* Le phénomène de «l'indifférence» politique des parlementaires est l'un des constats qui reviennent régulièrement dans le débat sur le Parlement marocain. * Le vote de la première partie de la Loi de Finances a révélé encore une fois que les députés marocains ont d'autres chats à fouetter. * Dans cet entretien, Aziz Chahir, enseignant-chercheur en sciences politiques, essaie de cadrer le phénomène de l'absentéisme des parlementaires marocains. Finances News Hebdo : La première partie de la Loi de Finances a été votée en présence de 12 députés. Quelle évaluation faites-vous de cette situation politique aberrante ? Aziz Chahir : Je crois que la situation politique actuelle dénote clairement d'une crise de gouvernance. Vu que les députés détiennent le pouvoir au nom du peuple, je crois qu'ils doivent accomplir leur mission constitutionnelle qui est de contrôler le travail du gouvernement ou de proposer des amendements ou des projets de loi. Au Maroc, c'est loin d'être le cas puisque nos gouvernants semblent opter pour la politique de la chaise vide. A quelques mois de la fin de leur mandat, certains députés préfèrent ainsi boycotter l'enceinte parlementaire. Ce faisant, ils manquent à leur responsabilité représentative et jettent le discrédit sur l'institution parlementaire. De fait, le Parlement marocain se trouve marqué par un absentéisme anomique (= faisant fi des normes sociales) qui révèle un désintérêt des représentants de la communauté pour les affaires publiques, surtout lorsqu'il s'agit du vote de lois aussi importantes que la Loi de Finances. Pis encore, le taux d'absentéisme des députés ne cesse d'augmenter au fil des années, sans que les acteurs politiques réagissent. F. N. H. : Quels sont, d'après vous, les meilleurs instruments permettant une réelle implication des députés marocains dans la vie politique ? A. C. : Je crois qu'il n'existe pas de recette magique pour garantir l'assiduité des députés. Ceci étant, je crois qu'il faut continuer d'appliquer fermement le Règlement intérieur du Parlement, notamment les articles 60 et 61 concernant la présence aux séances plénières. Le président de l'hémicycle doit ainsi sanctionner le député qui s'absente sans motif valable. Il est tenu, en effet, de lui adresser un avertissement écrit, de citer son nom à l'ouverture de la séance plénière et même de déduire de son indemnité mensuelle un montant correspondant au nombre de jours d'absence, tout comme n'importe quel salarié. Par ailleurs, le législateur doit favoriser le vote personnel au lieu du vote collectif (groupe parlementaire) afin de réduire l'absentéisme. Il faudra aussi réhabiliter le rôle du Bureau du conseil afin qu'il puisse contrôler la présence des représentants, y compris par l'appel nominal. Aux Etats-Unis et aux Philippines, par exemple, une disposition exceptionnelle permet au sergent d'armes de la Chambre d'appréhender le contrevenant et de le ramener par la force à l'Assemblée. Il serait enfin avantageux que l'administration parlementaire, en collaboration avec un comité de députés par exemple, élabore une politique de gestion de l'absentéisme afin de déterminer le taux et les différents types d'absences (excessives, répétitives ou chroniques). Parallèlement à cela, il faudra gérer la présence aux séances et évaluer l'activité des parlementaires. Car au-delà de la simple présence physique, la présence mentale et émotionnelle est nécessaire à chaque député pour qu'il s'acquitte de ses tâches au lieu de somnoler parfois durant les séances. F. N. H. : Enfin, pensez-vous que les prochaines élections pourraient changer radicalement la donne ? Et pourquoi ? A. C. : Personnellement, je crois que les prochaines élections pourraient contribuer à diminuer le taux d'absentéisme des députés au Parlement. Cela dépend, à mon avis, des résultats des suffrages électoraux et des coalitions partisanes envisageables. Ainsi, la constitution de pôles politiques (Droite, Gauche et Centre) pourrait favoriser l'émergence d'un vrai débat d'idées entre diverses forces politiques (progressiste, islamiste, etc.) au sein de l'hémicycle. De fait, chaque camp sera acculé à mobiliser ses troupes pour défendre ses intérêts devant son électorat. Il se pourrait même, dans ce cas de figure, que l'absentéisme des députés soit sanctionné par les partis eux-mêmes. A ce moment-là, on pourrait cesser de considérer l'absentéisme comme une fatalité. Mais en attendant que les représentants de la communauté adhèrent à une culture politique de participation, on ne manquera pas de constater avec amertume leur absentéisme chronique. Un absentéisme qui, comme par miracle, cède la place à la présence patente chaque fois que le Souverain préside les sessions parlementaires !