5,12% de la population marocaine est handicapée. Elle se plaint du traitement et de l'attitude injuste de la société. Entre 2000 et 2009, et malgré l'arrêté qui fixe le taux de 7% d'insertion professionnelle par le secteur public, ils ne sont que quelques centaines à avoir été engagés. «Pourquoi le ministre n'est pas là ? Quel dommage ! Et on parle en plus d'un Maroc nouveau, d'une nouvelle Constitution. On est des jeunes et on a tout à donner à ce pays. Nous voulons être productifs comme tous les autres. Le traitement qu'on nous réserve est injuste. Si notre pays est en train de préparer des réformes profondes, il faut aussi qu'il change de comportement vis-à-vis de notre catégorie». Ce réquisitoire n'émane pas d'un intellectuel sain d'esprit, lésé dans ses droits et qui réclame justice, mais de Soufiane, un jeune handicapé mental de 23 ans, devant un auditoire d'une cinquantaine de personnes. C'est dans les locaux de Hadaf, «l'Association des parents et amis des personnes handicapées mentales» créée en 1997 à Rabat, que ce jeune «handicapé mental» a pris la parole ce samedi 11 juin, à l'occasion d'un colloque organisé par l'association pour essayer d'améliorer l'image des personnes en situation de handicap. C'est au sein de cette association qu'il a appris à prendre confiance en lui-même, à s'exprimer avec aisance, et à montrer qu'il peut lui aussi être productif. Pourvu qu'on s'intéresse à lui, qu'on l'écoute et qu'on lui offre les conditions d'une insertion professionnelle. Il est maintenant chef d'atelier de jardinage au sein du Centre socioprofessionnel pour personnes handicapées mentales, sis Hay Annahda, créé par la même association, Hadaf. Safia, elle, est âgée de 22 ans, souffre du même handicap depuis sa naissance : «A l'école, j'étais la risée des élèves. On se moquait de moi sous cape, certains me raillaient ouvertement. Maintenant, je suis cuisinière, et je suis plus autonome. J'ai appris à prendre le bus toute seule». Elle a appris même à jouer du tennis, elle représentera d'ailleurs le Maroc aux prochains championnats du monde pour personnes handicapées. Amina Mseffer, présidente de l'association, n'en peut qu'être fière. Elle ne s'arrêtera pas là, elle promet d'embaucher Safia comme salariée à part entière dans la cuisine du centre. Comme Soufiane et Safia, 71 autres jeunes en situation de handicap mental léger profitent actuellement des soins de l'association Hadaf, et des espaces attrayants du centre d'insertion socioprofessionnelle qu'elle a fondé en 2005. Tous veulent devenir autonomes et l'association joue le rôle de relais pour les y aider. C'est le regard de la société qui est méchant, les personnes handicapées ne sont pas moins créatives Pour Amina Mseffer, tout est parti d'une expérience réelle avec le handicap. Loubna, sa fille, suite à une toxoplasmose non diagnostiquée, est née handicapée mentale. Un parcours du combattant commence pour elle, dans une société discriminatoire où le handicapé et sa famille sont livrés à eux-mêmes. Après sept ans de tribulations avec la maladie, Loubna intègre le Centre médico-pédagogique Amal pour jeunes handicapés. Miracle : après quelques années, l'amélioration de l'état de la fille est considérable. Cela aurait été impossible sans l'association des parents et sa collaboration avec l'équipe pédagogique du centre. Ce départ, résume Mme Mseffer, a représenté «une véritable rupture dans la vie de nombreux jeunes comme Loubna. En effet, le centre représente pour les jeunes un lieu d'apprentissage mais aussi un lieu d'épanouissement social. Pour les parents, il constitue une sécurité et un soulagement de voir leur enfant évoluer à son rythme, entouré d'autres enfants». C'est de cette expérience que l'idée de Hadaf et de son centre d'insertion socioprofessionnelle est née. A 100 kilomètres de Rabat, à Bouskoura exactement dans la région de Casablanca, le monde des personnes en situation de handicap (PSH) connaît depuis quelques années une heureuse expérience, autrement plus enrichissante : le centre Nour, le premier en son genre pour la rééducation physique et de réparation fonctionnelle pour personnes handicapées, créé par l'Amicale marocaine des handicapés (AMH). Là encore, l'initiative revient à une brave femme se mouvant sur une chaise roulante, mais d'une énergie débordante. Comme le centre d'insertion socioprofessionnelle de Hay Annahda, le centre Nour n'a pu voir le jour que grâce aux bénévoles, à l'argent collecté des téléthons et à la donation d'un philanthrope anonyme d'un terrain de 2 ha. Le centre, équipé de tout le matériel d'éducation fonctionnelle nécessaire officie depuis une dizaine d'années au grand bonheur des PSH dépourvus jusqu'alors de structures spécialisées. Pourtant, les ONG dédiées aux handicapés se comptent par centaines. Mais, il faut dire d'un autre côté que la population concernée est importante. Selon la seule enquête officielle sur les handicapés réalisée en 2004, le Maroc en compte près de 1,53 million, soit 5,12% de la population globale (voir encadré). Les statistiques spécifiques à la situation des personnes handicapées publiées en 2008, parlent, elles, d'une prévalence de 2,8%. «Cet écart est dû essentiellement à l'adoption de l'enquête nationale d'une définition très large du handicap qui intègre plusieurs types de déficience sources de ce handicap», nuance Nouzha Skalli, ministre du développement social, de la famille et de la solidarité (voir entretien). Public et privé rechignent encore à recruter En plus de pallier le vide en matière de prise en charge et de réinsertion socioprofessionnelle des handicapés, les ONG travaillent aussi le plus souvent sur les aspects légaux et législatifs. Objectif : faire en sorte que le Maroc se conforme à la convention des Nations unies sur les personnes handicapées, ratifiée par notre pays en avril 2009, et adopte en urgence le projet de loi 62-09 relatif au renforcement des droits des PSH. Projet de loi qui attend toujours son adoption par le conseil de gouvernement, et qui prévoit, entre autres, la création d'un Fonds national pour la promotion des droits des personnes en situation de handicap. Lequel aura pour mission, informe Mme Skalli, «le développement de la couverture médicale et sociale et des programmes d'éducation, de formation professionnelle et l'encouragement des projets générateurs de revenus». 1,5 million de personnes, une force économique donc, qui ne demande qu'à être reconnue pour être productive. Et cela passera inévitablement par l'insertion professionnelle, et c'est là que le bât blesse. Les secteurs, public et privé, rechignent encore à engager les handicapés, malgré un arrêté du Premier ministre qui impose à l'administration un quota de 7%. Quant au secteur privé, il y a un projet d'arrêté ministériel qui attend son adoption et qui fixe un quota de 5%. La moisson est dérisoire dans le public : entre 2000, date d'entrée en vigueur de l'arrêté en question et l'année 2009, à peine 746 personnes handicapées ont été recrutées (209 femmes et 537 hommes). «Toutefois, depuis 2007, ce sont pas moins de 600 diplômés non et mal-voyants et handicapés physiques qui ont été recrutés dans la fonction publique», se félicite la ministre. Dans le privé, quelques entreprises ont réagi et n'ont pas attendu l'arrêté des 5%. Elles ont recruté parmi cette population, et certaines ne sont pas déçues du rendement. Sur la base de quels critères ont-ils été recrutés ? «Les mêmes que pour tous les autres employés. Quota ou pas, il faut que les entreprises privées fassent un partenariat avec le tissu associatif pour pallier l'insuffisance de l'Etat. Les handicapés ne sont pas moins productifs que les autres, pourvu qu'un traitement adéquat leur soit réservé», répond Ryad Mezzour, DG de Suzuki Maroc qui a recruté trois personnes handicapées. Et elles sont, témoigne-t-il, «parfaitement intégrées». Le CV ne signifie pas «diplôme, mais une qualification, un riche parcours, des aptitudes. Le handicap n'est pas une pathologie, mais plutôt un désavantage social auquel il faut remédier», estime Abdellah Ouardini, pédopsychiatre à Rabat.