Si la décentralisation a été un succès relatif, la déconcentration des décisions aux services administratifs locaux n'a pas suivi, créant un blocage pour la régionalisation. Déconcentration, fiscalité locale, décrets d'application de la charte des collectivités locales, plusieurs textes de loi sont attendus. La charte des collectivités locales de 2002 sera amendée, 12 textes d'application prévus pour mars 2007. Un Maroc des régions pour demain ? A la suite du discours royal prononcé à l'ouverture du Forum international des collectivités locales, tenu les 12 et 13 décembre courant à Agadir, le ministre de l'intérieur, Chakib Benmoussa, annonçait que son département s'attellerait bientôt à l'élaboration d'un cadre juridique et organique pour la déconcentration administrative. Cette déclaration confirme la volonté des autorités de poursuivre la décentralisation et son corollaire, la déconcentration. En effet, bien que l'administration soit moins l'apanage de Rabat qu'il y a quelques années, grâce à la mise en place d'un certain nombre de services locaux, cette décentralisation n'a pas été systématiquement accompagnée d'un transfert du pouvoir de décision. Du coup, bien que plus présents dans les régions, les représentants des ministères continuent à se tourner vers la capitale pour un certain nombre de décisions à portée locale, d'où un manque de réactivité, des lenteurs, parfois l'inadéquation des moyens mis en œuvre à partir de la capitale. La tutelle de l'Etat vouée à disparaître ? «L'essentiel, c'est de renforcer le processus de déconcentration et, en même temps, de permettre aux régions de jouer pleinement leur rôle», explique Ahmed Bouachik, professeur à la faculté de droit de Salé et directeur de la revue marocaine d'administration marocaine et de développement, Remald : «Malheureusement, le processus de déconcentration se poursuit à un rythme moins accéléré que celui de la décentralisation. Or, selon l'adage juridique, toute décentralisation non accompagnée d'une déconcentration est vouée à l'échec». En effet, jusqu'à ce jour, la déconcentration reste peu appliquée, sinon, peut-être, au niveau de l'utilisation des fonds budgétaires : «Il y a eu très peu de textes en ce sens», explique Abdechakour Rais, gouverneur inspecteur général de l'administration territoriale au ministère de l'intérieur. Selon lui, on a essayé d'introduire cette notion à plusieurs reprises, via l'acte de déconcentration et d'investissement du 9 janvier 2002, puis à travers la nouvelle approche du travail de l'administration apportée par l'INDH, en 2005, et enfin, en 2006, avec un décret concernant les actes individuels (attestation, autorisation, certificat, etc.), déléguant ces derniers au niveau local. «Quand l'administration doit donner une décision individuelle, le lieu le plus approprié, c'est l'administration locale, mais le décret de 2006 ne traite que d'une partie infime des pouvoirs que l'administration peut transférer. On doit arriver à redéfinir les missions de l'administration centrale, qui, normalement, doit s'occuper de la réflexion, de la réglementation, de l'animation, puis du contrôle et de l'évaluation», explique M. Rais. Aujourd'hui, cette notion de déconcentration est d'autant plus importante qu'en renforçant les autorités locales, la charte des collectivités locales de 1976 a entraîné un besoin d'interlocuteurs étatiques au niveau local. «Aujourd'hui, les élus sont demandeurs car ils sont arrivés à un certain niveau de maturité quant à la capacité de prise de décision, des moyens et des ressources financières qui sont à leur disposition et ils ont besoin de partenaires. Le partenaire, pour eux, ce n'est pas seulement le wali et le gouverneur, mais aussi des représentants des ministères de la santé, de l'éducation nationale, etc. Or, dans ces ministères, toutes ces décisions, stratégiques et non stratégiques, se prennent toujours au niveau central. D'où la nécessité de faire ce transfert vers la région», explique M. Rais. Rationaliser le local puis déléguer le national Cette déconcentration a également été rendue nécessaire à la suite de la rationalisation opérée au niveau des grandes villes du Maroc. «La charte de 1976 a été la première à donner un souffle à la démocratie locale en faisant du président de la commune une autorité unique. Déjà, à l'époque, on avait donné des pouvoirs aux communes», explique Hassan Ouazzani Chahdi, professeur à l'université Hassan II, Aïn Chock. La charte avait ainsi mis en place le système de la communauté urbaine dotée d'un conseil composé des présidents et vice-présidents des communes, lesquels étaient dotés de pouvoirs importants. Ce modèle, difficile à gérer, a été remplacé par le système de l'unité de la ville en 2002, connu comme le modèle PLM (Paris, Lyon, Marseille). Le nouveau modèle avait remplacé les différentes communes par un seul conseil communal avec, à sa tête, un président. Chaque ville de plus de 500 000 habitants allait ainsi être subdivisée en arrondissements subordonnés au conseil de la ville, dépourvus de personnalité morale, pour travailler à partir d'une vision d'ensemble de la ville. Cette rationalisation au niveau des grandes villes du Maroc, leaders dans leurs régions, devrait s'associer à la déconcentration pour permettre un meilleur développement local. L'intercommunalité, modèle des alliances de demain Mais avant de se lancer dans ces chantiers, il reste à résoudre des problèmes au niveau du texte de 2002. En effet, la nouvelle charte des collectivités locales, texte majeur, présente des lacunes qui compliquent le travail des autorités locales. «La Charte communale devait être accompagnée de 14 décrets d'application dont seulement deux sont sortis. Or, justement, on ne peut appliquer la loi sans ces décrets», explique Omar Jazouli, maire de Marrakech, qui indique que des textes sont attendus pour mars prochain. Il souligne aussi que chacune des 6 villes concernées par le plan PLM fonctionne à sa manière, selon les rapports de force entre maire et présidents d'arrondissements. «Il y a un consensus sur la nécessité de clarifier ces compétences puisque tout le monde est en phase avec l'esprit de retour à l'unité de la ville. Il faut simplement clarifier les prérogatives des arrondissements et celles du conseil de la ville. Agadir a montré la voie en ouvrant les chantiers à mettre en place au niveau de la gestion des villes, notamment en ce qui concerne le cadre juridique, les projets locaux, la loi sur les finances locales…», explique Abdelrhani Guezzar, gouverneur directeur à la direction des finances locales au ministère de l'intérieur. Passé ces difficultés, une nouvelle relation entre l'Etat et les autorités locales devrait s'instaurer. Ainsi, au cours de la rencontre d'Agadir, l'idée d'une coopération Etat-collectivités locales, au lieu de la notion de tutelle, a été mise en avant. «On a réalisé qu'il existe un certain nombre de problématiques que ni l'Etat ni les collectivités publiques ne peuvent affronter seuls. Il faut donc que chaque partenaire puisse y contribuer, chacun en fonction de ses compétences et ressources. C'est la raison pour laquelle la rencontre d'Agadir a appelé à un partenariat entre l'Etat et les collectivités locales», explique M. Rais. «Pourquoi un partenariat, un contrat ? Dans un contrat, l'on fixe les objectifs, les obligations et les droits de chaque partie. Ainsi, on est sûr de pouvoir régler des problématiques comme celles de l'assainissement, les plans de mobilité dans les villes, ou le transport», poursuit-il. De telles collaborations ne devraient pas se limiter à une relation avec l'Etat mais pourraient aussi concerner plusieurs communes qui décideraient de regrouper leurs forces pour un projet commun. D'où l'idée d'intercommunalité qui a aussi été discutée à Agadir, et qui pourrait donner lieu à une loi. Reste la manière dont la déconcentration va être introduite. Avant d'y procéder, ne faut-il pas d'abord s'assurer que le découpage régional actuel est suffisamment logique au niveau économique et administratif pour permettre un essor réel des régions ? Quels sont les pouvoirs qui peuvent être délégués au niveau local ? les tâches qui doivent continuer à relever du niveau national ? Comment les pouvoirs doivent-ils être délégués ? Peut-on se permettre de les transférer d'un seul coup ou faut-il le faire graduellement, le temps pour les autorités locales de s'habituer et pour les profils adéquats d'être trouvés? Si certains insistent sur l'essor d'une élite locale depuis la mise en place de la charte communale, les difficultés que rencontre Rachid Talbi Alami, maire de la ville de Tétouan, pour trouver des ingénieurs en génie civil pour la commune qu'il gère, montrent qu'il reste du chemin à parcourir Focus Les lois à venir A près avoir réuni élus locaux, administrateurs et spécialistes pour un débat sur des thèmes comme l'extension des villes, la bonne gouvernance ou les services publics, la rencontre d'Agadir devrait déboucher sur des lois et décrets. Parmi ces derniers, celui sur la déconcentration, qui devrait être déclinée par le ministère de l'intérieur. Autre priorité, les réglages nécessaires dans la charte communale de 2002 concernant notamment les attributions des présidents d'arrondissements et des maires, l'urbanisme, l'hygiène, etc. Il est aussi question de revisiter le texte actuel sur la fiscalité locale, plusieurs grandes villes comme Marrakech ou Casablanca ayant de grandes difficultés à récolter leurs impôts faute de moyens