J'avais été feinté, en 2005, par la beauté d'un livre de photographies qui était aussi un livre d'écrivain. Maroc ordinaire, (le Bec en l'air, éd) n'a pas cessé, depuis, d'accompagner mes rêveries et de nourrir mes réflexions. Son auteur, Joseph Marando, qui vit en Haute Provence depuis ses six ans, est né au Maroc en 1956, d'un père italien et d'une mère marocaine. Lorsqu'il a commencé de chercher à retrouver sa famille marocaine, il a rencontré, au fil de ses voyages, tous ceux qui lui manquaient. Néanmoins, Marando écrit : Je pressens une incompréhension à venir entre nos deux mondes, une vrais dérive des continents. On se comprend de moins en moins jusqu'à se refuser mutuellement, je le sais d'instinct. Les certitudes se construisent des deux côtés de la Méditerranée, un mur mitoyen mais aveugle.¨Cette pseudo-fatalité subit une défaite lorsqu'un regard d'ami enregistre les pulsations des gens et des choses: là-bas et ici se changent en parallèles nostalgiques l'une de l'autre. Ce sentiment, on l'éprouve si l'on retourne en arrière, jusqu'à certain géant de l'érudition et de l'empathie, Louis Massignon. Celui-ci appartint au Comité France-Maghreb où, auprès de François Mauriac et de Robert Barrat, il mit toute sa sagesse et sa ferveur à soutenir l'aspiration marocaine à l'indépendance.Furetant, tout intimidé dans les quatre volumes de La Passion de Husayn ibn Mansoûr Hallâj qui sont réédités chez Gallimard dans la collection de poche Tel, on est émerveillé et même sidéré. Etude d'histoire religieuse, La Passion de Husayn Ibn Mansûr Hallâj, martyr mystique de l'Islam exécuté à Bagdad le le 26 mars 922 est une œuvre monumentale oû Massignon abordait en un premier volume la vie de Hallâj .En un second volume, il s'attachait à la survie de Hallâj , puis il décrivait la doctrine de Hallâj avant le quatrième volume tout entier dévolu à la bibliographie et à l'index. En 1922, ce monument tenait en deux volumes. Aujourd'hui, l'édition de poche reprend l'édition de 1975 et on y trouve tout un appareil de préfaces. D'abord celle de 1914, où Massignon rappelle que ¨dans la légende islamique-chez les poètes arabes, persans, turcs, hindous et malais, Hallâj est devenu le type de¨ l'amant parfait¨ de Dieu, condamné au gibet pour s'être enivré du cri extatique:¨ je suis la vérité.¨Dans une nouvelle préface datée du 31 octobre 1962, très peu de temps avant qu'il ne meure, Louis Massignon évoque le fait que cette étude, il l'entreprit au Caire en 1907, en marge de son apprentissage de l'arabe parlé et écrit. Vous avez dit 1907? Songez alors que Le voyage en Orient de Gustave Flaubert parut seulement en 1910, publication posthume comme en 1926 O Egipto (L'Egypte) du grand romancier portugais Eça de Queiroz.Puisque l'Egypte de l'islamologue chrétien Louis Massignon nous a requis un instant, ne la quittons pas sans nous souvenir du Cairote Georges Henein qui, depuis Paris, écrivait en mars 1966 dans Jeune Afrique: ¨Mais cet Orient que Malraux interpelle et qu'il cherche à saisir (¨¨) dans quelle mesure conserve-t-il son intransigeance intérieure? La civilisation technicienne a pesé de tout son poids sur cet être majestueux.¨Louis Massignon croyait en la puissance des forces spirituelles et au dialogue entre les religions.Considérant que la civilisation technicienne avait meurtri l'être de l'Orient, Henein, plus sceptique que Massignon songeait que la revanche de l'Orient prendrait peut-être ¨des formes qui n'auront rien de commun avec ce fameux dialogue auquel on le convie…¨ En fait de convier au dialogue,L'exemple immédiatement contemporain dans la ville de Bagdad laisse sans voix. Reste à relire Massignon écrivant sur le qabr al Hallâj à Bagdad et y relevant, le 16 mars 1908 un graffito en turc: … Dieu… « Anâ'l Haq »… puis un graffito en arabe : ¨ j'ai mis par écrit en ce lieu le témoignage qu'il n'y a pas de divinité excepté Dieu.¨