des copropriétés en difficulté sur le plan juridique mais dans la pratique, si un copropriétaire n'a pas les moyens de s'acquitter des frais de syndic, le problème reste entier», relate M. El Ouagari. De là, les juristes appellent à la mise en place d'une politique publique d'intervention en cas de carence des copropriétaires, comme cela se fait par exemple en France. La mise en place de cet accompagnement devient même incontournable, de l'avis des professionnels, à voir le parc consistant de logements sociaux déjà constitué actuellement et dont les copropriétaires sont susceptibles à l'avenir de connaître des défaillances mettant en péril le bon entretien de ces constructions. Un autre oubli de la nouvelle loi pointé du doigt par les professionnels concerne l'absence de sanctions en cas de non-mise en harmonie des règlements de copropriété constitués antérieurement au nouveau cadre. La loi 18-00 elle-même était critiquée du fait qu'elle n'intégrait pas de mesures transitoires. Ce à quoi remédie le nouveau cadre en accordant un délai d'une année après la publication de la nouvelle loi pour s'y conformer. Reste qu'aucune sanction n'est prévue à l'encontre des contrevenants à l'issue de ce délai. Les projets développés par tranches problématiques Last but not least, la nouvelle loi introduit la possibilité de dresser des règlements de copropriété provisoires dans le cadre des projets immobiliers réalisés par tranches. C'est là une disposition qui intéresse grandement les promoteurs immobiliers qui ont d'ailleurs bataillé pour sa mise en place. L'idée est de permettre d'attribuer une quote-part provisoire des parties communes générales (passages, jardins, aire de jeux…) aux copropriétaires livrés sur les premières tranches, ce que ne permet pas l'actuel cadre. «A vrai dire, les promoteurs se livrent déjà à cette pratique sur le terrain, et avec le nouveau cadre ils disposeront désormais d'une base légale pour le faire», explique M. El Ouagari. Reste qu'une fois encore, la nouvelle loi n'est pas allée au bout des choses, selon le spécialiste. Un problème risque en effet de se poser sur le plan juridique. Les propriétaires livrés sur les premières tranches deviennent, selon la loi, copropriétaires sur l'ensemble du programme immobilier avec le promoteur immobilier. En théorie, cela contraint ce dernier à convoquer des assemblées générales pour valider toute modification opérée lors du développement des tranches suivantes. Le développeur reste ainsi exposé aux revendications des copropriétaires qui peuvent entraver la réalisation des tranches suivantes. Pourtant, des mécanismes existent pour parer à cette situation tel que le système des lots transitoires, adopté en France. Celui-ci consiste à isoler les tranches non valorisées dans un lot séparé qui reste la propriété du seul promoteur.