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La biotechnologie toujours en quête d'une réglementation
Publié dans La Vie éco le 22 - 10 - 2014

Des milliers de couples recourent à des techniques de procréation médicalement assistée (PMA), un domaine qui n'est pas encadré par une loi spécifique. 3 000 à 3 500 tentatives de fertilisation ont lieu chaque année au Maroc. Un avant-projet de loi réglementant la PMA est déjà prêt. Il sera prochainement discuté par l'Exécutif.
«Je suis mariée depuis 2 ans, mais comme mon mari souffre d'oligospermie (les spermatozoïdes sont présents dans l'éjaculat mais en quantité insuffisante), nous n'avons pas encore d'enfants. Mon gynécologue m'a conseillé une fécondation in vitro (FIV). On a essayé à plusieurs reprises, en vain», nous explique Rachida, la trentaine, vivant à Casablanca. Sujet tabou par excellence, les témoignages sur le sujet sont difficiles à collecter.
Rachida et son mari font partie des dizaines de milliers de couples qui souffrent d'un problème de fertilité. 17 centres, disséminés dans les plus grandes villes du pays, principalement à Casablanca et Rabat, mais aussi à Agadir, Fès et Marrakech sont spécialisés dans ce domaine. Des centres de fertilité pluridisciplinaires qui dépendent, pour une large majorité, des cliniques privées et où l'on retrouve en général des équipes formées d'un gynécologue, un urologue, un andrologue, un biologiste et quelquefois un psychologue. Ils proposent des solutions aux couples qui souffrent de problèmes de fertilité. Remarque de taille : ce genre d'opérations ne se pratique pas dans le service public.
Le bébé tant attendu…
Selon les études menées par la Fédération marocaine de reproduction humaine (FMRH), l'infertilité au Maroc touche un couple sur 17. Autant dire qu'elle concerne une population importante estimée en centaines de milliers de personnes. Dans l'écrasante majorité des cas, ce sont les médecins traitants qui orientent les couples vers la procréation médicalement assistée. «Quand on a pris la décision de passer à la Procréation médicalement assistée (PMA), je n'en ai parlé qu'à ma mère et à une amie intime. Il y a, d'une part, la sensibilité du sujet, notamment par rapport à la religion et, d'autre part, je n'avais pas envie de donner plus d'espoir qu'il ne faut à mon entourage. L'expérience m'a montré que j'avais raison d'opter pour la discrétion», ajoute Rachida.
Autre témoignage, celui d'Amina, une autre femme qui a essayé la FIV sans succès: «L'opération est excessivement coûteuse. La FIV m'a été facturée à 10 000 DH en plus des frais occasionnés par les piqûres de la menopur afin de stimuler les ovaires. De plus, ces médicaments ne sont pas remboursables par la mutuelle. Et tout cela pour un résultat loin d'être positif».
Puis, il y a aussi des rumeurs qui sont loin de faire honneur à cette filière. Comme cette dame qui nous a assuré qu'un médecin de la place ne lui a même pas demandé de procéder à des analyses des hormones et du sperme du mari, afin de voir si la PMA a des chances d'aboutir. «C'est inacceptable que des médecins opèrent ce genre d'opérations coûteuses alors que parfois ils savent qu'elles n'ont aucune chance d'aboutir. Ils donnent un faux espoir aux couples. Ce qui occasionne de la souffrance psychique, mais également physique à cause du traitement qui est à base d'injections d'hormones», ajoute cette même dame. Des professionnels s'aventurent à «gonfler» les chiffres des PMA réussies, en utilisant parfois de la publicité directe ou indirecte, pourtant interdite par le code de déontologie médical ou évoquer une quelconque certification ISO, synonyme d'une expertise avérée…
«La FIV réussit rarement à la première reprise. Il faut au moins trois essais pour maximiser le rendement d'une telle opération. De plus, une FIV est réussie quand la maman sort avec un bébé en bonne santé dans les bras», nous explique un médecin spécialisé. Et d'ajouter: «Le médecin doit informer le couple avant le début du processus des chances réelles de l'aboutissement de l'opération. En cas d'échec, il faut gérer cette situation avec le couple. Le couple doit également être informé des risques de malformation pour le nouveau-né».
En fait, trois techniques sont aujourd'hui utilisées dans les centres privés d'aide à la procréation. Il y a tout d'abord l'IAC ou encore Insémination artificielle avec sperme du conjoint. Il s'agit d'une technique qui consiste à déposer le sperme, préparé au laboratoire, dans l'utérus de la conjointe. Les spécialistes estiment les chances de succès de cette technique à 10%. Ensuite, il y a la FIV, de loin la technique la plus utilisée au Maroc. Il s'agit, «le jour J, à mettre en présence les spermatozoïdes et les ovocytes pour obtenir une fécondation à J+1 puis un embryon à J+2», avec des chances de réussite de 20 à 22% par ponction. Enfin, l'injection cytoplasmique de sperme (ICSI), la troisième technique utilisée au Maroc, consiste à injecter un seul spermatozoïde directement dans l'ovocyte. Les chances de grossesse sont de l'ordre de 20% par ponction. «Depuis déjà quelques années les nouvelles technologies biomédicales commencent à faire leur entrée, notamment la procréation médicalement assistée. D'autres techniques ne vont pas tarder à entrer non plus, comme le génie génétique, l'usage des cellules souches ou encore le clonage. Et tout cela dans un quasi vide juridique», déplore Dr Abderrahim Kounda, pharmacien biologiste et docteur en droit public.
L'usage de la PMA remonte à plus de 30 ans
Même si aucune loi ne réglemente le secteur, mis à part le code de la déontologie, l'usage de la PMA au Maroc remonte à plus de trente ans. La Société marocaine de fertilité et de contraception (SMFC) a été créée en 1982. La première naissance par FIV a été réalisée en 1991 ! Selon la SMFC, il y a entre
3 000 et 3 500 tentatives de fertilisation qui ont lieu chaque année au Maroc. Des tentatives qui aboutissent à la naissance de 300 à 400 enfants annuellement. Entre 80 à 90% des PMA prennent la forme de fécondation in vitro. Autre remarque importante : le traitement coûte cher. Une fécondation in vitro entraîne des dépenses de l'ordre de 25 000 DH en incluant les différents examens, bilans et suivi médical. C'est le code de déontologie, élaboré en 1922 et remanié dans les années 50 qui gère encore cette pratique médicale. Alors que des questions éthiques relevant de la PMA sont souvent soulevées…
«Après l'implantation de 2 ou 3 embryons, comme c'est la règle aujourd'hui, que va-t-on faire des embryons surnuméraires ? En effet et grâce à la stimulation ovarienne on peut obtenir jusqu'à 8 ovocytes et donc après fécondation 8 embryons. Cela pose le problème du devenir des embryons non implantés, qui ne peut être que la destruction puisqu'on ne peut pas les congeler et par-delà se pose le problème du statut de l'embryon», s'interroge Dr Kounda. Et d'ajouter : «On peut aisément s'attendre un jour ou l'autre à être confrontés à des demandes pour lesquelles la réponse par la négative n'est pas automatique, telles que l'insémination post-mortem, la maternité de substitution ou encore la recherche sur l'embryon, situations auxquelles il faudra, dans le cadre d'une loi de bioéthique relative à la PMA, donner des réponses satisfaisantes. D'où l'urgence d'une réglementation de cette activité médicale».
Chez les professionnels de la PMA, on évoque l'existence d'un projet de loi, dans sa mouture définitive, qui est chez le ministère de la santé. «Le projet de loi a été élaboré par un comité compétent et désigné, formé par d'éminents spécialistes des sciences, de la culture et de la religion. Cette loi vient pour canaliser comme c'est le cas dans tous les autres pays islamiques, la pratique de la PMA sous le prisme de la charia avec son lot de droits et d'obligations», explique Mohamed Yacoubi, président de la Société marocaine de fertilité et de contraception.
Alors qu'elle n'est pas encore effective, la loi vient tracer les contours de la profession. «La PMA est destinée à des couples légalement mariés. Les gamètes (spermatozoïdes et ovules) doivent impérativement provenir des deux époux exclusivement. Le don d'ovocytes ou de spermatozoïdes, de même que le don d'embryons sont interdits», déclarait déjà M. Yacoubi à la revue Doctinews en février dernier. Quant aux embryons surnuméraires, «ils peuvent être conservés pour une période de cinq ans, congelés ou vitrifiés. Les parents doivent bien sûr être avertis et s'acquitter des frais annuels de cette conservation. En cas de rupture du couple, du décès de l'un des époux, les embryons seront détruits, après avis recommandé aux époux, et au bout de 3 mois sans réponse à l'avis recommandé. En cas de non paiement des frais de conservation, le couple est avisé par 2 avis recommandés. Et s'ils restent sans réponse, il sera procédé aussi à la destruction des embryons», explique M. Yacoubi. La gestation pour autrui, qui est aujourd'hui en débat notamment en France, est strictement interdite au Maroc. Une interdiction qui sera entérinée par la tant attendue loi. Idem pour le sexage, une pratique qui consiste à choisir au préalable le sexe du nouveau-né.
«Le diagnostic préimplantatoire (DPI) n'est autorisé que dans un but thérapeutique. Cette pratique qui consiste à prélever une ou deux cellules sur un embryon de huit cellules pour analyser la formule chromosomique, demande de la technicité, de la notoriété et de la crédibilité. Le DPI ne peut en aucun cas servir à sélectionner le sexe», ajoute encore M. Yacoubi. Le DPI devrait, selon les termes de la prochaine loi, n'avoir comme finalité que la recherche d'affections et la définition de moyens de les prévenir et de les traiter. Il ne peut par ailleurs être réalisé que sous autorisation spéciale et sous réserve du consentement écrit des deux conjoints. Autre point important que la réglementation devrait régler, ce sont les devoirs du médecin envers le couple, et ce, afin de pallier tout abus.
Professionnels du secteur, couples souffrant de problèmes de fertilité ainsi que les deux comités d'éthique pour la recherche biomédicale de Casablanca et de Rabat sont en attente d'une réglementation salvatrice pour cette pratique médicale. Le seul rempart contre les dérives de tous genres reste la conscience professionnelle des praticiens… Ce qui est loin d'être suffisant !


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