Six mois après sa création, il rencontre un succès important et discute formation de blocs avec les partis. Association ou parti politique ? L'absence de ligne précise crée des risques de dérapage. Personnifiant le mouvement, Ali El Himma est à la fois sa force et son talon d'Achille. Samedi 7 juin. Après Rabat, Agadir ou encore Tanger, ce sera au tour de Casablanca d'abriter une nouvelle rencontre du Mouvement de tous les démocrates (MTD). C'est au parc des expositions de l'Office des changes que près d'un millier de participants, triés sur le volet, sont attendus. Organisée après la rencontre de Marrakech du 31 mai dernier, celle de Casablanca sera suivie d'une nouvelle, à Laâyoune cette fois, et, à croire ce membre du MTD, il ne s'agit vraisemblablement pas des dernières du genre. Parallèlement à ces rencontres, Fouad Ali El Himma, depuis sa démission de son poste de ministre délégué à l'intérieur le 7 août 2007, n'en finit pas de faire couler de l'encre, même lorsque son implication n'est que supposée. C'est, par exemple, ce qui est arrivé avec l'annonce dans un communiqué daté du 29 mai dernier, de la création de l'Alliance démocratique et sociale par quatre(*) des sept partis du groupe parlementaire Authenticité et modernité («Assala oua mouâassara»), que l'on s'est dépêché de présenter comme le bras politique du MTD. C'est aussi le cas depuis que des rumeurs se sont propagées sur la formation d'un bloc réunissant le MP, l'UC, et le RNI qui s'apprêteraient à lancer une motion de censure contre le gouvernement, avec la bénédiction du député de Rhamna et l'appui des siens. Sauf que ce dernier soutient le gouvernement et que, officiellement, le groupe et le mouvement constitués autour de M. El Himma sont indépendants l'un de l'autre (voir entretien en page suivante). Quant au RNI, il est si bien représenté au sein de l'équipe El Fassi qu'il est difficile de concevoir qu'il fasse volte-face à la légère. Interrogé à propos de cette affaire, Bachir Znagui, porte-parole du MTD, confirme que des contacts ont bien eu lieu entre le mouvement et les partis concernés en vue de la constitution d'un bloc de droite, mais dément que les discussions soient allées très loin. Des déclarations confirmées côté haraki où l'on certifie que rien n'a été fait sur le plan officiel. «Le seul contact qui a eu lieu s'est fait entre MM. Laenser et El Himma au Parlement, rien n'est encore arrivé», prévient Saïd Ameskane, porte-parole du parti, qui concède tout au plus qu'il y a eu début de réflexion sur la création d'un bloc libéral de centre droit. «Il est possible d'envisager la mise en place de blocs qui permettraient plus tard, en 2012 peut-être, de revenir à une gestion plus orthodoxe des affaires de l'Etat, c'est-à-dire des groupes homogènes – qu'on soit à l'opposition ou dans la majorité – qui ont des valeurs en commun, pas comme la majorité assez hétéroclite dont nous disposons depuis dix ans», reconnaît Mohand Laenser, secrétaire général du MP. Quant à l'idée de déposer une motion de censure, explique-t-il, elle a bien été abordée, mais dans le cadre d'une réunion du bureau politique haraki. «La question s'était posée au bureau politique. Durant le débat, quelqu'un a demandé si nous allions en déposer une. J'ai répondu tout simplement que la motion de censure doit respecter un certain nombre de conditions: des quotas d'abord, des chances de réussite, parce que si on en émet une et qu'elle ne réussit pas, cela veut dire que, pendant un an, on ne pourra pas en lancer une autre», poursuit-il. Des interprétations parfois hâtives L'on serait donc très loin de la constitution d'un bloc 100% droite qui s'apprêterait à évincer le gouvernement de centre gauche actuel. Toutefois, la menace pourrait bien avoir suscité des réactions, notamment au sein de la gauche qui, boudant l'invitation du MTD à collaborer pour une recrédibilisation de la politique, se voit plus pressée que jamais d'accoucher de son propre bloc. Son dernier effort dans cette direction, la rencontre du mardi 27 mai pour l'action commune, s'est malheureusement pour elle caractérisé par l'absence du quatuor du Rassemblement de la gauche démocratique – PSU, PADS, CNI et Annahj. Un détail non négligeable qui sous-entend que le chemin est encore très long pour dépasser les cassures historiques, élaborer une nouvelle base idéologique et remporter le soutien des bases, trois éléments vitaux pour assurer la pérennité d'un bloc de gauche. Si cette tendance à la formation de deux blocs, à droite comme à gauche, venait à se confirmer, le PJD en serait le premier perdant, car plus isolé que jamais, le parti islamiste est visiblement «non grata» dans la galaxie El Himma. Le facteur «Si Fouad» Sur un plan plus général, il semble bel et bien que, directement ou indirectement, en moins de six mois d'existence, le MTD soit aujourd'hui mieux placé pour pousser à la rationalisation de la scène politique que 2007 Daba, il y a six mois, même si la confusion qui existe à son propos risque de lui porter du tort. Tout avait commencé le 17 janvier dernier, lorsque, allant d'un succès à l'autre au Parlement, l'ancien ministre de l'intérieur avait, avec une dizaine de co-fondateurs, décidé de créer le Mouvement de tous les démocrates. Sur le plan local, explique cette source proche de l'ancien ministre, le député aurait cherché à profiter de son deuxième mandat de représentant de Rhamna (le premier entre 1995 et 1997) pour participer à la recrédibilisation de l'action politique. La méthode ? Selon cette source, il s'agissait de montrer que les députés du PJD, aussi organisés qu'ils soient, ne sont pas les seuls à ne pas oublier leurs électeurs après avoir accédé à l'hémicycle, et prouver aux politiques qu'il est possible de renforcer sa crédibilité auprès de l'opinion publique par des actions de terrain, tout en restant fidèle à «l'islam de nos parents». Bien logiquement, l'action du MTD devait aller davantage vers un renouveau du politique. Toutefois, à Rhamna, le succès de l'ancien ministre délégué a été tel que l'on peut craindre aujourd'hui un effet contraire à celui escompté : au lieu d'apparaître comme un député «qui a travaillé», Fouad Ali El Himma ne risque-t-il pas, au contraire, d'enraciner davantage dans les esprits l'idée que seul le Souverain ou une personne proche de lui peut faire quelque chose pour la population ? De fait, le MTD profite, mais pourrait en même temps pâtir de l'aura de l'ancien ministre. Exemple. Jusqu'à présent, l'association a organisé six conférences, toutes marquées par un succès inégalé malgré une sélection poussée des participants. Toutefois, au niveau des rencontres elles-mêmes, certains ne peuvent s'empêcher de noter des détails quelque peu gênants : en effet, la plupart des intervenants ignorent les membres du mouvement pour s'adresser à «Si Fouad» ; à la clôture des conférences, la foule s'agglutine systématiquement autour du concerné, certains allant jusqu'à lui demander de transmettre un message au Souverain, ou encore essayer de lui remettre un CV… Au point que l'on peut légitimement se demander si ces participants sont aussi convaincus de la mission du MTD qu'ils le prétendent. Plus encore, si les autres membres du MTD décidaient d'organiser une rencontre sans M. El Himma, les participants seraient-ils aussi nombreux ?, s'interroge cet observateur. Ainsi, s'il est désormais indéniable que le facteur El Himma est à l'origine du succès du MTD, et se trouve probablement être l'ingrédient qui avait manqué à 2007 Daba, aujourd'hui, on peut se demander si le mouvement a véritablement des chances de survie sans la présence d'El Himma dans ses rangs. Au-delà des rencontres, le mouvement semble aussi commencer à avoir du mal à contrôler l'enthousiasme de certains. «Nous observons un phénomène assez grave, qui nous interpelle actuellement : beaucoup de gens se mettent à créer des sections sauvages, de manière unilatérale, sans en référer ni à l'association, ni à ses dirigeants, ni à sa structure officielle, et ils prétendent être l'ombre de ce mouvement», reconnaît Bachir Znagui, porte-parole du MTD, légèrement inquiet face à ce phénomène. Après tout, ne disposant pas d'un règlement intérieur lui permettant de déterminer qui est membre et qui ne l'est pas, le mouvement n'est pas à l'abri d'abus qui risquent de nuire à son image, même si, globalement, tout le monde se dit convaincu que l'effet MTD est plutôt positif. La création d'un parti pourrait-elle lui faire perdre sa crédibilité ? Enfin, le mouvement semble devoir une bonne partie de son succès à la perspective de sa transformation en un parti politique : après tout, même en niant systématiquement leur intention de se lancer dans l'arène, les responsables du mouvement ont pour habitude, dans leurs déclarations à la presse, de toujours garder une porte de sortie vers la création d'une formation politique. S'agit-il d'un suspense volontairement entretenu comme le pensent beaucoup ou d'une simple précaution en l'absence d'une stratégie clairement établie pour le développement du MTD, comme le suggèrent certains observateurs ? Une chose est sûre : si la presse est montrée d'un doigt accusateur, la confusion semble également toucher certains responsables politiques, qui, dans leurs déclarations, confondent aisément le MTD et le groupe Authenticité et modernité. Pire, même des députés du groupe parlementaire semblent faire la confusion. Pour dissiper le flou, il a fallu attendre la première rencontre officielle entre le mouvement et les députés, organisée à Marrakech le 31 mai dernier, lorsque les membres du MTD ont confirmé à des députés qui avaient encore des doutes l'absence d'un lien quelconque entre les deux structures. Reste le doute concernant la création d'un parti politique. Quitte à intervenir à côté du MTD, cette création sera-t-elle nécessaire pour garantir la survie du mouvement au-delà de l'attrait pour le député de Rhamna ? Dans un récent entretien à l'hebdomadaire La Gazette du Maroc (24 mai) le concerné lui-même avait reconnu que les membres du mouvement étaient divisés entre partisans de la politique «au sens premier» et ceux d'une simple association, et d'ajouter que, «effectivement, ce mouvement a besoin d'un bras politique». Quelques lignes plus loin, il est même allé jusqu'à annoncer: «Ce que je peux vous dire, par contre, c'est que le mouvement aura, d'ici là, une expression politique et des alliances avec d'autres acteurs, mais qu'il ne se laissera jamais réduire à cette dimension qui n'est qu'une partie d'un tout». Plusieurs voix se prononcent pour que le mouvement fasse une pause «C'est comme s'il avait cherché à faire coïncider les partisans d'une simple association, et ceux qui voulaient la création d'un parti qui suivrait le mouvement», souligne le politologue Mohamed Darif. «Une option satisfaisante pourrait associer un MTD resté mouvement social et la création d'un parti, mais qui ne serait pas forcément sans danger», souligne-t-il, car rappelant le PJD et ses relations avec le Mouvement unicité et réforme… Dans cette situation-là, le MTD pourra-t-il quand même continuer de prétendre à tirer le champ politique vers le haut sans perdre sa crédibilité ? Aujourd'hui, plusieurs voix se prononcent pour que le mouvement fasse une pause, le temps de faire le point, et décider d'une ligne politique bien précise. Une chose est sûre, il en a encore le temps, quelques mois avant le démarrage des alliances dans la perspective de 2009 et au-delà.