Au cœur de la capitale du Royaume, la gare de Rabat-Ville se dresse fièrement, témoin d'un siècle d'histoire marocaine. Plus qu'un simple nœud ferroviaire, cet édifice emblématique raconte, à travers ses pierres et ses quais, l'évolution d'une nation en marche vers la modernité. L'histoire de la gare de Rabat-Ville a commencé au début du XXe siècle, soit à l'ère du Protectorat français. En 1912, le Résident général Lyautey, visionnaire et bâtisseur, a lancé un vaste projet d'urbanisation de la Capitale, en pleine occidentalisation ces années-là. La construction d'une gare moderne fut au cœur de ce plan ambitieux, destiné à faire de la ville la vitrine administrative du pays.
C'est à l'architecte français Adrien Laforgue que l'on doit la conception de ce joyau architectural, actuellement en pleins travaux de rénovation. Inaugurée en 1923, la gare ébahit d'emblée par son style néo-mauresque, fusion harmonieuse entre les techniques de construction modernes et l'esthétique traditionnelle marocaine. Sa façade, ornée de motifs géométriques et de céramiques colorées, devint rapidement une icône de la ville.
Cet édifice avant-gardiste pour son époque joua un rôle crucial dans le développement économique et social de Rabat et ne tarda pas à devenir le point d'entrée des voyageurs et des marchandises, reliant la capitale au reste du pays. Les quais de la gare ont, sans excès de langage, vu défiler l'Histoire : de l'arrivée des administrateurs coloniaux, jusqu'au retour triomphal du Sultan Mohammed V de Son exil en 1955, en passant par le départ des soldats pour les deux guerres mondiales...
Nous pourrions lire dans les archives de notre confrère Al Alam que lors de la période du Protectorat, la gare fut aussi le théâtre de la ségrégation coloniale car il y avait des salles d'attente séparées pour les Européens et les Marocains, témoignant des inégalités de l'époque. Ces espaces, aujourd'hui réunifiés, rappellent le chemin parcouru par la nation marocaine vers l'Indépendance et l'égalité.
L'indépendance du Maroc en 1956 a marqué un nouveau tournant dans l'Histoire. Symbole de la souveraineté retrouvée, la gare est devenue le point de départ des grands projets ferroviaires nationaux. L'Office National des Chemins de Fer (ONCF) a pris les rênes de la gestion, insufflant une nouvelle dynamique à l'infrastructure ferroviaire du pays.
Au fil des décennies, la gare de Rabat-Ville s'est adaptée aux évolutions technologiques tout en préservant son cachet historique. Dans les années 1980, l'électrification de la ligne Casablanca-Fès a marqué une nouvelle ère de modernisation et la gare a pu y accueillir ses premiers trains électriques, conjuguant tradition et progrès.
Le XXIe siècle a, quant à lui, apporté son lot de transformations: en 2011, la mise en service du Train Navette Rapide (TNR) entre Casablanca et Kénitra a donné un nouveau souffle à la gare. L'arrivée du TGV Al Boraq en 2018 a suffi pour faire de Rabat-Ville un hub ferroviaire majeur, reliant la capitale aux grandes métropoles du pays, et ce, à grande vitesse.
Malgré ces évolutions, la gare a su préserver son âme. D'ailleurs, une rénovation minutieuse en 2014 a permis de restaurer les éléments architecturaux d'origine tout en modernisant les infrastructures et l'horloge emblématique de la façade, les mosaïques colorées et les plafonds en bois sculpté continuent d'émerveiller les nostalgiques des lieux, malgré les travaux qui commencent à s'éterniser...
Rappelons qu'il y a un peu plus d'un an, ces travaux pharaoniques avaient été interrompus, principalement pour des raisons de préservation du patrimoine. L'UNESCO, par le biais de son bureau à Rabat, avait confié à «L'Opinion» ses préoccupations quant à l'éventuel impact des rénovations sur l'intégrité historique du site.
Mais après de nombreuses années de scepticisme à l'égard du chantier de rénovation de cette gare ferroviaire, la récente décision d'abandonner sa structure métallique extérieure et de la remplacer par un design novateur vient marquer un tournant charnière dans l'avancement du projet que d'aucuns croyaient interminable.
Rétrospective : La gare de Rabat-Ville, il y a un siècle... Selon une ancienne revue de presse française, la gare de Rabat-Ville, peu après son inauguration en 1923, offrait un spectacle saisissant. Les journalistes de l'époque décrivaient un édifice qui se dressait, majestueux et neuf, au cœur de la capitale marocaine. Sa façade fraîchement achevée brillait sous le soleil méditerranéen, captivant le regard des passants et des voyageurs.
Les chroniqueurs à la radio s'émerveillaient, quant à eux, devant le style néo-mauresque de la gare qu'ils qualifiaient de fusion audacieuse entre l'architecture traditionnelle marocaine et les influences Art déco de l'époque. La façade principale était décrite comme un véritable chef-d'œuvre ornemental. Des motifs géométriques complexes, typiques de l'art islamique, s'entrelaçaient sur les murs, créant des jeux d'ombre et de lumière fascinants.
Les articles évoquaient avec enthousiasme les céramiques colorées, fraîchement posées, qui éclataient de mille feux. Des bleus profonds, des verts émeraude et des ocres dorés se mêlaient harmonieusement, rappelant les zelliges des palaces marocains. Les journalistes notaient que les arches élégantes et les coupoles délicatement ouvragées conféraient à l'ensemble une allure à la fois imposante et légère.
L'entrée principale était encadrée par de hautes colonnes aux chapiteaux finement sculptés. Au-dessus, une grande horloge trônait, symbole de la modernité et de la ponctualité du chemin de fer.
À l'intérieur, le hall d'accueil frappait par sa luminosité. De grands vitraux colorés filtraient la lumière, créant une ambiance chaleureuse et presque mystique. Le plafond à caissons, richement décoré, semblait flotter au-dessus des voyageurs. Les guichets en bois précieux, fraîchement vernis, s'alignaient le long d'un mur, tandis que des bancs en bois sculpté offraient des places d'attente confortables. Le sol était recouvert de carreaux de céramique formant des motifs géométriques complexes, en écho à ceux de la façade. L'odeur du bois neuf et de la peinture fraîche se mêlait aux effluves des épices et du thé à la menthe provenant du petit café de la gare. Sur les quais, les rails brillaient, presque neufs et les trains à vapeur, symboles de progrès et de modernité, attendaient les voyageurs, leurs cheminées crachant de petits nuages de fumée dans l'air du matin. Dans sa jeunesse, la gare de Rabat-Ville incarnait l'alliance parfaite entre la tradition marocaine et la modernité apportée par le chemin de fer et elle était le témoignage vivant d'une époque charnière où le Maroc s'ouvrait au monde tout en conservant fièrement son identité culturelle.
Architecture : Un écrin de beauté entre tradition et modernité Au cœur de la capitale marocaine se dresse un édifice ferroviaire qui, depuis près d'un siècle, captive le regard des voyageurs et des passants. Laforgue, l'architecte à qui nous devons ce fleuron imprégné de la richesse culturelle marocaine, a su créer une œuvre qui transcende les époques et les styles. Car, qu'on se le dise, la gare frappe d'emblée par son style néo-mauresque, soit cette espèce de fusion harmonieuse entre les techniques de construction modernes et l'esthétique traditionnelle marocaine.
La façade de la gare est un véritable festin pour les yeux: ornée de motifs géométriques complexes et de céramiques aux couleurs éclatantes, elle évoque les palais et les médinas du Royaume tout en intégrant des éléments Art déco en vogue à l'époque.
L'intérieur de la gare, (ce à quoi il est censé ressembler après les travaux et ce à quoi il ressemblait aux origines) ne dément pas la promesse de sa façade, car les voyageurs sont accueillis dans un hall spacieux où la lumière, filtrée par des vitraux légèrement colorés, crée une ambiance feutrée et chaleureuse. Les plafonds à caissons, les arches élégantes et les zelliges qui ornent les murs témoignent du souci du détail et de la volonté de créer un espace à la fois fonctionnel et esthétique.
Au fil des décennies, la gare de Rabat-Ville est devenue un point de rencontre, un repère urbain et un symbole de l'identité de la capitale marocaine. Malgré les modernisations successives pour répondre aux exigences du transport ferroviaire contemporain, l'essence de sa conception originale a été préservée.
Aujourd'hui, alors que Rabat connaît un développement urbain sans précédent, la gare demeure un témoin précieux de l'époque où la ville commençait à s'affirmer comme capitale moderne.
Bio express : Laforgue, l'architecte de la modernité urbaine Adrien Laforgue (1871-1952) est une figure emblématique de l'architecture coloniale au Maroc, ayant grandement contribué à la transformation urbaine de Rabat au début du XXe siècle. Né à Montevideo (Uruguay), il s'est installé à Rabat en 1913, à l'âge de 42 ans, après une carrière en France où il a principalement conçu des hôtels particuliers. Son arrivée coïncide avec la mise en place de la politique urbaine du maréchal Lyautey, premier résident général du Protectorat français au Maroc.
Rapidement intégré au service des plans de villes dirigé par Henri Prost, Laforgue participe activement à l'élaboration de la ville nouvelle de Rabat. Il collabore notamment avec Albert Laprade, avec qui il partage une vision moderniste de l'architecture, alliant simplicité et unité. Parmi ses réalisations les plus notables figure l'avenue Dar-el-Makhzen (aujourd'hui avenue Mohammed V), axe principal reliant la médina à la ville nouvelle. Cette avenue, aux proportions monumentales, est bordée de bâtiments administratifs emblématiques conçus par Laforgue, tels que la poste, la gare, la Trésorerie générale, le palais de justice et la direction des P.T.T. Il élabore également le cadre réglementaire de cette artère, fournissant les plans des édifices types à y construire.
Son style architectural évolue au fil du temps, passant d'un académisme classique à une modernité épurée, influencée par ses confrères et le contexte local. Laforgue intègre des éléments de l'architecture marocaine, tels que l'utilisation de zelliges, de toitures en tuiles vernissées et de la pierre de Salé, tout en conservant une approche néoclassique.
Au-delà de ses réalisations architecturales, Laforgue joue un rôle clé dans la définition de l'esthétique urbaine de Rabat, contribuant à l'identité visuelle de la capitale marocaine. Jusqu'à sa mort en 1952, Adrien Laforgue demeure un acteur central de l'urbanisme au Maroc, laissant un héritage durable dans le paysage architectural de Rabat.
Actualité : Un souvenir derrière et une merveille devant Longtemps sources d'incertitudes et de tensions, les désaccords entre l'UNESCO et l'ONCF, les reports successifs et le flou entourant le projet de réaménagement de la gare ferroviaire de Rabat-Ville ont laissé place à une issue favorable: la polémique autour de l'impact du projet sur le patrimoine historique de la capitale s'est dissipée, grâce aux ajustements apportés à la conception initiale.
L'ONCF a veillé à préserver l'identité architecturale de la gare tout en assurant son intégration harmonieuse dans l'environnement urbain classé au patrimoine mondial. Les différends liés à la structure métallique ont disparu comme par enchantement, et la nouvelle configuration respecte désormais les exigences culturelles et patrimoniales de la ville.
Rappelons qu'après de nombreuses explications demandées par l'UNESCO fin 2018, le Maroc a veillé tout au long de l'année 2019 à convaincre l'organisation du bien-fondé de certains des projets réprouvés. Bien mieux, il a fallu apporter la démonstration que ces projets ne menaçaient pas le patrimoine culturel de la capitale, mais visaient plutôt à le valoriser. C'est ainsi qu'en amont, plusieurs audits ont été menés pour mettre en avant ce que fait le Maroc pour sauvegarder son patrimoine culturel, à Rabat et ailleurs.
Aujourd'hui, alors que les derniers obstacles appartiennent au passé, la Capitale s'apprête à accueillir une gare moderne et emblématique, à la hauteur de son statut de capitale culturelle.