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Déchiffrer le sens profond du vocabulaire juridique est un exercice compliqué
Publié dans La Vie éco le 11 - 02 - 2020

Lorsque l'on a recours aux tribunaux, ce n'est pas pour obtenir une demi-décision ou un arrêt en trompe-l'oeil. Ça, c'est un fait. Cependant, et paradoxalement, puisque la justice aime bien prendre son temps, certains dossiers traînent en longueur, ce qui n'enchante pas toujours tout le monde. Et donc, pour pallier ces lenteurs, on a inventé la notion de «provisoire».
La justice est en général très stricte, et ne tolère pas les approximations. C'est blanc ou noir, aurait dit jadis un chanteur de variétés, ça ne saurait être blanc et noir.
Ainsi, lorsque l'on a recours aux tribunaux, ce n'est pas pour obtenir une demi-décision ou un arrêt en trompe-l'œil. Ça, c'est un fait. Cependant, et paradoxalement, puisque la justice aime bien prendre son temps, certains dossiers traînent en longueur, ce qui n'enchante pas toujours tout le monde. Et donc, pour pallier ces lenteurs, on a inventé la notion de «provisoire», qui est assez propre au système judiciaire. Cela signifie que l'on ne décide de rien sur le fond du problème, ou du litige soumis aux juges, ou d'un quelconque contentieux entre les parties, mais on prend une décision «provisoire», histoire de faire patienter les citoyens. Et, parfois, cela donne des résultats, assez mitigés. Prenons par exemple un banal litige de loyer.
Le tribunal de première instance condamne une partie à verser les loyers impayés à l'autre partie. Disons cent mille dirhams. Mais va assortir l'arrêt de la mention «Exécution provisoire à hauteur du tiers», ce qui signifie que la partie condamnée n'aura à verser effectivement que le tiers de la somme jugée. Et pourquoi donc, diriez-vous fort justement ? Tout simplement parce que les juges de première instance savent très bien que ce n'est pas fini; il y aura forcément un «appel» de la part de l'une des parties, et peut-être, sait-on jamais, la Cour d'appel diminuera (peut-être) les montants à acquitter vraiment. Cela peut, à la limite, se comprendre. Mais dans d'autres cas, on peut tomber dans le loufoque. En témoigne cet arrêt rendu dans une affaire de contentieux conjugal. Le tribunal accepte la demande dite «de retour au domicile conjugal», et l'assortit de l'exécution provisoire. Qu'est-ce que cela peut bien vouloir signifier? Qu'est-ce qui est provisoire dans ce cas ? Le retour de l'épouse au foyer familial ? Le respect des obligations matrimoniales ? En fait, le quiproquo vient de la traduction des termes employés, et ne manque pas de poser problème. En langue française, on parle d'exécution «provisoire», c'est-à-dire, en attendant de statuer sur le fond ; ce qui est logique. Mais en langue arabe, la traduction est tout autre : on ne parle plus d'exécution provisoire, mais d'exécution rapide. Car les termes «provisoire» et «rapide» sont totalement différents les uns des autres. Mais, que l'on se rassure : déchiffrer le sens profond du vocabulaire juridique est un exercice compliqué, certes, mais auquel nos magistrats sont bien rodés.
Passons maintenant au volet pénal. Dans des affaires correctionnelles, un juge peut ordonner la mise en détention «provisoire», ce qui veut dire que l'on est supposé innocent, bien sûr, mais au vu des charges qui pèsent sur l'intéressé, on estime qu'il vaut mieux le «garder» au frais, le temps que la procédure aboutisse. S'il est condamné, il ne sera pas bien difficile d'aller le chercher pour l'incarcérer : il l'est déjà, et on n'aura qu'à soustraire par la suite la durée de la détention provisoire de la condamnation à venir. Un quidam condamné à deux ans de prison, ayant effectué six mois de «préventive», ne purgera au final qu'un an et demi de prison. Si les faits sont bénins, et la Cour clémente, le prévenu sera condamné à «X» mois de prison, mais sans pour autant goûter aux joies et délices de l'incarcération. Car, dans sa grande mansuétude, le tribunal a assorti la peine de la liberté... «provisoire». L'intéressé reste libre de ses mouvements, avec certaines restrictions (que j'ai décrites par ailleurs), mais gare : il a une épée de Damoclès suspendue au-dessus de sa tête : à la moindre incartade, tous les sursis sont révoqués, et aucune mansuétude ne pourra être attendue de la part des magistrats ! On l'aura compris aisément : mieux vaut, pour le citoyen lambda, de rester à l'écart de toutes ces subtiles nuances dont les juristes sont les maîtres. Mais dont le sens réel peut aussi échapper aux plus fins connaisseurs du droit.


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