L'endommage-ment des infrastructures de la plateforme marocaine Rokhas, hébergée chez le leader européen OVH, remet sur le tapis la question de la protection des données numériques sensibles. La majorité du web marocain est hébergée à l'étranger. Un plan national de développement des data centers est en gestation. Tout d'abord, il faudrait saluer la communication de «Rokhas.ma», prestataire de service public d'envergure. Deux jours après l'énorme incendie qui a ravagé l'un des data centers d'OVH, dans la nuit du 9 au 10 mars 2021, la plateforme qui gère la gestion de plusieurs services publics digitalisés (e-signature, e-services urbanistiques...) a annoncé qu'une partie de ses serveurs hébergés chez le leader européen de l'hébergement internet et cloud, basé à Strasbourg, a été sévèrement endommagée. Un exercice de transparence assez rare qui fera certainement tache d'huile dans la gestion de ce genre de crise. Revenir à un état normal prendra plusieurs jours, reconnaît Rokhas. C'est dire l'onde de choc ! Des institutions et des entreprises marocaines, clients d'OVH, ont dû à coup sûr accuser le coup. Il est d'ailleurs difficile de savoir le nombre de comptes marocains hébergés chez l'hébergeur français. Ce genre d'information est généralement classé confidentiel. Pour l'heure, l'on évalue toujours les multiples dégâts de l'incendie qui a ravagé les infrastructures d'OVH. Pour saisir l'impact, il faut savoir que plus de 3,6 millions de sites web et 464 000 noms de domaines n'étaient pas accessibles, quelques heures après le déclenchement de cet incident, dont des plateformes publiques françaises, pour ne citer que «data.gouv.fr». Ce n'est d'ailleurs pas la première fois qu'un tel incident se produit chez OVH. En 2017, un incendie avait ravagé des serveurs du leader européen de l'hébergement. L'Etat devrait jouer le rôle de locomotive Quand on sait que la majorité du web marocain est hébergée à l'étranger, notamment pour des raisons de coûts, les questions relatives au stockage et à la protection des données digitales sont hautement stratégiques. Face aux enjeux économiques, géostratégiques et de souveraineté numérique, il y a lieu d'agir et vite. «Depuis le début de la pandémie Covid-19, nous avons tous constaté comment la continuité des activités économiques et administratives est devenue liée à notre capacité à fournir des services en ligne. Le déploiement de ces services crée de nouvelles dépendances technologiques. La souveraineté en termes de cloud et de data center est une question plus que jamais critique, voire vitale. En gardant nos données et nos capacités de calcul ailleurs sous le contrôle de pays étrangers, nous ne sommes pas à l'abri. L'incident OVH doit nous servir de leçon», relève Salah Baina, professeur universitaire et expert en transformation digitale. Faut-il donc que le Maroc se donne les moyens pour ériger une méga-infrastructure data et cloud digne de ce nom ? Investi par les opérateurs télécoms et des acteurs spécialisés, le paysage cloud marocain reste des plus modestes, selon des spécialistes, qui relèvent toutefois l'évolution d'une offre sérieuse en termes d'hébergement. Quant à la demande, elle n'est toujours pas à la hauteur des ambitions. Il a fallu attendre la fin de l'année 2020 pour qu'un plan national des data center et cloud soit enfin en gestation. Une étude a été commanditée par l'Agence de développement du digital (ADD). Dans sa dernière note d'orientations générales des télécommunications pour 2023, le régulateur du secteur attire l'attention sur le fait que l'arrivée de nouveaux services cloud, plébiscités par le marché des entreprises et des grands comptes, annonce des enjeux importants dans différents domaines. «Le développement de ces nouveaux services doit être encouragé, notamment en mettant en place des conditions pour favoriser l'émergence de champions nationaux du cloud. Ils représentent une opportunité pour le Maroc de se positionner comme un acteur régional de référence, notamment sur les solutions cloud et cybersécurité», précise l'Agence nationale de réglementation des télécommunications (ANRT). Pour l'expert Salah Baina, «il est temps de mettre en place une stratégie pour promouvoir l'utilisation de ces infrastructures afin de changer la donne. Les investissements dans ce domaine sont importants et ne peuvent être justifiés que si la demande suit et que le marché local décolle réellement. L'Etat est l'un des grands absents aujourd'hui. Au-delà d'un simple consommateur de cloud, il devrait jouer le rôle de facilitateur pour que la PME et la TPE marocaines puissent elles aussi franchir le pas. L'accompagnement de l'Etat doit aller dans ce sens». Aujourd'hui, le data center est un outil puissant de souveraineté économique. Un support qui devra élargir l'influence au-delà des frontières. Des experts, des politiques et des acteurs économiques sont convaincus que le Maroc a tous les atouts pour jouer le rôle d'un tiers de confiance data et cloud à l'échelle africaine. Le Maroc, l'Egypte, le Nigéria et le Kenya réunissent l'essentiel des installations les plus importantes que le reste des autres pays de l'Afrique. Le grand champion reste incontestablement l'Afrique du Sud qui, à elle seule, concentre les deux tiers des capacités du continent, dont les besoins sont estimés à 700 data centers pour répondre à la forte demande. Dans son dernier rapport, l'Association africaine des data center (ADCA) estime que l'extension de la capacité en Afrique est fondamentale pour réduire la latence, optimiser les flux de trafic intra-africains et réduire les coûts d'exploitation dans la chaîne d'approvisionnement économique africaine au sens large. Dans un tel contexte, le Maroc a une opportunité historique à saisir. Data Center et "SuperCalculateur" Il y a quelques semaines, l'Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P) de Benguérir a inauguré son nouveau Data Center abritant le plus puissant "SuperCalculateur" d'Afrique (African Supercomputing Center). Avec ce Data Center, installation de classe mondiale, assurant sécurité élevée, disponibilité maximale, haute flexibilité et connectivité optimale, l'UM6P, fidèle à son positionnement d'excellence à l'échelle nationale et continentale, se met au service de l'écosystème numérique national afin de contribuer à garantir la souveraineté digitale du Royaume et à développer de nouveaux services numériques 100% marocains. Ces infrastructures marquent un tournant, à même de permettre au Maroc de se doter de son «cloud souverain» et garder tous les contenus digitalisés sous sa maîtrise. Cela devrait permettre également le développement des offres cloud et d'une panoplie de services et de plateformes agiles qui seront mises à la disposition des entreprises, des administrations et des start-up. Comme précisé plus haut, le data center est doté d'un «SuperCalculateur» d'une puissance impressionnante qui en fera un formidable outil de performance. Développé en partenariat avec la prestigieuse université de Cambridge, il offre en effet une capacité équivalente à 1 300 serveurs réunis pour un nombre d'opérations à la seconde qui dépasse les 3 millions de milliards. Il se classe ainsi au 98e rang des superordinateurs les plus puissants au monde et place le Maroc à la 26e position mondiale en termes de puissance de calcul.