Les Rbatis ont découvert avec émotion le nouveau visage de la Renaissance pendant le festival Mawazine et rythmes du monde. Rénovée, la salle a retrouvé sa splendeur d'antan. Qui est derrière ce changement? Comment a-t-on redonné un nouveau souffle à ce poumon culturel rbati alors que les salles obscures marocaines ferment les unes après les autres? Younès Boumehdi, président de la fondation Hiba pour sauver la Renaissance, et Mehdi El Omari, en charge de la programmation, apportent des éléments de réponse. Tel un phœnix qui renaît de ses cendres, la mythique salle de cinéma rbatie, fermée depuis des années maintenant, ne s'est pas laissée faire. Contrairement à celles qui ont été fermées ou remplacées par des bâtiments plus lucratifs, cette salle, une des plus anciennes du Maroc, a survécu et revient de loin. Comment ? Grâce à une incitation royale et à une fondation composée d'une douzaine de personnes œuvrant dans ce sens. «La Fondation Hiba a été créée sous l'impulsion du roi pour sauver cette salle, fermée depuis des années. Il a permis à la fondation de racheter le bâtiment. Des études ont été entamées il y a deux ans de cela pour la mettre à niveau tout en respectant son architecture d'origine, construite par les Français dans les années 1930 en même temps que d'autres salles mythiques de Casablanca. En plus d'être une salle de projection de film, elle se prêtait bien aux spectacles, notamment des films muets projetés accompagnés par un orchestre. C'est une des plus anciennes salles polyvalentes de Rabat», explique Younès Boumehdi, PDG de Hit Radio. Cette radio jeune et libre est devenue une des stations les plus importantes du paysage audiovisuel marocain par la seul force de l'ambition et de la passion. Boumehdi souhaite relever le même défi avec Hiba afin de faire avancer la culture au Maroc. «Au-delà de la salle, l'idée est aussi d'initier un cercle vertueux de soutien à l'industrie du spectacle en mettant à disposition une salle entièrement rénovée, complètement équipée, réellement polyvalente avec des sièges rétractables pour permettre différentes configurations. On pourra aussi bien y organiser des concerts de musique traditionnelle, de musique classique mais aussi de pop, rock ou rap, des one man shows, des pièces de théâtre, des dîners-spectacles, des défilés, des expositions, etc.», précise le membre de la fondation qui se souvient des moments où il allait voir, enfant, des films et des spectacles à la Renaissance, au 7e Art, au Colisée ou au Royal, quand Rabat disposait encore de son «poumon culturel».«La Fondation a pour objectif la promotion des arts et de la culture et de participer à la sauvegarde du patrimoine culturel. Nous avons donc voulu la sauvegarder, sorte de réponse aux nombre de salles transformées ces dernières années en centres commerciaux, garages, ou simplement détruites pour être remplacées par des immeubles de bureaux. Au-delà de la salle, la fondation a la vocation plus large «de soutenir la création, de fédérer les initiatives, d'encourager les jeunes talents, de participer au développement des arts émergents et de privilégier les créations contemporaines, tout en mettant en exergue le patrimoine culturel national», explique Younès Boumehdi. Cette initiative peut-être qualifiée de complète puisque la salle contribuera à l'essor de la culture en devenant une salle polyvalente dédiée à tous les arts. Lorsqu'on se promène dans les couloirs du cinéma, la salle principale, avec son écran, est de toute beauté et rappelle les films passés, les rires et les pleurs des générations précédentes. La salle est certes rénovée mais elle n'a pas perdu son âme pour autant. Un espace de qualité, en haut, avec un café et une scène plus petite permettra la création d'évènements plus intimistes. «La plupart des endroits culturels au Maroc sont investis la nuit, et ceux qui ne peuvent sortir sont lésés. Avec cet espace de rencontres, les jeunes pourront venir s'exprimer la journée après un bon film, faire de la musique, discuter, échanger, organiser des spectacles, assister à des cafés littéraires ou à tout autre type d'évènements culturels. La salle a une capacité de près de 400 places assises, 600 en configuration «sièges rétractés». Il y a également un espace cafétéria avec une scène pour des répétitions, formations, spectacles de plus petit format» explique Mehdi El Omari, programmateur du Café R, espace d'animation de la Renaissance. Ces initiatives se rejoignent, se complètent, comme si le Maroc comprenait enfin que la culture avait besoin d'une stratégie solide et d'actions soudées. «Le but est de venir appuyer les initiatives existantes, de les catalyser, les accompagner, les enseigner, former des artistes de tous bords, être un lieu de rencontre et d'échanges entre les disciplines artistiques, un centre de ressources avec un fichier de journalistes marocains, un pays qui créé et exporte ses artistes, une liste des festivals d'ici et d'ailleurs, une liste des lieux de spectacles au Maroc, une liste des aides existantes, une boîte à outils juridique, l'agenda le plus exhaustif possible....L'idée est de tenter de négocier auprès d'entreprises des réductions pour les artistes (réduction sur les tarifs de billets d'avion ou de train pour permettre une plus grande mobilité, remise sur les tarifs dans les hôtels, les chaînes de boutiques de vêtements, dans un réseau de coiffeurs...), d'établir les partenariats les plus larges possibles avec les autres associations du secteur, au Maroc et à l'international, mettre en relation les artistes d'ici et d'ailleurs, organiser des master class, des workshops...La salle Renaissance est un peu le pivot de cette stratégie qui devra œuvrer dans la durée». Dans la durée certes, mais le projet dure déjà depuis un peu plus de deux ans. Les organisateurs souhaitent bien faire les choses et sur le long terme, ce qui demande un travail de qualité, qui prend du temps. «Cela fait déjà quelques semaines qu'on rode la salle, qu'on forme des équipes techniques... On a accueilli des formats très différents de spectacles pour tester les équipements et les équipes. Le concours Génération Mawazine, avec ses différents styles musicaux et un public éclectique, exigeant, parfois agité, a été un super test grandeur nature. Cela a aussi permis de confronter les techniciens permanents de la salle à toutes les configurations...», affirme Younès Boumehdi, qui souhaitait commencer ce 22 juin par une projection, mais qui se demande encore s'il n'est pas plus sage d'ouvrir le weekend d'après. Dans tous les cas, cet espace marque un nouveau départ culturel pour la capitale. Quid de la programmation: s'agira-t-il de blockbusters ou de films d'auteurs? «Les deux, on veut essayer de collaborer intelligemment avec toutes les salles de Rabat et région, la salle de Maroc Telecom, le Royal, le 7e Art, le Théâtre Mohammed V, la salle Bahnini. En attendant que d'autres salles revivent ou que des multiplexes se créent, on essaiera, avec les autres salles, d'offrir une certaine diversité», explique le président de la fondation, qui souhaite aller plus loin en collaborant avec la Cinémathèque de Tanger,le Mégarama, le Colisée de Marrakech, ainsi que Save The Cinemas in Morocco, le tout dans une optique de consolidation des actions. Cela ouvrira la la voie à l'art, au septième en particulier, longtemps boudé par les autorités. Par ailleurs, le Centre cinématographique marocain a décidé de financer la mise à niveau de 8 salles de cinémas, Timlif a le projet de reprendre, rénover et transformer en salles de spectacles polyvalentes une dizaine de salles actuellement fermées à l'horizon de 2015, et le Mégarama, celui de s'implanter à Rabat et à Tanger dans les 3 années à venir. Ces projets tombent à pic et s'inscrivent dans la même lignée que celui de la fondation. «Je sais que cela semble très ambitieux. Cela sera très certainement compliqué, mais si nous arrivons à démontrer aux artistes d'abord et aux partenaires ensuite que nous pouvons leur être utile... je suis sûr qu'on arrivera à faire des choses intéressantes aux côtés des autres associations œuvrant dans le même sens. Tout cela a demandé et demandera du temps, mais l'idée est aussi de fédérer ces initiatives, de permettre des rencontres régulières entre les acteurs culturels, de faciliter les échanges, les collaborations», conclut Younès Boumehdi. La Renaissance renaît, et le patrimoine culturel de la ville et du Royaume lui en est gré. Les ambitions sont là, la motivation de cette jeune équipe de jeunes n'est plus à démontrer, le chantier est lancé et a autant besoin de temps que de soutien. La fondation a besoin de mécènes. La balle est dans notre camp pour empêcher la Renaissance d'être en hors-champ . À bon cinéphile, salut !