Pour atteindre ses objectifs de recettes, la DGI privilégie dorénavant les contrôles ponctuels aux contrôles classiques. Les remises sur les pénalités et majorations de retard vont jusqu'à 50% des montants revendiqués. Dans les négociations, le fisc est intransigeant sur les points de droit mais trouve des compromis sur les questions d'appréciation. Le fisc intensifie sa chasse aux mauvais contribuables tout en privilégiant la carotte au bâton. Selon les déclarations recoupées de sources internes à la Direction générale des impôts et d'experts, l'année 2014 a connu une recrudescence significative des contrôles qui portent sur un impôt bien précis, une rubrique donnée de la comptabilité ou un exercice bien défini. «Au lieu de contrôler quatre exercices de la même entreprise, nous nous contentons d'en contrôler un seul ou un seul impôt mais pour cinq ou six contribuables», affirme un directeur régional des impôts. Cette manière de procéder permet de passer au crible beaucoup plus de contribuables avec les mêmes moyens fournis par l'Administration. A en croire d'autres responsables de directions régionales, un accent particulier a été mis cette année sur le nombre de dossiers vérifiés. «Nous avons programmé une cinquantaine de dossiers en plus cette année, tout en veillant à renforcer les contrôles ponctuels sur pièce et les opérations concertées avec d'autres administrations notamment l'Office des changes», confie l'un d'eux. De plus, les services de l'Assiette, censés être en back-office, sont de plus en plus mis à contribution pour aider les vérificateurs dans leur mission. «C'est vrai qu'ils vérifient des dossiers de moindre importance, mais ce sont des dossiers qui risquent d'échapper aux filtres des brigades de vérification», explique le directeur régional. Des coopératives aux associations en passant par les clubs sportifs, aucune entité n'est à l'abri des contrôles. A ce titre, il faut dire que la DGI se donne les moyens pour mieux traquer les mauvais élèves. En effet, pas moins de 400 postes ont été budgétisés en 2014. Ce renforcement des ressources humaines a été accompagné d'un projet de mise en place d'un logiciel d'analyse des risques qui permet de mieux cibler les dossiers à risque. De même, les vérificateurs ont commencé à être dotés d'outils d'analyse pour optimiser les délais nécessaires pour la réalisation des contrôles. Un mauvais arrangement vaut mieux qu'un bon procès Cette recrudescence des contrôles constitue en effet un prolongement de la tendance observée sur les dernières années. D'une moyenne de 1500 jusqu'à 2010, le nombre de sorties des vérificateurs tourne autour de 1800 sur les deux dernières années. Mais si le fisc multiplie ces missions, c'est qu'il veut plus de recettes et le plus tôt possible, sans trop rentrer dans les arcanes juridiques et administratifs. Pour ce faire, l'administration fiscale pousse au maximum la logique selon laquelle un mauvais arrangement vaut mieux qu'un bon procès ! Le recours au règlement à l'amiable est donc plus fréquent.«L'administration pousse dans cette voie, notamment lorsque les sommes en jeu sont importantes ou en raison des considérations sociales», concède un directeur régional des impôts. Il ajoute que le fisc ne veut plus voir les montants à recouvrer traîner pendant des années devant les commissions de recours fiscal ou les tribunaux. Plusieurs contribuables sondés trouvent que l'administration est souvent en position de force. «Elle avance aux entreprises redressées l'argument selon lequel celui qui accepte le plus rapidement le règlement à l'amiable est gagnant parce que la plupart du temps, laisser traîner son dossier équivaut à plus de pénalités et majorations», confie un conseiller d'une entreprise contrôlée. «En moyenne, d'après nos constatations, ces pénalités peuvent augmenter de 10 à 15% par an si aucune issue n'est trouvée», estime un expert comptable. Même pour les entreprises très convaincues de l'exactitude et de la sincérité de leurs comptes, les voies de recours devant les commissions ou les tribunaux se rétrécissent. Les commissions ont en effet développé une technicité et une compétence leur permettant de juger de la chose fiscale en toute connaissance de cause et ne contredisent que très rarement le montant des impôts arrêté par les brigades d'inspection de la DGI. De même, leurs avis sont très rarement réfutés par les juges des tribunaux. «Le contribuable dans de pareils cas finit par se convaincre qu'il n'aura plus grand-chose à prouver et finit par se précipiter sur la signature du protocole d'accord pour avoir le quitus et tourner la page, surtout que le contrôle fiscal reste très mal vécu par l'entreprise marocaine», explique le directeur général d'une entreprise récemment redressée par le fisc. De l'avis d'une source interne à la DGI, il ne faut pas perdre de vue que tout ceci se passe dans un environnement où la fraude et l'évasion fiscale sont monnaie courante. «Dans pas mal de règlements à l'amiable, le contribuable y trouve rapidement son compte parce qu'il se dit que, même si l'administration abuse sur le calcul de l'IS par exemple, il est gagnant et de loin sur la TVA qui n'a pas été contrôlée», explique la source de la DGI. L'accord à l'amiable critiqué par les «bons» contribuables Dans d'autres cas de figure, c'est le contribuable, ou son représentant, qui prend l'initiative de saisir l'administration pour trouver un accord afin de ne pas perdre de temps dans les bureaux des inspecteurs des impôts et dans les tribunaux même si les vérificateurs ont eu tort dans leurs conclusions. Nos sources affirment à ce propos que les modalités de l'accord à l'amiable dépendent de plusieurs paramètres dont les montants en jeu, l'enjeu social que représente la société en termes d'emplois, le rang du contribuable chez la DGI et la gravité des irrégularités constatées. En règle générale, dans sa volonté de clore le dossier le plus rapidement possible, le fisc n'hésite plus à appliquer des remises très conséquentes allant jusqu'à 50% des pénalités et majorations de retard. Ce seuil peut être dépassé mais dans des cas très précis représentant un enjeu majeur pour l'administration. Toutefois, pour le capital, cette dernière est intransigeante sur les points de droit (une plus-value qui n'a pas été carrément déclarée), mais arrive tout de même à trouver des compromis sur les points d'appréciation (la reconstitution d'un chiffre d'affaires imposable à l'aide d'un taux de marge donné au lieu d'un autre). Cependant, si l'accord à l'amiable fait recette, il n'en demeure pas moins critiqué par certains «bons» contribuables qui l'assimilent à une sorte d'amnistie fiscale, tout à fait aux antipodes de l'équité fiscale qui représente pourtant le but ultime du contrôle. «Avec le recours fréquent à cette pratique, il existe des magouilleurs qui se permettent tout tant qu'ils ne sont pas contrôlés et pensent pouvoir s'arranger avec le fisc lorsqu'ils seront épinglés», dénonce le directeur général. Pour un autre opérateur redressé en 2013, les concepts et les critères doivent être bien précis pour que les opérateurs ne puissent pas invoquer des différences d'interprétation et d'appréciation pour justifier une fraude, et pour que l'administration fiscale n'abuse pas des redressements, sachant qu'aujourd'hui le gros des règlements à l'amiable porte sur des questions d'appréciation et non sur des points de droits. Plus critiques, d'autres opérateurs considèrent ce type d'arrangements comme un cautionnement déguisé de la fraude fiscale. «Le message véhiculé aux entreprises est de se prêter aux magouilles tant qu'elles veulent, le fisc les amnistiera quand leurs pratiques seront révélées au grand jour», s'insurge un expert. Mais avec des recettes en hausse (9 milliards en 2013 contre 8,7 en 2012) et un recours très limité aux commissions et aux tribunaux, la DGI ne semble pas prête à renoncer à un mode opératoire qui rapporte gros!