Pour les maladies lourdes, les traitements coûtent cher et les remboursements tardent. Des assurés sont obligés de s'endetter pour se faire soigner. L'instauration du tiers payant vivement réclamée. L'Assurance maladie obligatoire (Amo) est une réalité depuis trois ans, et profite à un large pan de la population. Mais, comme pour tout démarrage d'un système de ce genre, les dysfonctionnements ne manquent pas, ce qui touche particulièrement les patients souffrant de pathologies lourdes et coûteuses.Rappelons d'abord que ce régime médical couvre aujourd'hui 43 affections de longue durée (ALD). En 2008, la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) a liquidé 524 278 dossiers, dont 25% portant sur des ALD, soit 131 000, qui représentent un montant de remboursement de 166,3 MDH. Environ 71 028 dossiers d'ouverture de droit ALD ont été traités depuis le début de cette année. Des indicateurs qui attestent que la population assurée auprès de la caisse, notamment les patients atteints de maladies lourdes, avait grandement besoin de couverture. C'est le cas de M.M., un retraité de Casablanca, souffrant d'une hépatite C depuis six ans. «Auparavant, je ne pouvais pas traiter mon mal régulièrement compte tenu du coût élevé des soins. Mais, depuis le démarrage de l'Amo, je bénéficie d'une couverture», reconnaît-il. Une couverture qui n'a été possible que grâce au principe de l'antériorité de la maladie qui, contrairement à ce qui se passe chez les assureurs privés, est admis dans le cadre de l'Amo. Néanmoins, cette couverture ne s'est pas mise en place sans difficultés. A ce propos, le patient raconte : «Pour le traitement, mon médecin m'a prescrit une boîte de 30 comprimés, qui coûte 6 000 DH. Mais ce médicament ne peut être remboursé par la CNSS car il ne figure pas sur la liste des produits remboursables. Mon médecin a donc dû le remplacer par un autre produit, moins cher, certes (2 700 DH : ndlr), mais moins efficace. Du coup, mon traitement et ma guérison prendront plus de temps…» L'idée d'arrêter une liste de médicaments remboursables avait été très critiquée, au moment de la discussion du projet, par les médecins. Le gouvernement l'a finalement adoptée, en s'engageant à réviser la liste régulièrement. Mais il apparaît aujourd'hui que la révision ne se fait pas en concertation avec le corps médical. Les médecins estiment, en effet, que l'établissement d'une liste peut affecter les protocoles de soins pour certaines maladies. «C'est le cas des médicaments soignant les effets secondaires des ALD, qui ne figurent pas sur la liste et qui, par conséquent, ne sont pas remboursables, alors que, en raison de leur prix élevé, les patients aux revenus limités, et ils sont nombreux, ne peuvent les acheter !», déplore le Pr Driss Jamil, président de l'Association SOS Hépatite. A titre d'exemple, il cite le cas des personnes atteintes d'hépatite B et C qui doivent traiter, en plus, leur anémie, moyennant une injection (une fois par semaine en moyenne), qui coûte 2 000 DH l'unité et n'est pas remboursée par la CNSS. 2 000 DH de salaire et 75 000 DH de soins ! L'Amo pèche également, explique un médecin, par l'absence d'un mécanisme de prise en charge, contrairement à la Caisse nationale des organismes de prévoyance sociale (Cnops) qui offre cette possibilité à ses affiliés. Selon un médecin spécialiste du diabète, le système de la CNSS «lèse les patients aux moyens limités, qui souffrent également de retards dans les délais de remboursement». M.M., notre retraité, qui perçoit une pension de 3600 DH, fait partie de ces patients confrontés à des difficultés financières du fait qu'ils ne bénéficient pas de prise en charge. «Jusqu'à présent, se plaint-il, j'ai dû recourir à des crédits auprès de mon entourage pour pouvoir payer mon traitement». E.A., salarié âgé de 59 ans, habitant El Jadida et souffrant également d'une hépatite C, vit aussi un calvaire. «A défaut de bénéficier du tiers payant, et n'ayant qu'un salaire net de 2000 DH, j'ai dû emprunter et participer à une tontine pour pouvoir acheter mon traitement et faire mes analyses», explique-t-il. Le plus dramatique, c'est qu'il attend depuis huit mois le remboursement des frais engagés (en analyses biologiques et en médicaments). «J'ai commencé mon traitement en avril et j'ai dépensé, pour les six derniers mois de traitement, 75 000 DH que l'on ne m'a toujours pas remboursés. Pourtant, j'ai remis tous les justificatifs et les trois factures de 25 000 DH chacune !», confie-t-il. Le pire, ajoute-t-il, «c'est que j'ai dû déposer un chèque de garantie de mon fils au laboratoire auprès duquel j'achète mes médicaments». Ce patient n'a pas seulement souffert du retard des remboursements, il a également pâti du retard au niveau de l'octroi de l'accord de la CNSS. «J'ai découvert ma maladie en janvier dernier, raconte-t-il, et j'ai alors déposé un dossier de demande de prise en charge. L'accord de la CNSS m'est parvenu deux mois après. Je n'ai donc pu commencer mon traitement qu'au mois d'avril. Or, le temps compte beaucoup dans le traitement de cette maladie…». Pour K.L., souffrant, lui, d'un diabète doublé d'une insuffisance rénale, la situation est tout aussi difficile. «L'idée d'arrêter mon traitement m'a souvent effleuré car je ne voyais pas d'issue à ma situation. Heureusement, une association me fournit en médicaments gratuitement et prend en charge mes séances de dialyse», confie-t-il. Pour les associations de lutte contre certaines ALD, particulièrement l'hépatite, le diabète et la néphrologie, la seule solution est la mise en place du système du tiers payant. Qu'en pense-t-on à la CNSS ? Nous avons posé la question, mais, à l'heure où nous mettions sous presse, la caisse ne nous avait toujours pas communiqué de réponses.