Le management doit prouver qu'il s'engage pleinement à sortir l'entreprise de sa crise. Transparence, communication, responsabilisation et reconnaissance sont essentielles pour remonter le moral des troupes. Majeure ou mineure, il n'y a aucune entreprise qui n'a pas eu un jour à faire face à une crise. Une telle période, difficile certes, fait partie du parcours. Cependant, on peut en sortir grandi ou décrédibilisé à jamais ou pour un long moment. Bien évidemment, sur la place, beaucoup évoquent cette notion de crise à tort et à travers pour cacher des dysfonctionnements, éloigner le mauvais œil, tromper la concurrence, mettre un terme aux réclamations des collaborateurs, préparer des opérations de retraite anticipée ou de départs volontaires… Mais quand peut-on parler de crise ? Quelle typologie revêt-elle ? Influence-t-elle le style managérial ? Quel rôle doit jouer à ce titre la direction RH et surtout comment maintenir l'engagement social ? C'est à ces questions que La Vie éco a voulu trouver des réponses en invitant, vendredi 30 septembre, des DRH et des consultants en ressources humaines à échanger sur «Le GRH en période de crise» autour d'un petit-déjeuner débat. D'emblée, Mouna Sebbahi, coach et DG d'Orientasi, tient à faire la différence entre une crise et une difficulté. «Cette dernière peut être passagère : problème avec un fournisseur ou un client, problème d'organisation en interne…Elle devient une crise lorsqu'elle impacte l'organisation, son fonctionnement ou sa réputation. Elle entraîne perturbation, incertitude et, souvent, malheureusement, indécision. Elle représente donc un danger». Pour Ali Serhani, consultant au cabinet Gesper Services, on parle tellement de crise qu'on ne sait plus si elle existe on non. Il veut dire par là que la crise est maintenant «une donne». En clair, il faut faire avec. Effectivement, on ne parle plus que de cela depuis au moins trois ans. Les participants ont cependant tenu à faire la part entre deux sortes de crise avec des faits générateurs internes ou externes. D'abord, celle qui se rapporte à des aspects techniques et économiques. Exemple : défaut de produit ou service, panne informatique, information erronée ou cachée, défaillance du système à grande échelle, destruction de l'environnement, catastrophe naturelle, crise internationale, crise gouvernementale, faillite… La seconde est caractérisée par des considérations humaines, sociales, organisationnelles : échec pour s'adapter et changer, défaillances organisationnelles, sabotages, maladies du travail, rumeurs et diffamations, harcèlement, grèves, boycott… La crise étant installée, que faire ? Faut-il faire la politique de l'autruche en se disant que cette difficulté n'est que passagère -après tout, tout le monde est en crise- ou au contraire prendre le taureau par les cornes et prendre les décisions qui s'imposent ? La question renvoie au mode de management, étant entendu qu'une situation de tension peut impacter les comportements. Le management devient souvent directif, c'est-à-dire qu'on ne laisse plus la place à la concertation, au dialogue. Dans ce contexte, ce sont sur les collaborateurs qu'est rejeté tout le stress généré par les difficultés ou l'incertitude. Un manager doit être proactif Les participants sont d'avis qu'il peut y avoir une approche différente dans la gestion des hommes. Cependant, prévient Abdelkrim Sekkak, DRH de Shell du Maroc, «il ne s'agit pas d'accentuer la pression sur les collaborateurs mais de faire un travail de leadership qui doit se faire sur le terrain». Le changement, Khalid Lahbabi, DRH de CMCP, le voit également, mais dans le bon sens. «Le management doit apporter la preuve qu'il s'engage pleinement pour sortir l'entreprise de sa crise. La première chose à faire est de mener une réflexion profonde, essayer de savoir si la crise peut s'avérer comme une opportunité. On a bien vu des entreprises au bord de la faillite se ressaisir parce qu'elles ont revu de fond en comble leur mode de management», explique-t-il. Même son de cloche chez Mouna Sebbahi. «Ce qui manque réellement chez les managers, c'est la proactivité. On n'attend pas que la crise s'installe pour chercher des solutions. Malheureusement, les entreprises marocaines ont souvent des structures RH en place mais pas de politique RH qui va avec». Salim Ennaji, DRH de l'Office national des aéroports (ONDA) abonde dans le même sens. Selon lui, «un travail de proximité est important et le manager doit toujours être présent sur le terrain pour garder le contact le plus étroit possible». Mais pour M. Lahbabi, «tout dépend des entreprises». Il souligne que «celles qui sont dans l'optique du risk management vont pouvoir réorienter les décisions sans changer de style managérial. En revanche, les entreprises non structurées vont devoir changer de style parce qu'elles ont été dans l'incapacité d'être dans l'anticipation». Ce qui revient à dire qu'un mode de management est bon ou ne l'est pas. Il peut certes y avoir des réactions ou comportements dictés par les contingences de l'heure, mais qu'une crise ne doit pas provoquer de bouleversements dans la manière de faire. Le niveau d'influence du DRH dépend de sa personnalité Et en période de crise, il y a un personnage clé qui doit être en mesure de jouer un rôle de modérateur ou même de prescripteur pour éviter des décisions maladroites parce qu'en principe il connaît les hommes mieux que tout le monde. A ce propos, Salim Ennaji tient d'abord à rappeler le contexte sociologique dans lequel vit le cadre ou l'employé marocain. «Le collaborateur marocain n'est plus ce qu'il était il y a dix ans : son pouvoir d'achat, sa rémunération, son comportement de travail…, tout a changé. En plus de cela, vous avez un collaborateur dans une logique quasi permanente de surendettement. On oublie souvent ces effets psychologiques qui ont leur impact sur le quotidien au sein de l'entreprise en temps normal. Rajoutez à cela une crise, vous avez un collaborateur dans l'angoisse. Certains cadres et employés se posent tout de suite la question de rester dans ces entreprises ou ces secteurs en mal de compétitivité. Bien évidemment, pour un DRH, la tâche n'est pas facile. Il faut éviter tout d'abord les décisions hâtives comme les réductions du personnel ou carrément les plans sociaux. Surtout, ne pas toucher au savoir-faire de l'entreprise». Comment y arriver ? Pour Abdelkrim Sekkak, la DRH se doit d'être une force de proposition pour calmer les angoisses, à la fois celle de la direction et celle des collaborateurs. M. Ibrahimi insiste quant à lui sur le fait que le DRH doit être au premier plan. «Il doit s'informer et proposer des solutions avec des tableaux de bord pour que la logique financière ne l'emporte pas sur le social», dit-il. Mais encore faut-il que ce DRH soit écouté. «Tout dépend de sa personnalité», souligne Ali Serhani pour qui le fait que de grandes entreprises nomment des DG en charge du pôle support incluant les ressources humaines montre une certaine sensibilité sur ce volet. Plus on anticipe, plus on aura la faculté de gérer des soucis ponctuels Tous pensent qu'au lieu de tailler dans le vif ou de gérer par le stress, il convient plutôt de mobiliser en pensant à l'après-crise. Ils sont d'avis qu'on sera plus tranquille et mieux impliqué dans la recherche d'une voie de sortie de crise dans une entreprise qui développe les relations de confiance, l'esprit d'appartenance et la responsabilisation que dans celle où la communication est inexistante. Il est souligné que le manager doit porter un message d'espoir et faire prendre conscience à tous que les efforts doivent être collectifs et que les solutions se trouveront dans le collectif. Pour ce faire, «il ne faut pas oublier de redéfinir des objectifs raisonnables et concrets. Fixer moins d'objectifs, les rendre atteignables, permet de conserver un environnement de satisfaction et de confiance», conseille Karim El Ibrahimi. La transparence est aussi mise en exergue. La raison est que l'omerta est souvent source de rumeurs, ce qui, en fin de compte, ne fait que compliquer la situation. «Cela ne veut pas dire qu'il faut tenir des discours alarmistes à tout bout de champ, mais plutôt être dans une logique de cohésion d'équipe», précise Salim Ennaji. «Un discours crédible est un discours cohérent. On coupe court aux rumeurs que si toute l'équipe entend le même son de cloche», ajoute Mme Sebbahi. La motivation passe également par la responsabilisation. Elle permet d'offrir aux collaborateurs une capacité de décision dans un champ d'action précis. Cette capacité de décision offre à l'équipe des raisons supplémentaires de satisfaction si les objectifs sont atteints. Et si, par exemple, des entreprises sont plus motivantes que d'autres et rebondissent plus facilement, «c'est parce qu'elles sont imprégnées de valeurs et d'une culture qui sont bien partagées», relève Khalid Lahbabi. Transparence, communication, responsabilisation sont essentiels, mais il y a aussi la reconnaissance. La meilleure manière de rassurer est d'être honnête. Il faut avoir pour principe de récompenser les faits, pas les personnes. Parfois même, un simple compliment ou une tape amicale dans le dos sont un signe de reconnaissance. C'est d'autant plus important que l'entreprise a de la mémoire. En effet, si par le passé les efforts n'étaient pas appréciés à leur juste valeur, il serait compliqué de faire comprendre aux collaborateurs qu'il faut en faire un peu plus pour remettre l'entreprise en selle. Comme quoi, la GRH est une affaire de tous les jours : plus on anticipe, plus on aura la faculté à gérer des soucis ponctuels.