moins de vingt quatre heures après la réception de la convocation à l'audience devant le tribunal, il se précipite audit tribunal, et dépose la somme de 11 850 DH à la caisse. Lors de l'audience, son avocat produit le reçu, affirmant que son client est désormais en règle, et que tout va pour le mieux. Le juge ne l'entend pas ainsi et rend un jugement plutôt courageux Parfois, certains magistrats rendent des jugements pour le moins étonnants. On se demande alors quelle mouche les a piqués, ou alors on s'interroge sur la manière d'appliquer le droit. C. Ahmed est propriétaire d'un petit appartement qu'il loue à D. Driss moyennant un loyer mensuel dérisoire, hérité du passé et qu'il est très difficile de faire augmenter. Ahmed n'est pas avide d'argent et, bien qu'il puisse entreprendre des procédures en révision de loyer, il s'en abstient, estimant que son locataire pourrait difficilement acquitter plus. Tout ceci est bien joli, et les états d'âme d'Ahmed parfaitement respectables, tant que le locataire paie son loyer régulièrement : et c'est là que ça se corse. Driss, en difficultés financières, commence à espacer les paiements (il paie un mois sur trois, plus ou moins régulièrement) et, automatiquement, les impayés s'accumulent et finissent par atteindre la somme de 11 850 DH, représentant des arriérés de loyer de plus de trois ans. Ahmed engage une requête auprès du tribunal de première instance, réclamant le paiement des arriérés, et l'expulsion du locataire pour défaut de paiement. Ce genre de procédure est classique, les textes sont clairs, et les tribunaux parfaitement rodés à traiter ce contentieux. Du reste, la procédure ne s'éternise pas : le défaut de paiement est avéré, et le juge n'a guère envie de faire traîner les choses. Sauf que Driss, prenant peur, décide de régler sa dette au plus vite. Ça ne traîne pas : moins de vingt quatre heures après la réception de la convocation à l'audience devant le tribunal, il se précipite audit tribunal, et dépose la somme de 11 850 DH à la caisse. Lors de l'audience, son avocat produit le reçu, affirmant que son client est désormais en règle, et que tout va pour le mieux. Le juge ne l'entend pas ainsi et rend un jugement plutôt courageux. Dans ses attendus, il relève que le devoir de tout citoyen est de respecter les lois ; puis il insiste sur une notion particulière qui affirme que «tout contrat fait office de loi entre les cocontractants». Ce qui signifie que tout individu est libre de s'engager par contrat avec autrui… ou de ne pas le faire, le choix lui appartient. Mais, il observe que, si l'on s'engage, alors il faut tenir ses promesses, en l'occurrence payer le loyer régulièrement à Ahmed. Ce qui n'a pas été fait en temps voulu. Et donc, tout en constatant que l'argent du loyer a bien été consigné au tribunal, il rend un jugement d'expulsion contre Driss au motif principal que les loyers n'ont pas été acquittés au moment de l'échéance, ce qui cause un trouble au propriétaire, trouble qu'il convient de faire cesser. Ahmed est satisfait (car, soit dit en passant, obtenir une expulsion auprès d'un tribunal, relève souvent du parcours du combattant) et Driss contre-attaque. Devant la Cour d'appel, il exhibe ses reçus, affirme qu'il est en règle, qu'il l'a toujours été, et que si retard il y a eu, c'est la faute au propriétaire qui ne vient pas encaisser son dû (affirmation du reste totalement gratuite, car en matière de loyer, la jurisprudence estime que c'est au locataire de faire la démarche vers le propriétaire, et non l'inverse). Et, contrairement à toutes les prévisions, la Cour d'appel fit sienne ce raisonnement… pour le moins farfelu. Le conseiller en charge du dossier expliqua, laborieusement il faut le reconnaître, que, certes les loyers sont faits pour être payés rubis sur l'ongle; mais qu'au regard de la situation matérielle difficile que traversait le locataire (de quoi je me mêle, là ?), un léger retard dans le paiement ne constituait pas un drame, (si l'on veut bien admettre que trois ans de retard peuvent être considérés comme légers) et que, finalement, le locataire ayant acquitté l'intégralité des montants dus, la mesure d'expulsion ne se justifiait plus, il convenait de l'annuler ; ce qu'il fit sans hésiter dans son arrêt. Ce dernier est donc une curiosité judiciaire, car il en ressort que l'on peut en toute impunité «oublier» de payer un loyer pendant des lustres, attendre une réaction du propriétaire (qui peut tarder, ou ne jamais avoir lieu, si ce dernier décède par exemple, et avant que les héritiers ne reprennent leurs esprits), et couler des jours paisibles avant que ne survienne une convocation au tribunal. Dans ce cas, il suffit alors de tout payer en bloc… et c'est reparti pour un tour : propriétaire débouté, demande d'expulsion refusée ; le tout, sans sourire, en stricte application des textes en vigueur, en phase avec les jurisprudences craintives, visant avant tout à protéger le faible présumé (le locataire) contre la voracité du profiteur rapace, en l'occurrence le malheureux propriétaire !. Et une idée de plus pour réformer la justice !