L'opposition a rejeté en bloc l'avant-projet de loi que le gouvernement a remis aux partis pour concertation. Bien que le PJD n'ait pas encore réagi officiellement, certains dirigeants du parti ont fortement critiqué le texte. Composé de 254 articles, le texte accorde une place importante à la gestion et aux finances des régions. Plus de quatre après le discours de janvier 2010 et trois ans après la présentation, le 10 mars 2011, du rapport de la Commission consultative de la régionalisation (CCR) et l'adoption d'une nouvelle Constitution, la régionalisation avancée est toujours au stade de projet. Ou plutôt d'avant-projet, si l'on parle de la loi organique qui devrait permettre de démarrer ce chantier. Et pour ne pas arranger les choses, voici que l'opposition rejette cette première mouture que le gouvernement vient enfin de livrer à mi-parcours de son mandat. Les quatre formations de l'opposition (Istiqlal, PAM, USFP et UC) signataires d'un mémorandum adressé au chef du gouvernement justifient leur réaction par le fait que cet avant-projet remis aux chefs des partis politiques, dans le cadre de la concertation, ne correspond pas aux attentes créées par le discours de janvier 2010, le rapport de la CCR et la Constitution. Ainsi, après «examen approfondi» de ce texte, les quatre formations de l'opposition relèvent qu'«il est en deçà du minimum prévu par l'article 146 même de la Constitution». Et cela dans le sens qu'«il ne comporte aucune introduction ou mention des choix fondamentaux qui fondent le projet de loi organique ou en rapport avec l'article 9 de la Constitution». De même que cette première mouture de la loi organique de la régionalisation avancée «ne prévoit pas de dispositions pratiques de mise en œuvre du principe de gestion indépendante telle que prévue par l'article 136 de la Constitution tout en renforçant, a contrario, le contrôle administratif de ladite gestion». Autre grief retenu contre ce texte, «il lie, dans un certain sens, l'institution du président de la région à l'autorité de tutelle et crée ainsi un déséquilibre patent au profit de cette dernière». Cela d'autant qu'«il ne comporte pas de mécanisme de nature à favoriser la discrimination positive en faveur du relèvement du taux de représentativité de la femme conformément aux articles 19 et 30 de la Constitution». Un G4 en gestation ? Ce ne sont là que quelques observations qui motivent le rejet du texte par l'opposition et la suspension du dialogue entre le gouvernement du PJD et les quatre formations sur ce texte. A moins que l'Exécutif ne re-formule ce projet de loi organique dans le sens d'«une réelle mise en œuvre de la démocratie locale, y compris en intégrant les propositions et suggestions communes de l'opposition et les recommandations à venir des partis». C'est que, selon l'opposition, ce que propose le gouvernement «n'indique nullement que l'on a affaire à un projet de nature à libérer les énergies et potentialités de la région et des élites locales ou à suggérer un modèle rénové de développement, sans oublier qu'il ne tient aucun compte des spécificités culturelles et du patrimoine immatériel de chaque région, des impératifs de démocratie inclusive et du rôle constitutionnel des diverses collectivités territoriales, pas plus qu'il ne s'inspire du débat et de la dynamique sociaux en la matière…». Au-delà de son objet, certains analystes politiques voient déjà en cette initiative les prémices d'un bloc politique, un nouveau G4 qui s'annonce. Car, c'est la première fois que toutes les formations politiques rejoignent leurs forces dans une même action antigouvernementale. Cela d'autant que les réactions de l'opposition à la déclaration à mi-mandat du chef du gouvernement se recoupent sur plusieurs aspects. Mais c'est là un autre sujet. La Constitution est-elle respectée ? Bref, dans l'autre camp, celui des partis de la majorité, il semble que l'on ne veut pas précipiter les choses. Leurs groupes parlementaires avaient annoncé une journée d'information à la première Chambre sur la question, pour le 21 juillet dernier, avant de la reporter sine die. En même temps, les cadres du PJD multiplient leurs sorties qui, plus est, ne ménagent pas non plus le texte. Le PJD, du moins officieusement, semble ne pas vouloir laisser à l'opposition le «privilège» de descendre, à elle seule, ce texte. Certains ténors du PJD l'ont qualifié de «décevant», parce qu'«en deçà des attentes créées par la Constitution». C'est le cas notamment de Noureddine Karbal, l'un des théoriciens du PJD et membre du cabinet de Lahbib Choubani, qui vient d'en faire une lecture très critique, alors que l'ancien ministre et président du conseil national, Saâd-Eddine El Othmani, dénonce «les tentatives de limitation des larges prérogatives attribuées au président de la région». Il estime par ailleurs que la nouvelle Constitution a prévu un plancher en matière de régionalisation avancée et que tout projet de loi doit respecter. D'autres députés et analystes politiques du parti ont formulé des critiques plus ou moins virulentes, sans pour autant que le parti, en tant qu'institution, ne prenne une position claire et tranchée sur le sujet. Le dossier est donc dans une impasse. Et dire que dès la mi-2012, le gouvernement avait annoncé une vaste campagne de constatation avec les partis politiques (www.lavieeco.com) sur un ensemble de questions liées à la régionalisation avancée afin justement d'aboutir à un texte consensuel. Il n'en a rien été, surtout que quelques mois plus tard, le chef du gouvernement devait faire face à une crise qui a fait éclater sa majorité. Pour revenir à cet avant-projet de loi, des observateurs politiques estiment qu'il va à l'encontre de l'article 146 qui parle d'un seul texte de loi pour toutes les collectivités territoriales (les régions, les conseils provinciaux et préfectoraux et les communes). En ce sens, si le gouvernement devait réserver un texte exclusivement à la Région, dans ce cas il faut dix textes pour encadrer les dix aspects relatifs à la régionalisation avancée mentionnés dans cet article. L'avant-projet remis aux acteurs politiques porte, en effet, uniquement sur les conditions d'une gestion démocratique des affaires de la Région, d'exécution de ses délibérations et ses décisions, ses prérogatives propres, celles partagées avec l'Etat et celles transférées par ce dernier. Le texte fixe également le régime financier de la Région, ses sources de financement, la gestion des fonds de mise à niveau sociale et du fonds de solidarité interrégional et les conditions de création de groupement de Régions. Il fixe bien entendu les règles de gouvernance, les principes de gestion libre et de contrôle des fonds et programmes et d'évaluation des actions les concernant ainsi qu'il consacre le principe de reddition des comptes. Le texte définit la Région comme une collectivité territoriale de droit public qui bénéficie de la personnalité morale et d'autonomie administrative et financière. Elle constitue l'un des niveaux de l'organisation territoriale, décentralisée et basé sur la régionalisation avancée. La Région est gérée par un conseil élu démocratiquement au suffrage universel direct. Les décisions du conseil sont exécutées par un président élu parmi les membres du conseil. Voilà pour le principe, comme il est stipulé dans l'article 9 de l'avant-projet qui en compte 254 en tout et pour tout. Le président est désigné parmi les candidats tête de liste des partis (ou des listes électorales) élus au conseil. Certains analystes estiment que le législateur pouvait aller plus loin en s'inspirant de l'article 47 de la Constitution qui prévoit que le chef de parti arrivé en tête des élections est nommé chef du gouvernement. De même, le candidat à la tête de la liste qui aura recueilli le plus de votes devait être désigné automatiquement à la présidence de la Région. Bref, l'élection du président se fait à la majorité absolue, au premier tour, à défaut, un second tour est prévu pour départager les candidats au score voisin (art. 17). Et même une fois élu, il n'est pas assuré d'accomplir la totalité du mandat, puisque l'article 76 de ce texte prévoit une motion de destitution du président, pour des motifs clairement définis par la loi, signée par le tiers des membres du conseil après trois ans au poste. Là encore, l'une des critiques adressée à ce texte estime que cette clause pourrait engendrer des blocages souvent mus par des considérations politiques ou personnelles des membres du conseil. Naturellement, le mandat du président est incompatible avec celui de président d'une autre collectivité territoriale, Chambre professionnelle, parlementaire et membre du gouvernement (art.19). En plus du président et ses adjoints, le conseil de la Région, qui se réunit trois fois par an (art.36), est doté de trois commissions, le budget, les affaires financières et la planification, le développement économique, culturel, social et environnemental et l'aménagement du territoire (art. 29). Sur ce point aussi, il est suggéré de former une quatrième commission qui se chargerait des conventions et autres relations contractuelles de la Région. La décision est prise au sein du conseil à la majorité relative, sauf dans certains cas précisés par ce texte, dont le vote du budget du programme de développement régional ou du plan d'aménagement régional, entre autres (art. 48). La tutelle, le partage des compétences…, les points qui fâchent La Région est également dotée d'une administration (art. 128) composée d'une direction générale et une direction des affaires de la présidence ainsi que d'une agence régionale dotée d'une personnalité publique et d'une autonomie financière chargée d'exécuter les projets de la région. La région peut également, quand le besoin s'en fait sentir, créer des sociétés de développement local (art. 148). Cet avant-projet sur la régionalisation prévoit également la création de deux fonds spéciaux (art. 177). Le gouvernement suggère pour les régions à faibles ressources, la mise en place d'un fonds de solidarité interrégionale. Le second, quant à lui, vise à résorber les déficits. Le texte compte accorder aux régions des subventions à hauteur de 20% du budget de l'Etat (art. 180). Et comme c'est le cas au niveau du Parlement, la transhumance des élus régionaux est formellement interdite sous peine de se voir déchus de leur mandat (art. 53). Et, contrairement aux députés, seuls les membres du bureau de la région et les présidents des commissions reçoivent une rémunération (art. 54). Bien sûr, le texte prévoit des procédures pour la démocratie participative et ouvre la voie à la participation de la société civile à la prise de décision (art. 81 à 86). En outre, le texte a détaillé les rapports entre le président de la région et le wali. Et même si le président devient ordonnateur de paiement, le budget de la Région ne peut être exécutable sans le visa du wali (art.193). De même que certaines décisions du conseil doivent être validées par le wali, ce que le président du conseil national du PJD appelle «contrôle a priori de certains projets de la région», qu'il rejette d'ailleurs. Quant aux rapports avec l'Etat central, il semble que le législateur ait préféré procéder de manière graduelle. Certaines prérogatives vont être transférées sans problèmes, alors que d'autres ne peuvent l'être que partiellement et de manière progressive. D'autres encore ne sont cédées qu'à titre expérimental pour une durée déterminée et seulement pour certaines régions. Là encore, les critiques sont très dures. Il est vrai que certains analystes estiment que nos élites locales ne sont pas encore assez outillées pour faire réussir ce projet et qu'il fallait procéder de manière progressive. Les politiques, eux, y voient une sous-estimation de leurs compétences et une dévalorisation de leur rôle. C'est pour dire que nous sommes devant un projet qui est loin de recevoir l'assentiment prévu des différents acteurs politiques. A noter, comme le précisent certains analystes politiques, que le terme même de la régionalisation avancée est nouveau et ne correspond à aucune réalité en droit administratif. Ce qui leur fait dire que le régime de la régionalisation avancée est un concept typiquement marocain qui devrait se situer quelque part entre la décentralisation administrative et la régionalisation telle que pratiquée dans des pays comme l'Espagne et l'Allemagne. Quant au nombre des régions (la CCR en a retenu 12) et au découpage, c'est une autre question. Le Parlement a bien voté une loi portant principes généraux du découpage territorial, mais pour le moment, il ne s'agit justement que des principes généraux. Pour les régions, il s'agira de prendre en compte à la fois des considérations de viabilité économique et des impératifs démographiques, culturelles, historiques et linguistiques. Ce qui est tout un chantier. Avec en plus la contrainte temps qui commence à peser sur tout ce travail qui doit être bouclé dans neuf mois. C'est dire combien la gestation sera pénible.