Publié en 2007 par les soins d'Eddif Paris, «Etre en vie», Å"uvre de l'actuel ministre de la culture Bensalem Himmich, paraît à nouveau à La Croisée des chemins. Centré sur l'humain, cet essai nourrit, à grand renfort de références convaincantes, une réflexion sur la condition humaine. En ce printemps intellectuellement givré, rien de tel qu'un embarquement immédiat dans ce train chauffé à souhait, pour se décongeler les méninges. Rassurez-vous, bien que composé par un penseur à l'érudition vertigineuse, Etre en vie ne s'apparente pas du tout à ces traits philosophiques rigides, abscons, impénétrables, qu'on referme sitôt les avoir ouverts. Pour autant, Bensalem Himmich ne tombe pas dans l'écueil du simplisme racoleur et de la limpidité paresseuse. Nous avons, ici, affaire à une gerbe de pensées enveloppée dans un patchwork cousu de méditations à méditer, de fécondes réflexions, de professions de foi, d'aveux d'engouements, de coups de cœur et de griffes, au travers duquel l'actuel ministre de la culture, et ci-devant universitaire, déploie son érudition partageuse, sa curiosité sans rivages, son humour, parfois tendre, tantôt féroce, au gré de son humeur. Autant d'arguments en faveur de ce livre, parmi lequel il fait bon flâner, picorant ici, s'attardant là, et suspendant, ailleurs, sa lecture pour mieux en jouir. L'ouvrage invite à sa table une foison de lumières-Mystiques ardents Ainsi que le suggère le titre, le fil rouge d'Etre en vie est la vie. D'où des plages vivifiantes sur le bonheur, le sens ou le non-sens de l'existence, le bien et le mal, l'amour : «Comme je n'aimais pas la voir quand elle riait ou faisait grise mine, ou bien quand elle mangeait ou buvait, je me suis mis à lui répéter à tue-tête une parole qui dit : "S'aimer, ce n'est pas se voir les yeux dans les yeux, mais voir ensemble dans la même direction"». L'aphorisme est d'Antoine Saint-Exupéry, un humaniste dont Himmich prise la compagnie, comme celle de Montaigne, avec qui il partage une vision sereine de la mort. D'où cette charge sarcastique à l'encontre des mortels qui s'escriment à fuir la faucheuse : «Voyez ces gens qui ont la mort en horreur, soit par peur de mourir avant les autres, soit par excès de conscience de leur rôle dans la marche du monde. On ne dira jamais assez qu'ils sont dans les deux cas des trompeurs-trompés sur la scène grouillante de ce théâtre d'ombres qu'est la vie». Délicieux festin de l'esprit, Etre en vie invite à sa table une foison de lumières-Mystiques ardents, tels Al Hallaj, Mohasibi, Al Hafi, Abou Madyan…, poètes emblématiques, à l'image de Abou Nouwas ou Al Maâri et penseurs qui ont révolutionné leur temps (Marc Aurèle, Ibn Sina, Ibn Rochd, Ibn Arabi, Ibn Sabin, Ibn Khaldoun, Tawhidi, Nietzsche) ne sont pas, ici, seulement évoqués, mais plutôt invoqués contre la tiédeur et la mollesse de la pensée moderne. «Les intellectuels ont perdu presque tout penchant à étonner ou à s'étonner eux-mêmes. Ils sont toujours là où on les prévoit et là où on les attend, tels des êtres plus ou moins programmés», se désole l'autre. A la lecture d'Etre en vie, on s'aperçoit qu'il conserve intacte sa faculté d'émerveillement, et on s'en réjouit. «Etre en vie» et autres fragments, essai, par Bensalem Himmich, La Croisée des chemins, 2010, 170 p., 85 DH.