Les terres des Domaines ne serviront plus aux seuls logements à 140 000 DH, mais aussi à ceux destinés à la classe moyenne et aux programmes d'habitat social La disponibilité du foncier pose donc problème. Délicate ! C'est ainsi que l'on peut résumer la conjoncture actuelle pour le secteur de l'immobilier. Et pour cause, à côté d'un attentisme dans la concrétisation des ventes de logements, de la non-signature de convention portant sur l'habitat social, le projet des logements à 140 000 DH, présenté en avril 2008, n'arrive toujours pas à décoller. Déjà, en septembre dernier, La Vie éco avait livré les sujets techniques (coût du foncier, défiscalisation et péréquation) sur lesquels les promoteurs immobiliers et le ministère de l'habitat avaient des divergences. Depuis huit mois, les choses n'ont pas beaucoup avancé et les avis des autres administrations sont venus compliquer la tâche de l'Habitat. 63 promoteurs ont répondu à l'appel d'offres lancé par Al Omrane Rappelons qu'Al Omrane, le bras armé de l'Etat en matière d'aménagement immobilier, avait présenté aux promoteurs un tableau récapitulatif des principaux caractères des logements à 140 000 DH. Selon les estimations du holding d'aménagement, le prix du m2 construit devrait coûter 2 000 DH dont 850 pour les gros œuvres. Des prix jugés trop bas par les promoteurs immobiliers dont les préoccupations ne se limitent pas à ce point. Youssef Iben Mansour, président de la Fédération nationale des promoteurs immobiliers (FNPI), cite un seul exemple : «Les logements à 140 000 DH sont un produit défiscalisé. Or, nous n'avons aucune information quant à la signature de la convention entre la direction des impôts et Al Omrane pour permettre aux promoteurs immobiliers d'en bénéficier». La question est donc, et demeure, de savoir si ces derniers accepteront de s'engager. Pour l'instant, dix promoteurs se sont manifestés auprès de la FNPI en répondant à un l'appel à manifestation d'intérêt lancé par Al Omrane. «Nous avons transmis les dossiers à l'aménageur qui négocie actuellement la faisabilité des projets», confirme Ikbal Kettani, directeur délégué de la fédération. Al Omrane, pour sa part, annonce un chiffre plus élevé de promoteurs intéressés. «Nous avons reçu les dossiers de 63 promoteurs qui ont l'intention de construire plus de 160 000 logements. Cela, sachant que plus de 15 000 logements ont déjà été initiés par Al Omrane ou par ses filiales. Nous comptons honorer notre objectif qui est de démarrer la construction pour 22 000 logements avant 2009», explique Nabil Kerdoudi, membre du directoire du holding d'aménagement. Les grands, comme Addoha ou Jamaï, attendent de voir… A noter que de grands groupes immobiliers, traditionnellement versés dans l'habitat social, et qui, en raison d'un processus industriel rodé, sont les plus à même d'accompagner ce programme des logements à 140 000 DH, ne se sont pas encore décidés à retirer le dossier.C'est le cas de Addoha et du groupe Jamaï. «Nous n'avons pas encore répondu à l'appel à manifestation lancé par Al Omrane concernant les logements à 140 000 DH, mais cela ne veut pas dire que le projet ne nous intéresse pas. Au contraire, nous essayons, à travers la FNPI, de trouver un accord avec l'aménageur public concernant les différents volets de ce projet, comme la défiscalisation ou la péréquation», justitife Hassan Ben Bachir, conseiller à la présidence chez Addoha. Rachid Jamaï, patron du groupe éponyme, indique qu'ils en sont encore aux études de faisabilité de ce projet. La prudence est également de mise parmi les promoteurs qui ont rempli le dossier d'Al Omrane. C'est le cas notamment de Abdellah Slaoui, PDG de Jascom. «Nous avons rempli le questionnaire d'Al Omrane. Nous verrons comment ce projet sera décliné sur le terrain pour pouvoir en juger. Personnellement, et en fonction des éléments dont nous disposons actuellement, je doute que les promoteurs puissent construire des logements à 140 000 DH, mais il faudra attendre la réponse du ministère de l'habitat et d'Al Omrane concernant les trois fameux volets (ndlr : coût du foncier, défiscalisation et péréquation) pour pouvoir juger en connaissance de cause», indique M. Slaoui. Les Finances et l'Intérieur ont leur mot à dire… La circonspection des promoteurs ne semble pas inquiéter outre mesure Al Omrane. M.Kerdoudi souligne que le holding d'aménagement a déjà démarré les projets avec le foncier dont il dispose. Pour le reste, «nous négocions actuellement pour l'acquisition de 3 700 ha auprès de la direction des Domaines [NDLR : ministère des finances] qui ne constituent que la première tranche d'une série de cessions. La signature, qui a été retardée par le passage de la Loi de finances en commission parlementaire, est imminente», explique une source proche du ministère de l'habitat. Mais voilà bientôt trois mois que cette signature est qualifiée d'«imminente» ! Y aurait-il problème ? En fait, c'est le principe même de péréquation, nécessaire à l'intéressement des promoteurs immobiliers, qui risque de perdre son avantage. En effet, après le discours royal appelant à la nécessité de tenir compte de la classe moyenne, et devant le blocage que connaît le programme des logements à 200 000 DH, les Finances semblent vouloir conditionner la cession du foncier des Domaines à la réalisation aussi bien de logements de moyen standing que de ceux à 200 000 DH. Ainsi, le foncier sera divisé entre les logements super-économiques, le social et les logements destinés à la classe moyenne. Interrogé à ce sujet, M. Kerdoudi se contente de dire que «le foncier de l'Etat va servir non seulement aux logements à 140 000 DH, mais aussi pour tous les programmes d'habitat de l'Etat dont les villes-satellites et les nouvelles zones d'urbanisation». Dans cette optique, les promoteurs qui escomptaient dégager 50% au moins de la superficie allouée pour réaliser de l'immobilier à forte marge (villas, appartements de haut standing) et compenser ainsi le manque de revenus (ils parlent même de déficit) découlant de leur engagement à produire des logements à 140 000 DH, n'ont plus de marge de manœuvre. Une impasse ? Cela y ressemble. Interrogé à ce propos, Toufiq Hejira, ministre de l'habitat, se contente d'affirmer que «le programme des 140 000 avance comme prévu». Aux dernières nouvelles, l'habitat serait en phase de préparation d'un cahier des charges qui sera discuté avec les Finances et l'Intérieur. L'objectif est d'intéresser le maximum d'administrations à cette question du foncier qui risque de gripper la machine.