De plus en plus de diplômés acceptent des missions, notamment pour acquérir des expériences. L'activité est discréditée par les opérateurs informels. La formation reste un volet peu développé dans l'intérim. Patrick Cohen, DG de Crit Maroc, estime à 100 000 personnes le nombre d'intérimaires au Maroc. La demande est réelle mais le marché n'est pas structuré. L'autre problème est qu'il est difficile de trouver certains profils pointus comme des responsables d'achat ou des contrôleurs de gestion qui acceptent des missions de courte durée. Comment se porte le marché de l'intérim actuellement? C'est un marché très fluctuant. Il y a des pics d'activité où la demande d'intérim exprimée par les entreprises est très forte. Celles qui vivent des commandes de l'étranger, notamment dans l'industrie, et particulièrement le textile, connaissent une activité en dents de scie et doivent donc recourir à l'intérim en période de forte activité. Le fait marquant est qu'une bonne proportion de PME commence à recourir de plus en plus à cette flexibilité qu'offre l'intérim. Cela fait huit ans que Crit existe et nous constatons que le marché évolue. Les jeunes viennent spontanément nous voir pour s'informer sur les opportunités d'emploi. Les titulaires d'un diplôme acceptent de plus en plus des missions ne serait-ce que pour multiplier ou acquérir les expériences. Il faut ajouter aussi que les cabinets organisés jouent un rôle important dans cette évolution. Ils garantissent un contrat de travail dans une entreprise sérieuse avec un bon salaire et une couverture sociale. Parfois, certains intérimaires bénéficient des mêmes avantages que les titulaires d'un contrat à durée indéterminée (CDI). A combien estimez-vous le nombre d'intérimaires au Maroc ? A vrai dire, il est difficile d'avancer un chiffre pour la simple raison que le secteur est encore mal organisé. Sur près de 1 400 sociétés d'intérim, seule une quinzaine ont l'autorisation d'exercer l'activité d'intérim. En plus, on sait que dans l'intérim, nombreux sont les intérimaires qui ne sont pas déclarés, sous-payés, non sécurisés, livrés en pâture à des sociétés qui profitent de ses employés, sans oublier qu'elles ne s'acquittent pas de leurs charges sociales auprès de l'Etat. Selon mon estimation personnelle, je dirais que l'activité compte près de 100 000 intérimaires à travers le pays. Malheureusement, il n'y a que 10 à 20% qui travaillent dans un cadre formel, c'est-à-dire déclarés et qui bénéficient de tous leurs droits. Que faut-il faire pour que l'intérim se développe ? Il faut commencer par faire le ménage, c'est-à-dire fermer les entreprises qui ne sont pas aux normes. Malheureusement, beaucoup de voix s'élèvent pour dire que cette situation peut engendrer un fort chômage. Ce qui est faux. Beaucoup de sociétés malhonnêtes sont en train de tirer la profession vers le bas. Pour vous dire, nous nous retirons d'appels d'offres importants pour la simple raison que beaucoup d'entreprises cassent les prix. Une entreprise qui travaille dans la transparence ne peut garantir une prestation de qualité pour un coût minime. Il existe des entreprises sensibles à nos arguments et d'autres nous taxent de «plus chers» et ne voient pas les efforts qu'on déploie en termes de sensibilisation, formation, développement des méthodes de travail… Sinon, je pense que les freins à son développement sont de deux ordres. Tout d'abord, il y a la précarité, surtout pour les cadres. Ces derniers n'ont qu'une seule chose en tête : trouver un emploi stable. C'est pourquoi, en tant qu'agence d'intérim, nous devons les rassurer en leur proposant notamment de nouvelles missions. Il faut leur donner confiance et surtout leur montrer les bénéfices d'une telle alternative. Le second problème réside au niveau des entreprises. Il s'agit de la difficulté à trouver la personne en mesure d'assurer un remplacement et en assumer les contraintes, surtout pour les postes de responsabilité. La formation reste justement un volet important mais dont peu d'entreprises d'intérim se soucient… Il est vrai que peu d'intérimaires ont accès à la formation parce que beaucoup d'entre eux ne sont pas intéressés et que leur principal souci est de travailler dans de bonnes conditions et être déclarés. Chez nous par exemple, on assure 15 demi-journées de formation par mois. Par exemple, les manutentionnaires apprennent souvent les règles de base en matière d'hygiène, de sécurité et d'environnement. D'ailleurs, nous avons édité un livret que nous leur remettons systématiquement. En tant qu'employeur, nous sommes très attentifs à ces aspects. Il nous arrive de retirer certains de nos intérimaires quand l'entreprise ne respecte pas les bonnes conditions de vie des salariés. Il arrive aussi que certains de nos clients nous sollicitent pour des actions de formation. On établit avec elles des plans de formation pour la population intérimaire. L'intérim touche-t-il de nouvelles catégories socioprofessionnelles ? En ce qui nous concerne, selon les statistiques de 2010, près de 66 % de nos intérimaires sont dans le secteur industriel, moins de 10 % dans les BTP et le reste dans le tertiaire. Pour les fonctions, on observe un gain d'intérêt pour de nouveaux postes. En volume, cela reste marginal. Il nous est arrivé de proposer un responsable achat pour une mission de six mois, suite à un remplacement de l'ancien cadre. Nous avons également proposé des responsables qualité sur des missions qui ne dépassent pas les six mois, des contrôleurs de gestion, un directeur adjoint d'usine… A vrai dire, l'intérim cadre ne se développe pas assez. En France par exemple, ce segment atteint à peine 5% des intérimaires. La difficulté réside de trouver des profils disponibles et qui acceptent des missions d'intérim. C'est frustrant d'avoir de bonnes missions et pas de profils.