Sur le boulevard Mohammed V de la capitale, une salle de spectacles vieille de plus de quatre-vingt ans retrouve son lustre d'antan et sa vocation culturelle grà¢ce à la Fondation Hiba, qui l'a rachetée et rénovée. L'idée est d'en faire un centre culturel multidisciplinaire, qui diffuserait des Å"uvres cinématographiques, théà¢trales, humoristiques, musicales et, surtout, encouragerait la création. «Ça, c'était un cinéma !», s'exclame Mohamed, la soixantaine sonnante et tonitruante. «La Renaissance était la salle de ma jeunesse, ma préférée à Rabat avec le fabuleux cinéma Zahwa, aujourd'hui abandonné. C'est d'une tristesse, ces salles mythiques qui deviennent des ruines ou des magasins ou des garages». Mais trêve de soupirs, revenons à la Renaissance : «Mes copains de fac et moi y traînions nos pattes d'éléphant et nos crinières hirsutes les week-ends ou après les examens. Nous nous y gavions de westerns spaghettis, des chefs-d'œuvre de Hitchcock, de Truffaut, de Godard, de comédies musicales. C'est là-bas, je crois, que j'ai vu West Side Story pour la première fois. Quel film, quelle musique extraordinaire ! Autant en emporte le vent aussi, «je crois que je l'ai découvert à la Renaissance», se souvient ce médecin généraliste installé à Casablanca, plein de nostalgie pour ces glorieuses années «où le cinéma était un plaisir, un vrai». Plus maintenant ? «Vous plaisantez ? C'est devenu une souffrance. J'ai remisé ma cinéphilie au placard depuis très longtemps. Aujourd'hui, il faut une heure et demie d'embouteillages pour arriver au Mégarama, une demi-heure de matraquage publicitaire avant que la séance ne commence et une heure et demie de somnolence parce que le film en question est, le plus souvent, une immense daube commerciale». Mais trêve de ronchonnements, revenons à la Renaissance -essayons, du moins : «Sa rénovation est une excellente nouvelle. Puisse la programmation être belle et réconcilier les jeunes avec le bon cinéma», espère Mohamed. Il risque d'être un peu déçu. Pour sa réouverture le 23 juin dernier, la salle r'batie a choisi les grosses cylindrées et les petites cervelles de Fast and furious 6. «Fast and furious et con à la fois», d'après le Libération français, carrément «éreintant» selon Télérama. À l'affiche en ce moment, Né quelque part, le premier film du Franco-algérien Mohamed Hamidi, pourrait mieux convaincre (lisez notre critique dans les pages suivantes). «Il y aura du blockbuster hollywoodien et du cinéma "art et essai", nous voulons que la programmation soit souple. Nous essaierons de satisfaire tous les publics, de n'exclure personne», explique Younes Boumehdi, le président de la fondation Hiba qui a racheté et restauré cette salle du 266, boulevard Mohammed V, construite dans les années 1930 et vouée à la décrépitude pendant de longues années. «Peu de gens le savent, mais c'était un théâtre, au tout début. Puis, en 1946, le lieu a été réaménagé en salle polyvalente, avec du cinéma, du spectacle, surtout de l'humour. C'était un de mes lieux culturels préférés quand j'étais adolescent. J'y ai assisté notamment aux premiers shows de Jean Dujardin, quand il était encore un illustre inconnu», raconte l'initiateur du projet, par ailleurs PDG de Hit Radio. Vers la fin des années 1990, la Renaissance est à l'agonie. «La salle vivotait, tant bien que mal. Elle a fini par fermer, jusqu'à ce que la fondation la rachète en 2006 et entame sa mise à niveau». Promouvoir l'éclosion d'une industrie du spectacle Sous l'esthétique Art déco précieusement conservée, derrière les moulures, le parquet, les épaisses draperies et les projecteurs 35 millimètres exposés comme de vénérables antiquités, un matériel numérique dernier cri a été installé dans la régie de la grande salle, qui peut accueillir 400 spectateurs. Son, lumière, câblages, échafaudages… Des équipements scéniques ont également été mis en place, car le cinéma n'est pas l'unique vocation de la salle fraîchement rénovée : «Si un humoriste, un rappeur, un ensemble de musique contemporaine ou traditionnelle vient se produire chez nous demain, il n'aura pas besoin de louer quoi que ce soit et pourra compter sur une équipe de techniciens formés», assure Younes Boumehdi, qui déplore le manque cruel de salles équipées pour accueillir du spectacle vivant. «À Rabat, le Théâtre national Mohammed V croule sous les demandes. Il s'y organise environ 200 spectacles par an, et il n'existait, avant notre réouverture, pratiquement aucune alternative. C'est pour cela que les artistes choisissaient d'aller faire leurs spectacles à Casablanca où il y a plus de salles polyvalentes». Les initiateurs du ciné-théâtre voudraient participer «modestement» à l'éclosion d'une industrie du spectacle dans le pays. «Nous avons accueilli le casting de Génération Mawazine, nous serons bientôt les hôtes du Festival de Rabat. Nous allons travailler avec les cinémas r'batis Septième art, Royal, avec le Théâtre national pour voir comment on peut intelligemment fonctionner ensemble». Des partenariats avec la Cinémathèque de Tanger et des centres culturels étrangers sont à l'étude. «Bref, nous y allons lentement mais sûrement». Le président de la Fondation Hiba rêve d'un Maroc où la culture ne «s'administrerait» plus à doses homéopathiques, ridicules : «Les enjeux, le potentiel de la culture sont énormissimes. Un peuple cultivé est un peuple plus développé, plus apaisé, plus prospère. Economiquement, c'est très intéressant aussi. Il n'y a qu'à voir les centaines de milliers d'emplois que la culture génère dans des pays comme l'Egypte ou le Liban». *Centre culturel de la Renaissance : 266, boulevard Mohammed V, Rabat. Tarifs cinéma : 50 DH pour les adultes, 30 DH pour les étudiants.