Almukri'e Elidrissi fait preuve d'habilité. Mais en inversant les tendances, il pervertit la vérité. Car c'est l'intransigeance religieuse qui pousse à l'extrémisme laïc. Almukri'e Elidrissi Abouzaïd, universitaire et député PJD, un original dans la faune islamiste marocaine, a une façon singulière de traiter de la laïcité. Il se démarque par une hostilité qui va plus à l'église chrétienne dont le despotisme a engendré la laïcité qu'à celle-ci qui, pourtant, horripile les fondamentalistes musulmans toutes catégories confondues. Concrètement, il n'est pas très loin de Voltaire. Précurseur de la laïcité, mais profondément déiste, celui-ci considère que Dieu a d'abord pâti de la bêtise des prêtres. Almukri'e Elidrissi se distingue également par un curieux renversement des tendances : Au Maroc, estime-t-il, ce sont les militants de la laïcité qui refusent de faire de la place aux islamistes et sont de cette manière loin de ce qui se passe en Europe où la judéo-chrétienté trouve son expression dans l'espace politique.
Globalement, le député PJD a une perception correcte de la pratique de la laïcité en Occident où le religieux, malgré l'affaiblissement du rôle du clergé, continue de commander les réflexes collectifs des Occidentaux. Leur réaction au lendemain des attentats du 11 septembre à l'égard des Musulmans en témoigne largement. L'accueil frileux que fait l'Union européenne aux demandes d'adhésion d'Ankara ne s'explique autrement que par l'islamité de la Turquie. Lors de l'élaboration de la première mouture de la Constitution européenne, le projet s'est contenté d'insister sur la source d'inspiration que constituent pour les Européens les héritages culturels, religieux et humanistes de l'Europe. Mais la polémique qui l'a précédée autour de la référence judéo-chrétienne du Vieux Continent en dit long sur les limites de la laïcité dans ces contrées. Evacuons le faux débat. Une forte présence religieuse dans la société n'est pas incompatible avec les valeurs de la démocratie et de la modernité. Aux Etats-Unis, la présence du religieux est très forte dans la vie privée mais aussi dans toutes les manifestations publiques. Au Royaume-Uni et en Scandinavie, persiste l'église d'Etat. En Espagne, les laïcs réunis à Motril avaient fait un constat sans équivoque : la situation espagnole ne permet pas de parler d'une a-confessionnalité de l'Etat. En Belgique et en Italie existe une politique concordataire avec le Vatican. En Irlande et en Grèce, le système de promulgation des lois se fait au nom de la Sainte Trinité. L'Occident, et plus particulièrement sa partie européenne, est en cela très voltairien : La laïcité est la gardienne des cultes [au pluriel], la conservatrice des traditions. Est-ce ainsi que les islamistes appréhendent le rapport du religieux et du temporel. Almukri'e Elidrissi fait preuve d'habilité. Mais en inversant les tendances, il pervertit la vérité. Car c'est l'intransigeance religieuse qui pousse à l'extrémisme laïc. L'anticléricalisme sur lequel est née la laïcité explique en grande partie la défiance islamiste à son égard. Mais s'il est vrai que la laïcité institue la séparation de l'espace public et de la religion, il est particulièrement faux qu'elle fait de l'Etat une institution athée. Sa vocation est d'assurer la neutralité publique vis-à-vis de toute religion, s'arrangeant pour que le fait religieux n'interfère pas dans la sphère publique, civile et sociale. Elle s'accommode donc bien de la religion quand celle-ci est interprétée autrement que comme une série d'astreintes exprimées sur le ton de l'intimidation comme autant d'obligations incontournables.