Ecomed envisage de recourir à un tribunal arbitral international pour trancher son litige avec la ville de Casablanca. C'est en tout cas ce qu'a affirmé officiellement Ahmed Hamidi, PDG d'Ecomed, dans une entrevue accordée à Aujourd'hui Le Maroc. C'est que depuis le 23 juillet 2018, date à laquelle ses équipes ont été délogées manu militari par les services du Conseil de la ville du site de la décharge de Médiouna, la société Ecomed est entrée dans un bras de fer qui est aujourd'hui au stade judiciaire. La société qui assurait l'exploitation de la décharge depuis novembre 2008 sous forme de gestion déléguée s'est vue, en effet, notifier par le Conseil la résiliation du contrat. Décision qui, naturellement, a donné lieu à une bataille juridique qui n'en finit pas de rebondir. Pour justifier sa décision, le Conseil de la ville de Casablanca a évoqué les manquements de la société délégataire à ses engagements contractuels. Deux volets ont fait particulièrement l'objet de reproche. Le premier concerne le traitement du lixiviat, ce liquide fortement toxique et dangereux qui est produit par les volumes de déchets entassés. La ville de Casablanca, entre autres, reproche de ne pas avoir investi suffisamment dans le système d'étanchéité, de collecte et de drainage du lixiviat. Ce qui a occasionné des accidents de fuites, souvent visibles à l'œil nu, et surtout des infiltrations qui ont affecté la nappe phréatique de la région. A tout cela, la société Ecomed apporte ses arguments et surtout les éléments de défense démontrant la pleine et unique responsabilité du Conseil. Ainsi, selon le PDG d'Ecomed : «Quand le contrat de gestion déléguée a été signé en novembre 2008, il était question d'exploiter la décharge de Médiouna pour une période transitoire de deux années seulement, après quoi on devait la fermer et ouvrir un nouveau site». Par conséquent, le système de traitement du lixiviat prévu par Ecomed a été initialement dimensionné pour deux années seulement qui correspondent à une hauteur de 15 mètres du dôme constitué par l'entassement des déchets. Or «le changement de site n'a pas eu lieu et on s'est retrouvé, dix ans après, avec une hauteur des déchets de plus de 45 mètres, ce qui, naturellement, rend le système de traitement du lixiviat inefficace», explique le PDG d'Ecomed. Le deuxième point sur lequel le Conseil de la ville a basé sa décision de résiliation : la non réalisation par Ecomed du centre de tri comme prévu au contrat. Là aussi, le management d'Ecomed apporte ses éléments de défense en mettant en avant les termes même du contrat de gestion déléguée signé en novembre 2008. L'instauration d'un système de tri à la décharge de Médiouna passait inévitablement par la solution d'un grand problème : les chiffonniers. Et en novembre 2008, au moment de l'arrivée d'Ecomed, ils n'étaient pas moins de 2.000 chiffonniers à travailler sur le site dans l'anarchie la plus totale. Au moment de signer le contrat, explique le PDG d'Ecomed, «le Conseil de la ville s'était engagé à réduire le nombre de chiffonniers à 150 seulement et cela a été dûment consigné dans l'accord». Ainsi, l'article 9 dudit contrat de gestion déléguée stipule explicitement : «L'obligation pour la ville d'évacuer les occupants de la décharge, notamment les 2.000 chiffonniers, en limitant leur nombre à 150, et les 20.000 têtes de bétail». Dix années plus tard, il n'est un secret pour personne que rien de tout cela n'a été fait. Mais au lieu de reconnaître son tort, le Conseil de la ville, en plus de la résiliation du contrat de manière unilatérale, réclame aujourd'hui par voie judiciaire un montant de 50 millions DH à l'ancien délégataire qui aurait perçu des rémunérations sur les opérations de tri qu'il n'a, en fait, jamais réalisées. Ce à quoi les responsables d'Ecomed apportent eux aussi leurs propres arguments. «Pour réaliser le tri conformément au contrat, le Conseil de la ville devait d'abord évacuer la décharge des chiffonniers et du bétail et, ensuite, assurer la sécurité du site, ce qui n'a jamais été fait à ce jour», rappelle le PDG de la société. D'ailleurs, fait-il remarquer, «le dernier jugement rendu par la Cour régionale des comptes de Casablanca en juillet 2018 a clairement mis en cause le Conseil de la ville comme seul et unique responsable de la non réalisation du système de tri». En revanche, Ecomed réclame pour sa part la somme astronomique de 750 millions DH au Conseil de la ville. Le PDG de la société indique, en effet, documents et chiffres à l'appui, que la ville refuse depuis novembre 2017 de régler à Ecomed les sommes qui lui sont dues au titre du traitement des déchets et qui s'élèvent à 260 millions DH. A ce chiffre viennent s'ajouter les dommages et intérêts pour résiliation du contrat pour faire un total de 750 MDH. Et visiblement, le management d'Ecomed semble décidé à user de tous les moyens et recours pour se défendre. Les tentatives de solutions à l'amiable n'ayant rien donné et après son évacuation forcée de la décharge, le management de la société, en plus de la voie judiciaire, a décidé de porter le litige à un niveau supérieur. Ainsi et au vu de l'impasse avec le Conseil de la ville de Casablanca, les responsables d'Ecomed considèrent qu'il s'agit désormais d'un litige national «qu'il faudra régler avec l'Etat marocain et pas avec les élus de la ville». Raison pour laquelle, en juin dernier, Ecomed a envoyé une correspondance au chef de gouvernement et à plusieurs ministres concernés. Il ne s'agit pas d'une simple correspondance mais d'une lettre d'intention où Ecomed annonce officiellement au gouvernement marocain qu'elle compte s'adresser à une juridiction internationale pour régler le litige. Le PDG de la société explique, en effet, que «l'affaire sera portée devant un tribunal arbitral international». Mais cela ne sera pas fait dans l'immédiat. Le texte de l'accord de libre-échange entre le Maroc et les Etats-Unis, dans son chapitre consacré à la protection des investissements, prévoit, en effet, que les investisseurs de part et d'autre peuvent recourir à des juridictions arbitrales internationales en cas de litige. Et cette disposition que la société Ecomed compte activer du moment qu'elle est, elle-même, filiale de deux sociétés américaines, en l'occurrence Edgeboro et GESI. Le texte de l'accord de libre-échange prévoit aussi que quand un des deux Etats reçoit une lettre d'intention, telle que celle adressée par Ecomed, il est dans l'obligation d'y répondre dans un délai maximum de 90 jours. En d'autres termes, si le gouvernement n'apporte aucune réponse à la lettre reçue d'Ecomed avant le 15 septembre, cette dernière portera l'affaire devant un tribunal arbitral international. D'ailleurs, indiquent les responsables d'Ecomed, toutes les dispositions ont d'ores et déjà été prises dans une telle éventualité. Le cabinet d'avocats américain Hogan Lovells a été officiellement mandaté pour plaider à la barre. Le linge sale de la gestion de Casablanca sera lavé en public et à l'international...