Vieille de presque un quart de siècle, la décharge de Médiouna continue d'être un point noir à Casablanca. Les chiffonniers perturbent le travail de la société Ecomed qui exploite la décharge depuis novembre dernier. Une nouvelle décharge sera opérationnelle d'ici 2011. Le site de l'actuelle décharge sera réhabilité. Une journée ensoleillée, un vent printanier caresse le visage. Mais ce plaisir est vite gâché par des odeurs nauséabondes à l'approche de la décharge de Médiouna. Véritable point noir pour l'environnement de la métropole, le spectacle qui se dresse devant nous est ahurissant. On pense tout de suite, avec un sentiment de compassion, aux habitants qui côtoient quotidiennement ces montagnes de déchets qui se déversent sur leur région par centaines de tonnes chaque jour, et l'on se met à rêver du petit robot «Wall. E» du fameux film d'animation. Les 30 000 habitants de la région en souffrent. «Cette montagne d'ordures est un danger pour notre santé et pollue dangereusement notre environnement», se plaint Bouchaïb El Omari, président de la commune rurale Majatia Ouled Taleb où se trouve la décharge. On comprend aisément son amertume : 3 000 tonnes de déchets ménagers sont jetées chaque jour dans la décharge. On y trouve de tout : depuis les déchets de cuisine et le verre cassé jusqu'aux cadavres d'animaux et les déchets hospitaliers. Un mélange de produits qui, enfouis sous terre, car non incinérés, ne peut qu'infester la nappe phréatique de la région. Ce n'est pas tout : dans ce tas d'ordures, il y a du bétail qui se nourrit comme il peut et des êtres humains, quelque 500 chiffonniers, qui en tirent leur gagne-pain. Squattant carrément la zone et construisant même des habitations de fortune, ces chiffonniers sont les véritables maîtres des lieux : gare à celui qui s'y aventure sans leur permission. Nous nous approchons de l'un d'entre eux, Bachir, un quadragénaire à forte corpulence, qui vit ici depuis une dizaine d'années. Son travail consiste, bien entendu, à trier les déchets et à choisir les plus rentables. «Ce sont les déchets de cuivre qui m'intéressent le plus, je les vends à 13,50 DH le kilo. Mais il y a aussi les déchets de plastique qui sont, ici, très demandés : ça se vend à 20 centimes le kilo», lâche le bonhomme, le regard méfiant. Père de famille, ce récupérateur avoue que le métier est en pleine crise. «Avant, il m'arrivait de gagner 50 à 60 DH par jour, ce n'est plus le cas aujourd'hui. Les déchets qui arrivent à Médiouna sont déjà triés par les récupérateurs qui opèrent dans la ville», déplore-t-il. Malgré cette crise, Bachir et ses collègues continuent leur besogne, dans l'espoir de trouver peut-être un jour un trésor enfoui parmi les détritus. Fait nouveau : depuis quelque temps, ce sont aussi les femmes qui s'y mettent. C'est le cas de Rkia. Elle aussi travaille dans ces ordures depuis bientôt six ans. Plongée dans ses recherches, méfiante, elle ne daigne répondre à aucune de nos questions. Un univers à part ? Certainement, mais la décharge de Médiouna est aussi et surtout un problème social et environnemental sérieux qui révèle au grand jour l'autre face misérable de la capitale économique. Du gros matériel pour exploiter la décharge de Médiouna Depuis que cette décharge a été implantée là, les cris d'alarme n'ont cessé de fuser de partout. Plusieurs projets concoctés dans l'improvisation par les responsables de la ville de Casablanca, pour y trouver une solution, n'ont jamais connu de suite. Mais, ces derniers temps, de plus en plus conscientes de la nécessité d'une solution radicale, les autorités locales semblent prendre le problème à bras le corps. En mars 2008, un contrat de gestion déléguée a été signée entre le conseil de la ville de Casablanca et le groupement maroco-américain Ecomed (société qui a remporté l'appel d'offres international lancé en 2005). Depuis novembre 2008, Ecomed est chargée en même temps d'exploiter la décharge et de réhabiliter le site dans un délai ne dépassant pas deux ans. Le groupement s'engage aussi, sur son propre financement, à concevoir, réaliser et exploiter une nouvelle décharge contrôlée durant une période de 16 ans. Au grand soulagement des riverains. Cela fait meintenant un peu plus de cinq mois que la société Ecomed a entamé ses activités sur les lieux. Le montant annuel de ladite exploitation, engagé totalement par le conseil de la ville, est évalué à 49,22 MDH. Mais le groupement veut s'attaquer d'abord au problème épineux du liquide lixiviat (liquide résiduel qui provient de la percolation de l'eau à travers les déchets) qui se déversait sur la voie publique aux alentours du site. Les accès qui mènent aux aires de déchargement sont en voie de réaménagement, l'éclairage est en nette amélioration, ainsi que la sécurité. Ecomed doit également aménager une plate-forme de tri et engager du personnel pour cela. «Nous sommes toujours en phase de démarrage. Cela fait à peine quatre mois que nous sommes présents sur place. Mais je peux vous assurer que les choses vont bon train. La seule contrainte que nous avons est relative aux chiffonniers qui squattent la décharge. Ils nous empêchent d'aller plus vite dans la réalisation de nos travaux», nous affirme un responsable au sein d'Ecomed. En effet, quand un camion d'ordures entre sur le site pour décharger, il est immédiatement immobilisé par les chiffonniers qui squattent sa cargaison et entament le tri sans crier gare. Le travail peut durer, selon le volume transporté, entre une et trois heures. Pour la société Ecomed la tâche ne sera pas facile: ces gens ont fait de la décharge une source de subsistance, et il sera difficile de les en déloger du jour au lendemain. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle la société a appelé à la rescousse les autorités locales pour trouver une solution à ce problème, d'autant que le groupement maroco-américain a déjà mis en place un matériel coûteux pour mener à bien sa mission : Trois bulldozers, un chargeur, un chargeur à chenilles, une pelle hydraulique, un camion dumper et bien d'autres engins. Un investissement qui a coûté à Ecomed quelque 20 millions de dirhams. Sachant que le montant de la totalité du projet depuis l'exploitation et la réhabilitation du site jusqu'à la livraison de la nouvelle décharge (sur une période qui s'étale sur 18 ans) avoisine les 920 MDH (voir encadré). Malgré cet effort, les habitants de la région, à leur tête Bouchaïb El Omari, président de la commune rurale Ouled Taleb, dont relève la décharge, continuent de se plaindre. Pour eux, il n'y a eu aucun changement significatif. «Hormis le règlement du problème de l'infiltration de l'eau de lixiviat, aucune autre amélioration n'est visible», constate le président de la commune. Mais ce que les habitants de la région ignorent c'est que la décharge en question est vouée, au terme de la convention conclue avec les autorités de la ville, à la disparition. Elle sera d'abord recouverte de terre, ensuite il sera procédé à une végétalisation du site pour l'intégrer dans son milieu naturel. Une opération de réhabilitation qui nécessitera un montant global estimé par Ecomed à plus de 56 millions de dirhams et qui devra être finalisée au plus tard en 2011, selon la convention. Ces détails échappent aussi aux chiffonniers de la décharge, comme Bachir. Malgré l'arrivée du nouveau gestionnaire, les travaux déjà en cours et tous ce qu'ils entendent çà et là sur les projets d'avenir, tous sont persuadés que leur décharge ne pourra jamais disparaître. «Nous avons ouvert les yeux dans cette décharge, nous y passerons toute notre vie», lance, avec défi, un jeune collègue de Bachir.