L'écart entre les taux longs officiels et ceux du marché secondaire demeure important avec plus de 70 points de base sur le 10 ans et le 15 ans. Le Trésor toujours absent de la partie longue de la courbe et les investisseurs de plus en plus exigeants en terme de prime de risque. Les investisseurs manquent de visibilité quant aux intentions du Trésor. Le marché obligataire est resté caractérisé par un contexte difficile durant ces premiers mois de l'année actuelle. Malgré la détente des taux à court terme, à la fois sur les compartiments primaire (adjudications) et secondaire (échanges), la pression s'est poursuivie sur la partie moyenne et longue de la courbe des taux en raison des comportements combinés du Trésor et des opérateurs. Cette situation s'est traduite par le maintien, voire l'aggravation du gap entre les deux compartiments en ce qui concerne les taux à long terme (plus de dix ans), ce qui signifie que le risque de hausse des taux d'intérêt des prêts de longue durée pour les ménages et entreprises (crédit à l'économie) est toujours présent. Car, si les rendements primaires (taux offerts par le Trésor sur ses bons nouvellement émis), qui constituent la base de calcul des taux des crédits, s'alignent sur ceux du marché secondaire, le relèvement des taux d'intérêt se fera automatiquement. Bank Al-Maghrib a favorisé la détente des taux à court terme Parlons d'abord du marché des adjudications. La partie courte de la courbe des taux a connu un renversement de tendance en 2008. Les maturités 13, 26 et 52 semaines ont en effet cédé respectivement 30, 37 et 26 points de base (pb) entre le 31 décembre 2007 et le 16 avril 2008 pour se stabiliser à 3,44%, 3,45% et 3,53%. Cette détente résulte de la nouvelle donne qui prévaut sur le marché monétaire depuis le début de l'année (voir encadré en page suivante). «Etant donné la sensibilité du bas de la courbe aux variations des taux au jour le jour, ce segment a été touché par le contexte monétaire favorable ayant suivi le dernier conseil de Bank Al-Maghrib tenu en décembre 2007», précise-t-on chez BMCE Capital Markets. La baisse des taux courts a été également favorisée, il faut le noter, par le dynamisme du Trésor sur cette partie de la courbe. Il a en effet concentré plus de 85% de ses levées du premier trimestre sur les courtes maturités (13, 26 et 52 semaines), soit un montant de 6,85 milliards de DH sur un total de 8,05 milliards de DH. Cela dit, la partie moyenne et longue de la courbe des taux primaires est restée à un niveau quasi identique à celui de 2007. Hormis les maturités 2 ans et 5 ans qui ont été légèrement touchées par le Trésor avec des levées de 100 MDH pour la première et de 1,1 milliard de DH pour la seconde, les 10 ans, 15 ans, 20 ans et 30 ans n'ont subi aucun changement par rapport à l'année dernière. Le refus du Trésor de marquer à la hausse les rendements à long terme s'est en effet manifesté par son absence sur cette partie de la courbe. «Cette attitude tient au fait que le gouvernement refuse de pénaliser, par une hausse des taux longs, la dynamique que connaît l'économie marocaine», explique Larbi Mouline, trader senior taux chez BMCE Capital Markets. De plus, conforté par des recettes fiscales en nette progression et par une hausse de 33% des dépôts des établissements publics (+10 milliards de DH), le Trésor affiche une santé financière sans précédent. Résultat : contrairement aux années précédentes où l'essentiel des levées était concentré sur les trois premiers mois de l'année, 2008 semble déroger à cette règle. Face à des tombées (remboursements) s'élevant à près de 13,5 milliards de DH, les levées brutes dépassent à peine les 8 milliards, dont seulement 1,2 milliard sur les maturités moyennes et longues, soit un désendettement de l'ordre de 12,3 milliards de DH. Sur le compartiment secondaire, les taux à court terme ont suivi la même tendance qu'au niveau du marché des adjudications. Les maturités 13, 26 et 52 semaines ont en effet perdu 40, 37 et 32 pb entre le 31 décembre 2007 et le 16 avril 2008 pour s'établir à 3,42%, 3,45% et 3,48%, soit à peu près les mêmes rendements que sur le compartiment primaire. La détente des taux monétaires ainsi que le dynamisme du Trésor sur la partie courte de la courbe ont favorisé cette baisse auprès des opérateurs. En témoigne d'ailleurs le volume des échanges qui a totalisé plus de 5 milliards de DH sur les maturités courtes au cours du premier trimestre 2008, soit 40% du volume total des transactions. Manque de confiance des investisseurs vis-à-vis des maturités longues En revanche, les taux moyens et longs sur le marché secondaire sont restés à des niveaux élevés et ce, malgré la baisse constatée sur les maturités intermédiaires et une partie des maturités longues par rapport au début de l'année, affichant ainsi des écarts importants avec les rendements primaires. En effet, même si le 10 ans et le 15 ans ont cédé respectivement 26 et 6 pb, ils présentent toujours des différentiels avec les taux des adjudications, respectivement de 72 et 71 pb alors que les taux d'intérêt des crédits immobiliers, dont la durée est supérieure à 7 ans, sont justement indexés sur les taux moyens pondérés des bons du Trésor à 10 et à 15 ans. De leur côté, les bons du Trésor à 20 ans et à 30 ans ont continué de progresser depuis le début de l'année sur le marché secondaire pour prendre 5 et 20 pb supplémentaires, portant ainsi le gap avec les taux officiels à 72 et 52 pb. Cette situation trouve son origine, d'une part, dans l'absence du Trésor sur les maturités longues et, d'autre part, dans le manque de confiance des investisseurs vis-à-vis de cette partie de la courbe. En effet, n'ayant pas de visibilité sur l'évolution future des rendements souverains, et vu l'incertitude sur les besoins du Trésor à moyen et long termes (compte tenu du budget de la Caisse de compensation qui est sans cesse revu à la hausse), les investisseurs sont devenus de plus en plus prudents et exigeants en terme de prime de risque. De plus, la faible liquidité du compartiment secondaire ne favorise pas la stabilité et la détente des taux. «La faiblesse du volume des transactions s'explique principalement par la rareté du papier neuf, notamment sur la partie moyen et long termes, et par les spreads relativement importants entre acheteurs et vendeurs», confie Khalid Bakir, gérant obligataire à Alistitmar Chaabi. Avec un volume de 12,6 milliards de DH sur le premier trimestre 2008, l'activité du compartiment secondaire a enregistré une baisse de 74% par rapport à la même période de l'année dernière dont le volume a dépassé les 45 milliards de DH. Par ailleurs, l'activité a été concentrée principalement sur le court terme, alors que, durant les années précédentes, la majeure partie des transactions concernait les maturités longues qui n'ont représenté ce trimestre que 29% des transactions. Pour ce qui est des perspectives d'évolution des taux sur le reste de l'année, les professionnels manquent globalement de visibilité. Néanmoins, certains d'entre eux estiment que les rendements souverains devraient rester globalement stables. «La stabilité des taux devrait être confortée par la poursuite d'un contexte monétaire favorable avec un taux au jour le jour autour de 3,25%, par la situation relativement confortable des finances publiques et par la volonté du Trésor de ne pas orienter les taux obligataires à long terme à la hausse», explique Khalid Bakir. Néanmoins, une légère hausse des taux n'est pas à exclure dans le cas d'une détérioration de certains indicateurs macroéconomiques, notamment suite à une évolution défavorable des avoirs extérieurs en raison de la dégradation de la balance commerciale et du ralentissement du rythme de progression des recettes touristiques et des transferts des MRE. La pression inflationniste peut aussi contribuer à la progression des taux si la hausse des prix des matières agricoles et énergétiques se poursuit. Autre facteur de risque selon des gérants obligataires : le Trésor peut marquer son retour au deuxième semestre 2008 sur la partie longue de la courbe tout en acceptant une hausse par rapport aux derniers taux primaires. Cela aurait pour conséquence, il faut le rappeler, le relèvement des taux des crédits à l'économie. C'est pourquoi certains professionnels estiment que le Trésor ne lèvera sur le long terme que si les autorités monétaires trouvent une autre forme d'indexation pour les taux d'intérêt des crédits.