Le règlement intérieur du Parlement est sévère, mais inappliqué Les conditions de travail pointées du doigt Les plus assidus ? PJD, USFP et Istiqlal. Vendredi 21 octobre 2005. Après une longue discussion et des semaines de battage médiatique, la Chambre des Représentants se prépare à voter le projet de loi concernant les partis politiques. Il sera finalement approuvé à la majorité…ridicule par 44 voix sur 68. Certes, les ententes préalables ont déjà scellé le sort du texte, certes c'était le mois de Ramadan et l'heure du s'hor approchait, mais l'histoire retiendra de cette nuit-là que la salle aura, une fois de plus, été quasi déserte : même pas le tiers des représentants. L'exemple récent est loin d'être un cas isolé, mais il illustre de façon caricaturale le mal dont souffre le Parlement. Même la loi sur les partis, qui concerne les députés en premier lieu, n'aura pas réussi à les pousser à plus d'assiduité. Pourtant, ce ne sont pas les sanctions qui manquent dans le règlement intérieur du Parlement : demandes d'excuses écrites à fournir trois jours à l'avance, consignation des absences dans le procès verbal de chaque séance, publication au bulletin interne des noms de ceux qui n'auront pas justifié leur absence, avertissements écrits du président de la chambre, suppression d'une partie de l'indemnité parlementaire… les punitions sont sévères et n'hésitent pas à toucher là où ça fait mal : le portefeuille. Seul le PJD sanctionne les absences de ses députés Avec un tel arsenal réglementaire, on aurait pourtant pu s'attendre à ce que les députés ne ratent jamais la moindre séance. En fait, le système trébuche sur un obstacle basique : son application. «Il n'est pas facile de déterminer qui est là et qui ne l'est pas. (…) Désormais, il est question de mettre en place un système de cartes personnelles qui ne pourront être utilisées que par leurs titulaires», explique le ministre des Relations avec le Parlement, Mohamed Saad El Alami. En effet, une première tentative, organisée lors de la session parlementaire précédente, avait échoué pour la même raison : «Nous avions proposé que les parlementaires signent une fiche de présence à l'entrée de la salle. Mais nous nous sommes aperçus qu'il y en avait qui signaient pour les absents», explique Rachid Medouar, parlementaire du PJD. Qu'est-ce qui peut bien justifier un tel comportement de la part des représentants du peuple ? Première impression dans la chambre : les présents sont toujours les mêmes… les absents aussi. «Un tiers des parlementaires ne vient jamais, un autre vient de temps en temps et le dernier est toujours là», résume un Abdelilah Benkirane sarcastique. Ici encore, le PJD aura joué les premiers de la classe, en s'arrogeant le rôle de chantre de la morale politique. Il est suivi de près par les poids lourds USFP et Istiqlal. «C'est que leurs parlementaires vivent souvent dans la capitale et ses environs», explique-t-on. Ainsi, les éternels absents appartiendraient à des partis dont les circonscriptions sont situées dans des régions reculées. «Où est l'intérêt, par exemple, pour un député de Dakhla d'aller jusqu'à Rabat pour suivre une loi qui concerne une région autre que la sienne ? Quitte à parcourir une telle distance, un député préfèrerait se rendre aux ministères pour régler les problèmes de ses électeurs», explique-t-on à La Vie Eco. Même la formation des représentants est mise au banc des accusés. «On se contente de leur donner une indemnité de 35 000 DH et on leur dit de se débrouiller. Ce n'est pas la compensation financière qui va les aider à comprendre les problèmes. Qui, par exemple, parmi les parlementaires s'y connaît en matière de traitement des déchets ? Personne. Ainsi, les députés se retrouvent à écouter le ministre comme des élèves un professeur», explique un observateur qui préfère garder l'anonymat. Autre problème soulevé par des parlementaires, le gouvernement ne répond pas aux questions orales ou écrites des parlementaires. En fait, on ne compte plus le nombre de fois où les ministres se seront absentés à la séance des questions orales de la Chambre des Représentants… Les partis, et leur part de responsabilité Certes, tous ces arguments peuvent donner un éclairage sur la situation actuelle, mais ils n'expliquent ni l'absentéisme des députés vivant dans l'axe Casablanca-Kénitra ni le manque de formation de ceux qui ont déjà plusieurs mandats derrière eux. À qui la faute alors ? La question gêne, le mot akhlaq (éducation) revient souvent chez les partis. Aux parlementaires donc de prendre leurs responsabilités, d'autant plus que l'écrasante majorité des partis ne dispose pas d'un règlement concernant l'absentéisme des parlementaires… Les partis manqueraient-ils d'autorité sur leurs représentants ? Devraient-ils aussi compenser les défaillances du Parlement au niveau des conditions de travail ? On remarquera la décision du PJD – encore lui – qui a décidé de fonctionner comme si les sanctions du règlement intérieur étaient effectivement appliquées : son arme ? Une feuille de présence affichée dans les locaux du parti et publiée dans les colonnes du journal Attajdid, afin de révéler l'identité des absentéistes aux militants et à leurs électeurs. On notera également l'obligation pour les parlementaires de présenter une lettre d'excuses pour une simple absence, et demander la permission lorsqu'elle a lieu un jour de vote. Ainsi, le parti de Saâd Eddine Othmani a instauré une discipline de fer parmi ses représentants, et avec des résultats positifs, même si on insiste que la motivation joue aussi un rôle : près de la moitié des députés présents lors du vote de la loi des partis appartenaient au PJD. S'agit-il d'une tendance passagère, caractéristique d'un parti de l'opposition ? Peut-être. En attendant, même si le Maroc souffre d'un problème répandu dans le monde entier, il se retrouve dans une situation où le vote est déterminé par l'assiduité des représentants de certains partis et non pas par la distribution réelle des sièges. Faut-il alors augmenter le nombre de cas où le quorum est obligatoire, de manière à y inclure des changements majeurs comme la nouvelle loi des partis ? Ou faut-il d'abord essayer de voir si d'autres mesures, plus basiques, peuvent jouer un rôle, comme une réduction du travail en plénière au profit du travail en commission ou une réorganisation de la discussion et du vote des lois de manière à aménager des jours spécifiquement dédiés au vote ? Une autre solution serait de réduire le cumul des mandats des parlementaires, de manière à libérer leurs agendas et ouvrir la porte à d'autres hommes politiques. Ainsi, par exemple, à l'instar de ce qui se fait en France, les députés qui deviennent ministres pourraient être remplacés au Parlement par des suppléants qui leur restitueront leur poste une fois qu'ils auront quitté le gouvernement. Encore plus simple : généraliser la tactique du PJD en permettant à chaque parti de publier ses fiches de présence. Le public, aidé par les retransmissions à la télévision des séances du Parlement, ne serait pas trompé. En tout cas, désormais élevé au rang d'acteur, il aura devant lui un gage de transparence de la part des partis qu'il pourra sanctionner au moment des élections Un «représentant second» de la nation Pendant longtemps, le Parlement a incarné «le destin de la démocratie». S'il s'identifie toujours à ce dernier, on assiste à l'augmentation des contraintes qui limitent son autonomie et réduisent sa place dans le système. Le Droit constitutionnel contemporain témoigne de la crise du parlementarisme qui s'analyse par une délégitimisation du Parlement. Cette situation s'explique par divers phénomènes : l'impact du fait partisan qui a fait des assemblées parlementaires " les parlements des partis ", la prédominance des exécutifs, la montée des lobbies et de multiples groupes d'intérêt, le poids des structures locales qui déterminent largement leur vote comme leur survie politique et la désaffection du citoyen envers l'institution. Ces différents facteurs, cumulés, développent un anti-parlementarisme dont l'absentéisme est une des manifestations récurrentes. D'idéal démocratique type, les parlements sont devenus un pâle reflet d'une démocratie représentative en survivance. Le paradoxe, toutefois, est tel qu'à défaut d'être le lieu central de la prise de décision, les assemblées parlementaires en demeurent pourtant la condition nécessaire. Au Maroc, le Parlement absent, sinon absentéiste, n'est pas un fait de circonstance. La spécificité du régime, le parlementarisme rationalisé entraînant une emprise du gouvernement sur le travail parlementaire, font que le Parlement soit un " représentant second " de la nation. Pareil statut réducteur ne peut qu'influer sur le comportement du parlementaire et son image auprès de l'opinion publique. L'observation empirique des assemblées parlementaires marocaines permet d'affirmer qu'en dehors de quelques rares hauts faits circonstanciés impliquant le rapport de force entre exécutif et législatif, la règle est la «vacance» de la députation à la plénière, qu'il s'agisse des débats ou des votes. La présence souvent houleuse fait donc l'exception. Ainsi en est-il des déclarations de politique générale, de l'élection aux structures organisationnelles, en l'occurrence la présidence. De toute évidence, les temps changent, les hommes se doivent d'en faire de même. Dans un Maroc en mutation tous azimuts, confronté à de nombreux défis, il est anachronique et politiquement grave qu'une loi impliquant le devenir de notre démocratie soit adoptée par une extrême minorité présente et votante. Le peu d'intérêt accordé à la réforme partisane par nos représentants inquiète et ne peut que dévaloriser et discréditer classe politique et institutions. A ce «mal» parlementaire, il n'est pas de remède magique. La fonction de parlementaire est d'ordre éthique et politique. Elle indique une responsabilisation du député et de ses attaches institutionnelles et politiques. Exerçant un mandat de représentation nationale pour lequel il bénéficie «d'immunités» et «d'indemnités» substantielles, le député est tenu par une obligation de résultat. A vrai dire, le problème est de nature politique. La solution est peut-être contenue dans la réforme partisane, mais aussi dans la perspective des élections législatives de 2007. Najib Ba Mohamed Enseignant-chercheur à l'université de Fès-Saïss