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Marocains musulmans, Maroc laïc ? Ce flottement qui nous agite
Publié dans La Vie éco le 12 - 04 - 2012

Naguère sujet tabou, le débat sur la laïcité revient de nouveau sur la scène à la faveur du printemps arabe et de l'exacerbation de l'islam radical. La laïcité n'est
pas synonyme d'athéisme, c'est une organisation de la société fondée sur le respect du choix religieux.
Le mot laïcité met mal à l'aise les conservateurs, islamistes en particulier, mais il irrite aussi d'autres qui jugent intempestif le débat autour d'un tel sujet. Le Maroc actuel a, selon eux, des défis plus importants à relever. Il reste que la question de la laïcité de l'Etat est de plus en plus soulevée et débattue ces dernières années. La question s'était même posée au sein de la commission chargée de la préparation de la Constitution de juillet 2011, et si ce n'était la pression exercée par les islamistes du PJD, le Maroc aurait constitutionnalisé la «liberté de conscience», un jalon vers la neutralité de l'Etat par rapport au fait religieux. Ce même PJD, actuellement au pouvoir, ne cite-t-il pas lui-même la Turquie, un pays à population majoritairement musulmane (99% des Turcs sont issus d'une famille musulmane), comme un modèle de démocratie, de modernité et de développement économique et social ? Or, ce pays se proclame depuis la Constitution du 10 décembre 1937 comme «un Etat laïc et réformateur» (voir encadré), et le préambule de son actuelle Constitution proclame clairement que «conformément au principe de la laïcité, les sentiments religieux, éminemment sacrés, ne doivent pas interférer avec les affaires de l'Etat et la politique» (voir encadré). La Turquie est donc un exemple à suivre, selon les islamistes marocains, sauf en matière de séparation du religieux, du politique et de garantie de la liberté de conscience. Dans un entretien accordé à La Vie éco (voir article), à la veille des dernières élections législatives, Lahcen Daoudi, secrétaire adjoint du PJD (ministre actuel de l'enseignement supérieur), à la question de savoir si la laïcité au Maroc, comme en Turquie, est possible, a répondu : «Je ne suis pas contre un Etat laïc. Encore faut-il savoir qui va gérer la chose religieuse si l'on instaure la laïcité, nous n'avons pas un pape comme en Europe, ou un clergé comme les chiites pour gérer le fait religieux. Qui va le faire au Maroc ? Les partis politiques ? Les extrémistes religieux ? La laïcité est incompatible avec la commanderie des croyants, elle n'est pas possible au Maroc».
Expliquons d'abord ce que signifie être laïc, pour lever toute ambiguïté. La laïcité, contrairement à quelques idées reçues, n'est pas synonyme d'athéisme ni de rejet des religions, bien au contraire, c'est une organisation de la société qui permet plutôt de prendre en compte la diversité des hommes et la nécessité de les unir pour assurer leur coexistence, au delà de leurs opinions politiques et leur appartenance religieuse. Le Français Henri Pena-Ruiz, spécialiste de la sociologie des religions, écrit (dans Histoire de la laïcité : genèse d'un idéal, 2005, Biblio OC) que cette unité dans la diversité des hommes que permet la laïcité, «elle le fait en conjuguant la liberté de conscience, qui permet aux options spirituelles de s'affirmer sans s'imposer, l'égalité de droits de tous les hommes sans distinction d'option spirituelle, et la définition d'une loi commune à tous visant le seul intérêt général, universellement partageable (…). La laïcité, c'est la liberté de conscience liée à l'égalité de traitement de celui qui croit au Ciel et de celui qui n'y croit pas». Pour le philosophe et militant associatif amazigh, Ahmed Assid, qui a beaucoup travaillé sur le sujet et qui s'apprête à publier un nouvel ouvrage intitulé Moderniser l'islam et non pas islamiser la modernité (Tahdith al aslama la aslamate al hadatha), être laïc, «c'est d'abord respecter l'autre tel qu'il est, et reconnaître son droit à la différence, et considérer que l'Etat n'a pas à imposer une religion à la société, ou à surveiller la conscience des individus. La religion est un choix personnel, libre, conscient et responsable. Donc un laïc n'est pas forcément athée, c'est quelqu'un qui respecte toutes les religions et les considère égales l'une à l'autre» (voir article). Cela dit, au Maroc, comme en Turquie, même si l'écrasante majorité de la population est née musulmane, tous les Marocains, soi-disant musulmans, sont-ils pratiquants ? Sont-ils tous sunnites ? Sont-ils tous croyants ? Un Marocain musulman a-t-il le droit de changer de religion ? Un Musulman sunnite au Maroc a-t-il le droit, sans crainte de représailles, de se convertir au chiisme ? Ou même de se proclamer athée ? Des questions qui méritent d'être posées, dans un contexte arabe où l'on revendique de plus en plus de liberté et d'émancipation.
Apostasie et prosélytisme sont sanctionnés par le code pénal
Une chose est sûre : la loi marocaine sanctionne l'apostasie, comme elle est intraitable vis-à-vis de toute forme de prosélytisme (en mars 2010, une trentaine d'étrangers accusés de propager une autre religion ont été arrêtés et expulsés du Maroc). Récemment, lors de l'enterrement, le 19 mars, à Tanger, de l'imam marocain converti au chiisme, Cheikh Abdellah Dahdoh, qui a péri dans l'incendie criminel d'une mosquée, à Bruxelles, les chiites marocains présents ont réclamé la protection de sa tombe de peur qu'elle ne soit profanée par les islamistes de la Salafiya.
Récemment encore, dans plusieurs villes du Royaume, des groupes «s'érigent et se substituent à l'Etat pour faire la police des mœurs et cherchent à imposer leur ordre moral et leur vision étroite de la religion», note un document rédigé par le Collectif démocratie et modernité (CDM).
Certes, les divergences et les affrontements entre courants appartenant à une même religion ne sont pas spécifiques au Maroc et à l'islam. Le judaïsme aussi y est confronté. En Israël, les juifs modernistes réclament cette liberté de croyance et de conscience, voire un Etat neutre et laïc, face aux juifs ultraconservateurs qui n'hésitent pas à imposer aux autres jusqu'à la manière de se vêtir. Or, au Maroc ou ailleurs, «le seul moyen pour avoir la paix et la stabilité est d'instaurer un Etat civil, neutre, qui protège tous les Marocains, quelle que soit leur confession religieuse», explique Kamal Lahbib, président du CDM. Une liberté de conscience, «l'une des plus fondamentales, et qui passe par la séparation du religieux et du politique», note un mémorandum rendu public le 27 mars par le CDM, dont une copie, avec des recommandations, sera adressée au gouvernement. L'une de ces recommandations insiste sur la nécessaire neutralité de l'Etat à l'égard des religions et évoque la nécessité, «conformément à la nouvelle Constitution, [de] circonscrire la sphère d'intervention de la "Commanderie des croyants" de manière à séparer la sphère politique de la sphère religieuse. Et reconnaître et garantir constitutionnellement la liberté de conscience». Mais il y a un hic : à aucun moment le terme laïcité n'a été employé dans ce document. La raison ? «Dans la tête de beaucoup de gens, il est synonyme d'athéisme, on l'a sciemment écarté», tranche M. Lahbib. Ce terme, est en tout cas honni, et rejeté en bloc par les islamistes conservateurs.
La commanderie des croyants, ciment de l'unité des Marocains
Mohamed Hamdaoui, président du Mouvement unicité et réforme (MUR) proche du PJD, est catégorique : «Nous ne sommes pas contre la raison, la modernité et l'innovation, à condition qu'elles ne soient pas hostiles à l'islam. Un Etat neutre de toute religion ? Impossible au Maroc, dans l'histoire de notre pays, l'Etat a toujours eu une référence religieuse. Il est même souhaitable que l'islam reste une religion de l'Etat à travers la commanderie des croyants, c'est un ciment pour notre pays». Au fait, peu de Marocains contestent la dimension religieuse du pays, à la seule condition que cette dernière n'interfère pas le pouvoir religieux avec le pouvoir politique. D'ailleurs, les prémices d'une laïcisation au Maroc sont là : un Etat et une administration qui fonctionnent selon les normes occidentales laïques, un corpus de règles juridiques, mis à part le code de la famille, qui puise sa source dans un droit positif laïc. Le chercheur Mohamed Darif va plus loin dans son dernier livre Monarchie marocaine et acteurs religieux (Ed. Afrique Orient, 2010). Il avance que «le statut de Commandeur des croyants est fondé sur une logique laïcisante et la religion, à savoir l'islam, est utilisée pour renforcer les fondations de l'Etat Nation». Finalement, un Maroc laïc (à la turque) est-il possible aujourd'hui ? «Oui, répond M. Assid, un Maroc laïc est possible avec la commanderie des croyants, parce que celle-ci est une institution qui a pour rôle de protéger toutes les religions, et voyez-vous, elle s'appelle "commanderie des croyants" et non pas des "musulmans", et parmi ces croyants, il peut y avoir tous les adeptes qu'on puisse imaginer. D'ailleurs, pendant des siècles, c'est le sultan qui protégeait les juifs marocains. Si on réussit le processus de modernisation et qu'on arrive à instaurer une monarchie parlementaire, le statut du Roi sera autre que celui d'aujourd'hui».


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