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ALE Maroc-Turquie : comment renverser la vapeur ?
Publié dans La Vie éco le 22 - 02 - 2020

La Turquie a accepté une révision de fond de l'accord et les négociations vont démarrer prochainement. Les accords signés avec l'UE ou les Etats-Unis souvent décriés sont bel et bien rentables pour le Maroc. La chaîne des supermarchés BIM est également concernée, elle doit se fournir pour 50% de ses produits au Maroc.
Un déficit de la balance commerciale Maroc-Turquie de 19 milliards de DH, des pertes d'emplois en dizaines de milliers, notamment dans le textile, des importations en évolution continue de vêtements, de tapis, de produits d'hygiène, d'agro-alimentaire…, le ras-le-bol de l'Amith qui a demandé au ministère de l'industrie, du commerce, des nouvelles technologies et du commerce numérique le rétablissement des droits de douane sur les importations de textile turc. Résultat: depuis le 1er janvier 2020, des droits d'importation de 30% sont imposés sur les produits finis textile en provenance de Turquie. Ces évènements ont sans doute contribué au déclenchement de la rencontre d'affaires maroco-turque début janvier entre Moulay Hafid Elalamy, ministre de l'industrie, et la ministre turque du commerce extérieur. L'objectif est de trouver de nouvelles pistes de coopération et surtout préparer la révision de l'Accord de libre-échange entre le Maroc et la Turquie entré en vigueur en 2006. Le Maroc veut un échange commercial plus équilibré, volumineux et qualitatif entre les deux pays. Les décideurs nationaux espèrent également attirer des investisseurs turcs dans l'industrie et auraient même élaboré une liste de produits marocains exportables vers ce pays, à condition de réduire les barrières non tarifaires. A-t-on réellement les reins solides afin d'arrêter cette hémorragie et renverser la vapeur ? Les récents événements ont confirmé que oui. La Turquie a, en effet, été réduite à accepter, après «un vif débat» et c'est le moins que l'on puisse dire, de revoir l'accord de libre-échange selon les conditions posées par le Maroc. Le Royaume a exigé une solution qui ne porte pas atteinte à ses intérêts, faute de quoi l'accord sera «résilié unilatéralement». Le Maroc ne demande pas l'impossible, le principe d'accords asymétriques est bien entériné par l'OMC. Aujourd'hui, et selon une correspondance datant du 6 février, la Turquie affirme au ministère du commerce et de l'industrie qu'elle accepte le principe des listes négatives et qu'elle est prête à engager des investissements conséquents au Maroc. Les détails de cette nouvelle entente seront négociés dans les jours ou les semaines à venir, indique le ministre qui souligne toutefois que le Maroc prendra son temps pour bien négocier la nouvelle mouture de l'accord.
Un tissu industriel qui ne cesse de gagner en compétitivité
N'en déplaise à certains professionnels marocains, ayant longtemps tiré profit de leur fructueuse collaboration avec les industriels et hommes d'affaires turcs, qui prétendent le contraire, le tissu industriel marocain est bien capable, même à l'état actuel, de servir raisonnablement le marché local. Le cas du textile, souvent donné en exemple, est éloquent. On estime, ainsi, que «le Maroc ne dispose pas aujourd'hui d'une capacité de production structurée et forte capable de fournir le marché local. Et pour cause, les chaînes de production actuelles tournent déjà à plein régime pour la sous-traitance. Il faudra donc implanter des usines, renforcer l'amont à travers la création de nouvelles entreprises de tissage et filature et créer des marques marocaines fortes», déclare ce professionnel. Pour lui, l'imposition de droits de douane sur les exportations de textile turc était une erreur. «Le Maroc aurait dû imposer un quota de fabrication au niveau local. Dans ce cas, les Turcs auraient investi dans des unités de production pour consolider leurs parts dans le marché marocain au lieu d'importer du Bangladesh. Finalement, le renchérissement des produits turcs ouvrirait le marché local vers des marques européennes ou chinoises», déclare ce connaisseur. Avancer de tels propos, c'est méconnaître la réalité du secteur. Le ministre vient de confirmer, encore une fois devant le Parlement dans le cadre d'une séance de questions orales, que, certes, le secteur a perdu beaucoup d'emplois ces dernières années (11000 emplois perdus dans le secteur en 2014, 24000 en 2015, 35 000 en 2016 et 44 000 en 2017). La situation n'allait pas continuer ainsi. Surtout que pendant ce temps, 90 magasins turcs de prêt-à-porter sont installés au Maroc. Plus de 80% des vêtements vendus dans les 30 magasins de la marque low cost LC Waikiki implantés au Maroc sont fabriqués au Bangladesh. La marque serait le premier donneur d'ordre dans le textile au Bangladesh. C'est le prêt-à-porter à forte valeur ajoutée qui est fabriqué dans les usines turques. Pour Hakim Marrakchi, vice-président de l'Asmex et PDG de Maghreb Industries, la production marocaine est en passe d'évoluer vers plus de compétitivité. «Il faudrait améliorer la productivité et, pour cela, nous avons besoin de formation de meilleure qualité. Le coût du travail et de l'énergie doivent baisser. Notre code de travail est d'inspiration protectionniste alors que l'entreprise marocaine est aujourd'hui ouverte à la concurrence internationale, contrairement à la situation qui prévalait dans les années 1970 et 80. Aujourd'hui, moins de 600 entreprises marocaines exportent régulièrement. Et ce nombre inclut les entreprises de services. Nous avons perdu énormément d'industries et les emplois qui vont avec, dans tous les domaines, dans l'agro-alimentaire, comme les conserves, dans la chimie et la cosmétique et dans le textile…», constate M. Marrakchi. Même les multinationales qui exploitaient des usines au Maroc ont soit plié bagages ou fermé des unités de production (cas de Mondelez qui a fermé deux usines pour en garder une seule et Unilever dont l'usine de détergents est en arrêt d'activité au Maroc). Aujourd'hui, une partie des produits de base consommés localement sont importés.
60 commerces ferment à chaque ouverture d'un magasin BIM
L'exemple de la chaîne de magasins turcs BIM (498 points de vente dans tout le Royaume) est révélateur. Booster à coup de subventions de l'Etat turc, la chaîne tue le commerce local. Selon les chiffres avancés par la ministre, chaque implantation d'un magasin BIM dans un quartier entraîne la fermeture de 60 commerces de proximité. En contrepartie, la chaîne n'offre aucune plus-value pour l'économie nationale. Depuis son implantation en 2009, elle refuse de se fournir chez les producteurs locaux, prétextant que le volume de vente ne justifie pas une production locale. Les produits d'hygiène, une bonne partie des produits agro-alimentaires, sans compter les offres de la semaine (ustensiles de cuisines, petit électroménager, linge de maison....) vendus chez BIM sont fabriqués en Turquie. Cela ne doit plus continuer, insiste le ministre qui affirme avoir convoqué le directeur de la chaîne et exigé qu'au moins 50% des produits vendus dans ses magasins soient produits au Maroc. A défaut, il sera procédé à la fermeture de ces magasins. Or, là encore les Turcs ont décidé de faire le dos rond. Ainsi, «après avoir atteint la taille critique de 498 magasins, les investisseurs turcs promettent désormais de négocier avec les autorités marocaines une implantation d'usines au Maroc, notamment pour fournir les points de vente BIM et éventuellement les enseignes de grande distribution marocaines. Avec une main-d'œuvre payée au SMIG, le secret reste l'optimisation des achats de matières premières», déclare un professionnel. Outre la production locale de textile et de produits de base, pour réduire la pression qu'ils subissent de la part des autorités marocaines, les Turcs promettent de faire bénéficier le Maroc de leur know-how, acquis auprès des Allemands, dans l'industrie automobile ou l'électroménager. «Plusieurs équipementiers internationaux sont certes installés au Maroc mais il me semble que l'industrie automobile turque est plus intégrée que la nôtre», déclare M. Marrakchi. Ce qui est normal, puisque la Turquie a bénéficié déjà en 1947 du Plan Marshall avec une enveloppe de 225 millions de dollars. La Turquie, devenue membre de l'OTAN en 1952, a également pu drainer, très tôt, d'importants investissements étrangers, particulièrement européens et notamment allemands. Ce qui a permis, plus tard, le décollage de son industrie. Autre point fort des Turcs : le nationalisme et la couverture, à travers l'industrie locale, de tous les biens de consommation dans tous les segments.
Le PAI stimule l'industrialisation du pays
«L'industrie textile turque a même créé une marque de prêt-à-porter haut de gamme nommée Vakko qui ambitionne d'atteindre le niveau des grandes marques françaises et italiennes afin d'encourager les Turcs à privilégier leurs marques nationales dans la haute couture. A l'export, les Turcs gagnent des appels d'offres internationaux face aux géants asiatiques. Et ce, grâce aux subventions publiques et à leur flexibilité et leur système de SMIG régional. Les produits à haute valeur ajoutée étaient fabriqués à Istanbul où les salaires et le coût de la vie sont élevés. Les produits low cost et accessibles étaient fabriqués au centre du pays à Adana ou ailleurs», remarque un manager. Le modèle de production turc destiné au marché local et à l'export est susceptible d'être dupliqué au Maroc, à condition que l'Etat aide à la création et à l'appui de grandes entreprises marocaines.
«L'Etat doit ouvrir de grands chantiers et pousser les industriels à fournir le marché local et l'Afrique. Nous avons longtemps considéré, à tort, le marché marocain comme un marché de premier prix alors qu'il privilégie le bon rapport qualité-prix. D'où le succès des produits turcs. Il existe une classe moyenne marocaine composée de cadres, de banquiers et de fonctionnaires qui préfèrent les produits de qualité de préférence marocains. Il faut créer de la valeur ajoutée au Maroc, encourager la création de l'emploi et changer les mentalités afin de consommer le Made in Morocco, car finalement le produit importé enrichit le pays exportateur et crée de l'emploi ailleurs», insiste notre source. C'est exactement, entre autres objectifs, la finalité du Plan d'accélération industriel. Le PAI reflète, en effet, une vision étatique globale dans le domaine. En ce sens, trois premiers écosystèmes pour le secteur du textile et de l'habillement, pour les filières denim, fast-fashion et distributeurs industriels de marques nationales, ont été lancés, effectivement en 2015. Initiative qui commence aujourd'hui à porter ses fruits. Dans le secteur du textile il va sans dire que l'ambition de ce plan est la création d'industries locales à haute valeur ajoutée et de marques marocaines fortes, orientées marché local et export, ce qui est la clé de réussite pour la création d'un modèle industriel qui peut rivaliser non seulement avec les Turcs, mais aussi avec bien d'autres pays industrialisés.
Accord de libre-échange Maroc Turquie


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