Un collectif d'écrivains publie «Auteurs à 100%», un recueil de nouvelles à visée sociale, dont les bénéfices iront à une association qui milite pour le droit à l'éducation. C'est un désastre complet, de l'aveu même du ministre de l'éducation. L'école marocaine, malgré la quarantaine de milliards de dirhams qu'elle engloutit chaque année, n'a su produire qu'une nouvelle génération d'illettrés: 76% de nos enfants sont incapables d'écrire ou de lire après quatre années d'études, s'alarme Rachid Belmokhtar. Face à ce drame d'une tristesse infinie, un collectif d'écrivains a décidé d'agir à son modeste niveau. Baptisée «Auteurs à 100%», l'initiative de l'écrivain Réda Dalil et de ses pairs ambitionne de mobiliser pouvoirs publics, société civile, médias et acteurs économiques autour de cette problématique fondamentale. Une opération entamée par la publication d'un recueil de nouvelles chez Editeur de Talents, dont les bénéfices iront à l'association Enfance Maghreb Avenir, qui accompagne huit écoles publiques -plus de 7000 élèves- dans les bidonvilles du pays. Saluons donc chaudement cette louable action. Mais parlons littérature, car c'est avant tout de cela qu'il s'agit. Dans ce recueil de 146 pages se côtoient les textes de «dix-sept des plus belles plumes francophones du Maroc», vante la couverture. Une allégation assez fantaisiste, dirions-nous, pour rester aimables. Car, à quelques exceptions près, cette lecture nous a, hélas, beaucoup ennuyés. Peu d'auteurs ont pris la peine de raconter des histoires originales et captivantes : les intrigues sont banales, s'appuyant sur des souvenirs douceâtres ou de plates conversations de comptoir. Côté style, ce n'est guère mieux : beaucoup d'écritures se ressemblent étrangement et dégagent une pesanteur insoutenable. Parfois, une bouffée d'air jaillit au détour d'une page, comme la Robe blanche de Maï-Do Hamisultane, jolie et délicate composition autour de l'identité et de l'amour filial. Parfois, c'est une claque qui réveille et électrise, comme La collégienne d'ailleurs de Moha Souag, un récit musical, guttural, mitraillé comme un slam, au rythme saccadé comme la respiration du héros, ce vieil imam de village dont on boycotte soudain les prières, car il a eu l'impudence d'envoyer sa fille Aïcha étudier seule à Meknès. «Les sages lui avaient bien dit que les filles. Une fille de chez nous. De notre chair. De notre sang. Le pur. Celui qui a traversé les siècles à dos de dromadaire. À coups d'épées. À coups de mensonges. Mentir à Dieu et à Son Prophète (…). Une fille sa place est auprès de son mari ou au cimetière. Une femme ne sort d'un trou que pour aller dans un trou offrir un trou». Mais c'est la Ito de Mokhtar Chaoui qui décroche notre palme de la plus belle nouvelle du recueil, avec sa description crépusculaire des masures et des arides paysages d'Anfgou, le village enfoui dans les montagnes abruptes, peuplé par «ce qui ressemble à des humains». Des sous-hommes qui «cultivaient le vide, fumaient le désœuvrement, aspiraient la poussière, expiraient le désespoir et attendaient le grand départ». Parmi ces fantômes, M'barek est le plus laid et le plus malheureux. Ce fossoyeur aux traits sinistres, endosse avec résignation la haine de tout un village. Maboul, sauvage, cannibale, diable et bouc-émissaire, le Jacquemort du Moyen-Atlas – car ce lugubre antihéros nous rappelle beaucoup, on ne sait pourquoi, celui de l'Arrache-cœur de Boris Vian – va pourtant cueillir une étreinte magique et inattendue: celle d'Ito, qui «fleurissait à peine. La beauté de son visage, la fraîcheur de sa peau, l'ondulation de sa chevelure, l'agilité de sa démarche, la douceur de son caractère contrastaient avec la laideur de M'barek, la raideur de sa tignasse et la rudesse de son tempérament. Par sa simplicité et sa félicité, elle rappelait à la populace de la bourgade qu'il existe sur terre autre chose que la difformité, la vilenie, l'aigreur, les privations, les lézards et les scorpions». Etrange et émouvante idylle que celle-ci, faible rai de lumière que la rudesse des éléments et des hommes va vite éteindre. L'un des rares moments de grâce de ce livre.