On l'oublie, on pense à autre chose, mais voilà que la question resurgit inopinément, quand on ne l'attend plus. Je veux parler de la peine de mort, prévue par notre Code pénal, concernant certains crimes particulièrement abjects. Le débat refait surface, entre les tenants de ce châtiment suprême, et ceux qui y sont opposés. Que faire ? Quelle tendance suivre ? Récemment donc, un tribunal marocain a condamné à la peine capitale les auteurs du meurtre des deux ressortissantes scandinaves, ce qui a entraîné nombre de réactions. Ce cas est emblématique de la passion que déchaîne cette question. Les parents des victimes avaient lancé un appel pour que cette sentence soit appliquée. Ce qui est assez étrange, venant de ressortissants de ces pays du nord de l'Europe, car chez eux, la tendance est plutôt à la modération, poussée à l'extrême. Il y a quelques années, un sombre individu, nommé Breivik, avait froidement massacré quelques dizaines de personnes réunies lors d'une fête locale. Les tribunaux locaux l'ont condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, ce qui semble un châtiment proportionnel à la gravité des actes commis. Sauf qu'on est en Scandinavie, où les conditions de détention sont très souples par rapport au reste du monde. Résultat, le criminel condamné multiplie les provocations, en toute sérénité : un jour il proteste car la nourriture ne lui convient pas; un autre jour, il s'énerve quand il constate que sa télé ne capte plus certains programmes. Il a droit à des promenades en ville accompagné de ses gardiens, tout comme il bénéficie de plus de soins médicaux qu'un citoyen "normal" ! Et aujourd'hui, on commence déjà à penser à sa libération prochaine. Retour au Maroc, où un autre tribunal a également condamné à mort les auteurs de la fusillade du café La Crème à Marrakech, tuant...par erreur, un comble, un innocent étudiant qui avait eu le malheur de se trouver sur place. Mais là, surprise, car les criminels, cette fois, n'étaient pas marocains, mais originaires du Surinam, ancienne colonie néerlandaise. Il n'en fallait pas plus pour que les autorités de ce pays fassent une déclaration, affirmant que, par principe, leur pays était opposé à la peine capitale, et qu'elles suivaient ce dossier avec la plus grande attention, accordant même (et c'est normal, quoique choquant), la «protection consulaire» aux meurtriers ! Alors, que faire ? Abolir cette peine aurait le mérite de faire sortir le Maroc de la liste, non glorieuse, des pays qui appliquent encore cette barbare survivance de la Loi du Talion, œil pour œil, dent pour dent. La maintenir, c'est faire le lit de tous les détracteurs du Royaume qui dénoncent ce genre de législation. La question est d'autant plus épineuse qu'il est désormais bien prouvé que ce châtiment n'influe en aucune manière sur le taux de criminalité, alors que l'idée de base consiste à mettre en place une punition, qui, par sa brutalité, inciterait les criminels à réfléchir avant de passer à l'acte. Les chiffres, hélas, prouvent le contraire ; par exemple, l'application de la peine de mort, aux Etats-Unis, dans certains Etats n'a eu aucune influence sur les chiffres officiels, et on n'a jamais constaté une baisse de la criminalité dans ces Etats. Au Maroc, on hésite encore, et les différents lobbys avancent leurs arguments, pour ou contre. On peut toutefois déceler une piste, car, de fait, un moratoire existe bel et bien dans notre pays, créant également des situations paradoxales. On continue de condamner les criminels à la peine capitale, puisqu'elle figure encore dans les textes. Mais on s'abstient, depuis de nombreuses années déjà, de procéder à des exécutions. Sans nul doute une volonté royale d'accélérer des réformes juridiques, visant à abolir cette peine, sans toutefois hérisser une population encore partagée sur la question. Et de fait le chef de l'Etat, usant de son pouvoir constitutionnel, commue régulièrement des peines capitales, en peines de détention à perpétuité. Un signal, donc. Tout en soulignant que, par ailleurs, la détention d'un individu à vie ne va pas sans poser des problèmes divers, sociaux, logistiques et humains. La question reste donc posée.