Le PJD flirte avec l'Istiqlal, le PPS se retrouve le plus souvent avec l'opposition. Les lois électorales, la loi organique des finances, la peine de mort, les droits de la femme perturbent la notion opposition/majorité. Au Maroc, le mode de scrutin fait que la majorité ne peut être que numérique. Le récent débat sur les fonds spéciaux vient de fausser encore une fois le jeu politique. Que le PJD et l'Istiqlal (avec d'autres formations de l'opposition) fassent cause commune contre le ministre des finances, et par ricochet le gouvernement, aura eu pour conséquence d'effacer le clivage entre les deux camps. Cette alliance, contre-nature, opposition/majorité porte, de même, un coup dur, à la fois, à la cohésion de la majorité et annihile tous les efforts consentis par le chef du gouvernement pour ressouder sa nouvelle alliance. Cela d'autant qu'il s'agit là de son propre parti qui joue une partition qui n'est pas celle de la coalition gouvernementale. Le RNI se retrouve acculé, et l'institution parlementaire paralysée. Une séance plénière qui devait se tenir, mardi 24 juin, pour voter le projet de loi organique des Finances, dont l'article 8 est derrière cette discorde, a été reportée sine die. Entre-temps, les acteurs politiques, l'opposition en particulier, s'interrogent : et si le chef du gouvernement n'arrivait pas à convaincre son propre groupe parlementaire, comment le ferait-il avec ceux de ses partenaires de la majorité gouvernementale ? Cela arrive à un moment où, pour reprendre les termes d'un dirigeant de parti membre du gouvernement, «le pays n'a pas besoin d'une nouvelle crise politique. Il y a des urgences auxquelles il faut répondre. Les citoyens ont des exigences et des attentes précises qui doivent être satisfaites». Les partenaires du PJD au gouvernement ne doivent pas avoir oublié aussitôt que la crise avec l'Istiqlal a coûté plusieurs mois au gouvernement alors que le temps politique ne supporte pas un tel gaspillage. La grande question étant de savoir comment le chef du gouvernement, qui assure avoir pris en charge la supervision politique des élections, arrivera à faire aboutir les concertations entre partis et gouvernement et faire adopter des textes de loi relatifs aux élections. Là encore, le PJD adopte une position qui n'est pas celle de l'ensemble des membres de la coalition, mais plutôt proche de celle des deux ténors de l'opposition, l'USFP et l'Istiqlal. Et cela qu'il s'agisse de l'organisation électorale dans son ensemble, sa supervision et son déroulement ou de certains aspects particuliers comme les listes électorales, le découpage électoral ou encore le mode de scrutin et le seuil électoral. En ce domaine les dissonances sont criardes entre les membres de la majorité et les rapprochements opposition-PJD sont patents. Avec cette nuance que ce sont aujourd'hui l'USFP et l'Istiqlal qui appellent à la création d'une commission de supervision des élections, alors que c'était une revendication du PJD avant qu'il ne dirige le gouvernement. Sauf que l'Istiqlal et ses alliés socialistes, sont allés plus loin en déposant une proposition de loi portant création et organisation et fonctionnement de cette instance. Un souci purement électoral L'on perçoit aisément les motivations des islamistes qui veulent accaparer le plus grand nombre de présidences de communes au lendemain des prochaines élections locales. Ce qui leur permettrait, note cet analyste politique, non seulement de doper leur représentation à la deuxième Chambre, mais également de percer aux élections législatives une année plus tard et garder ainsi toutes leurs chances de reconduire le gouvernement pour un deuxième mandat. Or, il se trouve qu'à l'issue des communales de 2009, ce sont ses alliés de la majorité, avec le PAM, qui président justement un nombre important de ces assemblées locales. Du coup, le PJD semble appréhender ses alliances, non plus au vu d'une charte de la majorité qu'il a pourtant veillé à faire parapher à ses autres alliés, mais au gré de ses propres intérêts. Cette attitude est nettement perceptible sur le plan local où le PJD s'est allié à tout le monde un peu partout, à chaque fois que l'opportunité s'en présente. Le PPS, pourtant allié indéfectible du PJD, s'est lui aussi démarqué par la nature de ses positions qui versent souvent dans le sens des réactions de l'opposition. Que ce soit lors de la polémique créée autour des fameux cahiers des charges de l'audiovisuel du ministre de la communication Mustapha El Khalfi, ou à chaque fois qu'il s'agit d'une question relative aux droits de la femme (le mariage de mineurs, l'article 475 du code pénal, la situation de la femme en général,..) ou encore quand il a été question de la réforme de la Caisse de compensation, ou celle projetée des caisses de retraite, le PPS fait, le plus souvent, cause commune avec les partis de l'opposition que ce soit ses anciens alliés de la Koutla, ou même le PAM. Autre manifestation de ce rapprochement entre les deux camps, et cette fois sur un sujet de grande sensibilité et de dimension internationale, celui relatif au boycott d'Israël. Islamistes du PJD, conservateurs de l'Istiqlal et socialistes du PPS et de l'USFP ont signé une proposition de loi commune portant criminalisation de toute forme de normalisation avec l'Etat hébreu. Que cette «normalisation», soit culturelle, sociale, institutionnelle ou commerciale, peu importe. Que les personnes impliquées traitent avec des juifs d'origine marocaine, qui restent après tout des Marocains, cette proposition ne fait pas dans les nuances. Quand USFP et PJD font cause commune S'il est un autre cas où les clivages sont marqués entre les membres d'une même coalition gouvernementale, c'est celui de l'abolition de la peine de mort. Début janvier, les députés de l'Istiqlal, de l'USFP, du PAM, mais aussi du PPS, du MP et de l'UC ont jugé utile d'effacer les frontières entre opposition et majorité en élaborant une proposition de loi portant amendement du code pénal et du Dahir formant code de justice militaire. Le texte concrétise une volonté des parlementaires d'abolir la peine capitale. Cette proposition de loi est, toutefois, venue concurrencer une autre déposée par les députés du PJD, qui préfèrent limiter la réforme à une réduction des crimes entraînant la peine de mort. Ces accointances entre opposition et majorité ne datent pas d'aujourd'hui. Et presque tous les partis ont un jour ou un autre eu à joindre leur force à celle d'un adversaire politique contre leur propre clan. L'on se souvient encore du rapprochement ou des tentatives de rapprochement, sous le gouvernement Abbas El Fassi, entre l'USFP, alors membre du gouvernement, et le PJD. C'était en 2008, l'USFP et le PJD ont fait cause commune contre les «cadeaux fiscaux» concédés par le gouvernement, faisant référence notamment aux allègements fiscaux relatifs à l'IS sur les établissements financiers et bancaires prévus dans le texte du projet de Loi de finances 2008 préparé par Salaheddine Mezouar, alors ministre de l'économie et des finances. Cette «alliance» s'est étendue à d'autres domaines. Ce qui a fait dire alors au député devenu ministre de l'enseignement supérieur, Lahcen Daoudi, que «sur le volet social, les députés de l'USFP soutiennent nos positions sur plusieurs points. Nous espérons plus de coordination avec eux». Les deux partis ont, en effet, adopté par la suite une position commune concernant la réforme de la Caisse de compensation. Même sur le volet politique, et vers la fin du mandat de Abbas El Fassi, alors qu'il était question de préparer les élections anticipées de novembre 2011, les propositions d'amendements des lois organiques ont fait que des blocs se sont constitués indépendamment du fait que les partis qui les forment soient de l'opposition ou de la majorité gouvernementale. Cette même législature a connu un phénomène, pour le moins étrange. Deux partis, l'un de l'opposition et l'autre de la majorité ont formé un groupe parlementaire commun. C'est ainsi que les députés membres du groupe «Rassemblement constitutionnaliste» formé du RNI et de l'UC n'ont trouvé aucune gêne à travailler ensemble, proposer les mêmes amendements et voter des textes en commun. A l'époque l'on imputait ce genre de comportement à l'absence d'une charte de la majorité. L'actuelle majorité gouvernementale en a élaboré et signé deux fois, l'une à l'investiture et l'autre à l'occasion du remaniement du mois d'octobre dernier. Pourtant, cela n'a pas empêché cette diversité de réactions et de positions. Ce qui importe, c'est le nombre Selon plusieurs politologues, les différences idéologiques au sein même du gouvernement, où le socialiste côtoie le libéral et le conservateur islamiste, sont à l'origine d'un grand nombre de ces divergences et ces prises de positions parfois antinomiques. «L'actuel gouvernement ne représente pas une identité politique cohérente et solidaire», note-t-on. Ces positions exprimées aussi bien par les ministres que les partis membres de la majorité ont, certes, embarrassé le chef du gouvernement (quand ce ne sont pas ses propos qui indisposent ses alliés), mais il se retrouve incapable d'agir, pour mettre fin à ses dissonances, de peur de mettre en péril une alliance au demeurant très fragile. Cela aurait pu être le cas si les prémices d'alliance parues avant les élections s'étaient confirmées. A l'époque, il a été question d'un clan nationaliste, la Koutla à laquelle le PJD aspirait à appartenir pour former la Koutla historique, mais sans résultat. Il y avait également le clan socio-libéral, qui formait le noyau dur du G8. Il y avait enfin les islamistes du PJD appuyés par les courants salafistes. Mais les élections ont fait que c'est le PJD qui les a remportées et a, tout de suite, entrepris de détruire ces deux alliances, la Koutla et le G8, pour construire sa propre majorité gouvernementale. Le politologue Mohamed Darif va plus loin, lui. Il estime qu'au Maroc, la ligne séparant majorité et opposition n'a jamais été étanche. La culture du consensus y est également pour beaucoup. Au lieu de trancher une question par le vote, on cherche une formule qui satisfasse tout le monde. Or, avec une nouvelle Constitution, la notion des programmes électoraux, à laquelle les partis commencent à s'initier, et surtout le fait que la loi fondamentale ait institutionnalisé l'opposition, et le principe de l'alternance même, tout cela devait instaurer une ligne de démarcation entre opposition et majorité. Cependant, note M. Darif, il se trouve que la majorité au Maroc ne peut être que numérique. Le parti qui remporte les élections doit faire appel au soutien numérique d'autres formations pour arriver à la majorité gouvernementale. L'objectif ne sera pas forcément de pouvoir constituer un bloc homogène, mais de réussir à rassembler un groupe de plus de 198 députés. Or, avec ce chiffre, Abdelilah Benkirane en a fait l'expérience à deux fois, il est numériquement plus difficile d'arriver à une majorité cohérente. D'autant plus qu'au Maroc les alliances préélectorales ne servent pratiquement à rien avec un scrutin de liste à un seul tour. Faut-il pour autant revoir tout le système électoral ? Les résultats des discussions enclenchées, le 19 juin dernier, entre le chef du gouvernement et les partis politiques, qui ont été invités à lui soumettre ses propositions, nous le confirmeront.