Les deux artistes exposent à Loft Art Gallery jusqu'au 12 mars. L'un repeint des photographies à l'acrylique et l'autre filtre l'image à travers le verre. La complicité entre le photographe Jean-Claude Lafitte et Kim Bennani réaffirmée. Curieuse rencontre que celle qu'a faite le visiteur à Loft Art Gallery à Casablanca, ce soir du 17 février. Une rencontre entre deux artistes qui de prime abord n'ont rien à voir en commun. «Troublant hasard» est le nom que porte l'exposition qui a rassemblé Kim Bennani et Claire de Virieu. Ce qui réunit les deux artistes est un travail sur la photographie et les points communs s'arrêteront là ! «Kim Bennani et Claire de Virieu ne se sont jamais rencontrés, n'ont pas la même approche ni les mêmes maîtres et pourtant, leurs images se font écho, leurs œuvres dialoguent. Elles sont comme une bouffée d'air frais, une dose d'oxygène qui métamorphose notre univers en émotion. Avec eux, la technique disparaît et la poésie entre en scène…», éclaire la galeriste. Pour la première fois depuis sa création, Loft Art Gallery met à l'honneur la photographie et ouvre sa sélection à deux grands artistes, l'un Marocain, l'autre Français. Kim Bennani est né à Tétouan, en 1972. Il est le fils du peintre Mohamed Bennani plus connu sous le diminutif Moa. A l'âge de 11 ans, Kim obtient le premier prix d'un concours international de dessin : le Chan Kars International Children competition, à New Delhi, en Inde. Il s'inscrit à l'école des beaux arts de Tétouan, et termine sa formation académique à l'école des arts appliqués à Malaga en Espagne. Pour le peintre c'était déjà beaucoup de contraintes. «Ma formation est en train de devenir une déformation… J'aimerais oublier la technique, ne plus savoir peindre… Je cherche à ce que ma peinture me ressemble, qu'on sache qu'il s'agit de moi, bien qu'il y ait quelqu'un en moi qui s'exprime plus violemment que l'apparence que je donne… J'ai commencé par faire un travail très différent de Moa, du figuratif, de peur de ressembler à mon père. Souvent, lorsque les gens voient mes tableaux, ils me disent que je lui ressemble un peu. C'est normal, j'ai vécu toute ma vie dans ses images, qui sont en moi autant qu'elles sont en lui». Se libérer de l'académisme semble être la démarche de l'artiste. La liberté retrouvée de Kim Bennani s'exprime à travers la série de tableaux qu'il expose en ce moment au Loft Art Gallery et jusqu'au 12 mars. La rencontre avec la photographie l'exalte. Mais il ne troque pas la peinture contre l'objectif, il les associe, les confronte, leur propose une association. Kim Bennani n'est pas photographe et ne prétend pas l'être. Cette exposition est née du rapport de deux matières, de deux regards, de deux techniques. L'artiste peint des clichés photographiques à l'acrylique. Paysages marins, urbains et désertiques… Ce beau travail, très soigné composé avec le photographe Jean-Claude Lafitte est non seulement une superposition de matière mais de regard. Une co-écriture on aurait dit en littérature, une harmonie trouverait son équivalent en musique. Le résultat est surprenant ou, plutôt, troublant ! «Ce qui est troublant, à première vue, c'est de ne pas pouvoir déterminer ce qui a été caché et ce qui est resté presque en l'état. Parfois des détails semblent avoir été rajoutés, d'autres effacés… Je ne me rappelle plus comment était exactement l'image originale et pourtant, dans l'esprit, elle est là», explique Jean-Claude Lafitte qui est également auteur du beau livre sur le Maroc, Le Maroc à Contre-Jour (Edition Marsam – 2006). La peinture de Kim Bennani retient des images, révèle d'autres possibilités de lecture, de nouvelles façons de voir. Les photographies deviennent «matière» de transcendance, moyen mécanique de sortir de ses limites et invite à repenser les choses. A 38 ans, Kim Bennani a déjà traversé plusieurs courants de peinture. Mais il semble poser cette même question. Qu'est-ce qu'on veut atteindre par le regard ? Est-ce de ramener en surface ce qui est supposé être caché ? Il nous éloigne du contact immédiat et nous propose une autre façon de voir. En fait, les toiles qu'il nous propose sont aussi un leurre. Allez chercher la réalité dans ce qui est peint, maquillé, reconfiguré. Vous n'y trouverez qu'incertitude. La photographie hante la peinture ou vice versa. Il n'y a plus de logique sauf l'effacement du premier regard, de la première impression. La complicité entre le photographe et le peintre n'est pas récente. En 2008, Fan Dok galerie à Rabat avait déjà accueilli un travail similaire, «Aux frontières du regard et de l'interprétation». «Kim Bennani observe longuement les clichés. Il doit penser au potentiel que recèle chacune des photos pour lui permettre un traitement pictural. Puis, une fois le choix des images arrêté, Kim Bennani peint directement sur la toile photographique numérisée, ajoute ou retranche à l'acrylique colorée, sur des images le plus souvent en noir et blanc, brisant ainsi les limites entre l'imaginaire et le réel…», explique-t-on à la galerie Loft Art. Claire de Virieu, de l'abstraction naît la fascination… Claire de Virieu propose, par contre, un travail assez abstrait et difficile à saisir. Un travail qui retient les images, provoque le regard et surtout l'interrogation. «Le morceau de réalité que je saisis et par lequel je suis moi-même "saisie" se métamorphose à travers mon regard en paysage intime», écrit-elle. L'artiste qui sillonne le monde allant de la France au Japon n'était pas présente au vernissage de l'exposition. Les visiteurs sont restés sur leur faim, essayant chacun de donner un sens aux clichés, assez abstraits, à l'allure dévitalisée. Seule la galeriste semble avoir compris la démarche de l'artiste. «Claire de Virieu, dit-elle, transcende un paysage en œuvre d'art, nous montre à travers ses deux séries les plus récentes, "glass landscapes" et "Nara", que la réalité perçue, subjective et fugitive, n'est que le reflet d'un état intérieur. Ni conceptuelle, ni plasticienne, elle ne cherche pas à transformer par la pensée ou par l'artifice le réel qui s'offre à ses yeux…Ses images ne sont pas descriptives. Elles révèlent bien plus qu'un lieu ou un instant figé. Elles sont une ouverture sur l'imaginaire, ce que l'on ne voit que les yeux fermés, un inconscient onirique et invisible si présent». Rompre avec ce qui est connu, se détourner de l'image et en proposer une autre, oser la fracture, s'affranchir de l'effet de l'image…telle sont les impressions que laissent les clichés de Claire de Virieu qui filtre l'image à travers le verre. Ainsi ces fragments, ces éclats, s'offrent au regard à Loft Art Gallery. Il ne faut s'attendre à rien d'autre, sinon à la fascination.