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Abdessadek Rabiah : « La collecte des fonds doit être bien encadrée»
Publié dans La Vie éco le 23 - 09 - 2005

L'attribution de l'utilité publique reste une faveur de l'Etat, un pouvoir discrétionnaire de l'administration.
Il est nécessaire d'encadrer le monde associatif si l'on
ne veut pas que s'installe un certain laxisme, qui risque de détourner
les donateurs et les bonnes volontés
La Vie éco : Vous venez, coup sur coup, de sortir deux décrets relatifs aux associations concernant l'obtention du label « utilité publique» et les conditions d'appel à la générosité publique…
Abdessadek Rabiah : Il s'agissait d'informer et d'expliquer aux autorités locales et aux associations les modifications intervenues dans la réglementation à la suite des changements législatifs résultant de la loi de 2002. A cette fin, nous avons émis deux circulaires qui ont été envoyées aux gouverneurs de chaque province et nous avons adressé une correspondance à chaque association reconnue d'utilité publique.
Le Dahir réglementant les associations a été modifié en 2002. Nous avons attendu trois ans pour sortir des décrets !
Effectivement, la modification date de 2002. Mais le dahir en question n'est devenu effectif qu'à fin 2004. Ensuite j'ai considéré qu'il fallait prendre suffisamment de temps pour préparer ces décrets en parfaite coordination avec les départements concernés. J'aurais également souhaité que l'arrêté du ministre des Finances relatif à la tenue de la comptabilité des associations reconnues d'utilité publique soit publié en même temps que les décrets. Mais ces règles sont encore à l'étude au ministère des Finances. Nous avons donc sorti les décrets sans l'arrêté.
Qu'est-ce qui a justifié la réglementation de l'appel à la générosité publique et l'utilité publique ?
La modification du Dahir de 1958 prévoit expressément que les conditions de délivrance de l'utilité publique seront fixées par décret. Par ailleurs, il était nécessaire de bien préciser, en toute transparence, les modalités d'examen et d'octroi de l'utilité publique. Le Dahir loi de 1958 se borne à dire qu'il y a des associations qui sont reconnues d'utilité publique et fixe les avantages qui en découlent, il ne va pas plus loin. Les conséquences attachées à la reconnaissance d'utilité publique sont très importantes. Notamment la possibilité pour l'association en cause de recevoir des dons alors qu'une association ordinaire n'a pas le droit d'en recevoir.
Elle peut toutefois faire appel à la générosité publique…
Oui, et ça demeure un cas exceptionnel. Rares sont les associations qui font appel à la générosité publique régulièrement. Si une association veut avoir une vraie capacité financière, il faut qu'elle soit reconnue d'utilité publique d'abord parce que ça lui permet de recevoir des dons, mais surtout parce que ces dons sont déductibles de l'assiette fiscale du donateur.
Les associations reconnues d'utilité publique sont avantagées…
Oui. Par la reconnaissance d'utilité publique, l'Etat reconnaît que vous avez une mission d'intérêt général. C'est un élément de crédibilité aussi bien pour vos associés, vos co-contractants, les tiers et même les partenaires étrangers. Deuxièmement, c'est une facilité qui est vous est donnée et qui est accordée aux donateurs puisqu'ils ont la possibilité de déduire le montant de leurs dons de leur assiette imposable, mais, en contrepartie, il faut un contrôle car cette déductibilité est une subvention indirecte : l'Etat ne vous donne pas directement de l'argent, mais il vous accorde le privilège de le déduire.
De manière générale, la réforme de 2002 a eu pour objet de donner aux associations la possibilité de se doter d'une capacité financière plus importante, mais en même temps elle a introduit des mécanismes de contrôle plus stricts visant l'origine des fonds et leur emploi qui doit être conforme à l'objet de l'association, d'une part – et si elle est d'utilité publique, on va vérifier avec encore plus de soin-et conforme aux buts non lucratifs de l'association, d'autre part. Lorsqu'on examine les comptes d'exploitation de certaines associations, on trouve que les salariés sont le directeur de l'association, son oncle, sa tante, sa fille…
Des emplois fictifs ?
Exactement. Ou encore des salaires très élevés qui ne correspondent pas aux qualifications. Il y a, là, un détournement de la qualité de non-lucrativité de l'association. En tant qu'association, vous avez le droit de faire des bénéfices, mais vous n'avez pas le droit de répartir les bénéfices entre les associés. Ils doivent être affectés à l'objet social de l'association.
Est-ce le contexte mondial de lutte contre le terrorisme qui a généré le besoin d'être plus regardant ?
Non. Il y a de manière générale la volonté de contrôler l'origine et l'emploi des fonds depuis le dahir de 1958. Mais le contrôle n'était pas rigoureux auparavant.
L'Etat considère, et c'est écrit dans votre circulaire, la reconnaissance d'utilité publique comme une faveur…
Ce n'est pas un droit automatiquement accordé. L'utilité publique est une notion qui n'est pas définie, nulle part dans le monde. Dans les textes, on peut dire qu'est d'utilité publique ce qui correspond à un intérêt général donc ce qui répond à un besoin de la population, que ce soit au plan local ou national. Or, en pratique, apprécier ce qui est un besoin réel de ce qui ne l'est pas dépend du temps, des lieux, des mœurs, etc. Ce que j'ai voulu, c'est montrer que la reconnaissance d'utilité publique n'est pas de droit. Elle reste un pouvoir discrétionnaire de l'administration. Mais qui dit discrétionnaire, ne dit pas arbitraire
Ni arbitraire, ni abusif ?
99% des demandes d'utilité publique sont acceptées… Bien entendu, les associations qui ont un caractère politique ne sont pas reconnues d'utilité publique. L'article 9 du Dahir de 1958 les exclut de cette possibilité.
Une association de quartier peut-elle prétendre à l'utilité publique ?
Bien sûr, si l'objet correspond à un besoin. Elle peut être reconnue d'utilité publique pour créer un dispensaire, pour financer une école, ou même pour restaurer un monument historique…
Le label utilité publique devient une passoire dans ce cas.
Non, parce qu'on va demander – et c'est là la nouveauté – les documents concernant les modalités de financement. Car, ce que nous voulons, c'est assurer une certaine pérennité dans le fonctionnement des associations, nous ne voulons pas des champignons qui naissent avec les premières pluies et qui meurent avec les premiers rayons de soleil. La reconnaissance d'utilité publique engage la responsabilité morale de l'administration ; elle incite les donateurs à s'intéresser à l'association. Il faut donc vérifier que cette association présente des garanties.
Votre circulaire précise qu'il faudrait éviter de donner le statut d'association reconnue d'utilité publique à des associations qui n'ont pas les moyens, mais si vous ne leur donnez pas le statut d'utilité publique, elles ne pourront lever des fonds qu'à des conditions draconiennes !
Dans la pratique il y a rarement des refus d'autorisation d'appel à générosité publique. Bien entendu, sur ce point, il y a un pouvoir d'appréciation qui entre en jeu. Lorsque vous avez des personnalités, dont on connaît la notoriété, l'engagement dans le domaine caritatif et la capacité financière, qui s'engagent dans une association, a priori, on a de bonnes raisons de penser qu'ils réaliseront leur mission ; je leur demande le programme prévisionnel des actions, les modalités de financement… Elles peuvent exhiber des promesses de dons et c'est suffisant.
Combien d'associations reconnues d'utilité publique à aujourd'hui ?
152. Certaines travaillent, d'autre pas. Nous allons faire un audit et les associations qui n'ont aucune activité ou qui ne se plient pas aux règles de déclaration et de transparence se verront retirer l'utilité publique. Il faut orienter les donateurs vers les associations qui sont transparentes. Nous avons également introduit cette disposition dans le projet de loi sur les établissements qui s'occupent de personnes en situation difficile : enfants, handicapés, personnes âgées, etc., notamment à la suite des hautes instructions royales devant le problème qu'il y a eu à Casablanca. Ces associations qui vont gérer ce genre de centre devront à l'avenir obligatoirement passer une convention avec l'Etat. Et c'est sur la base de cette convention qu'elles pourront être reconnues d'utilité publique.
L'Etat serre la vis !
L'Etat serre la vis, dans des proportions raisonnables, dans la mesure où ça va dans le sens de la pérennité du financement de l'association et de la transparence de son fonctionnement qui sont les deux points essentiels. Nous souhaitons le développement du secteur associatif qui est une réalité. Il faut accompagner ce développement en l'encadrant et en réservant le privilège de l'utilité publique aux associations de qualité.
on retient quand même qu'auparavant le contrôle n'était pas rigoureux. Faute de moyens ou absence de problèmes majeurs, qui justifieraient le contrôle ?
Un peu des deux. Mais surtout parce que le mouvement associatif restait modeste. Or, les chiffres le montrent, il y a une explosion du monde associatif depuis une dizaine d'années. Il est donc nécessaire de l'encadrer si l'on ne veut pas que s'installe un certain laxisme, qui risque de détourner les donateurs et les bonnes volontés de cette forme d'action civique.
Avec l'enquête que nous avons lancée sur les associations, nous allons découvrir beaucoup de choses. La loi étant la même pour tous, vous avez aussi demandé ces documents aux associations et fondations présidées par des membres de la famille royale ?
Absolument. Concernant, notamment, la fondation Mohammed V pour la solidarité, présidée par Sa Majesté, les comptes sont toujours audités et nous sont envoyés. La Fondation Mohammed V a d'ailleurs anticipé les obligations nouvelles auxquelles sont soumises les associations reconnues d'utilité publique. Il n'y a pas de dérogations.
Les associations non reconnues d'utilité publique doivent, pour faire un appel a la générosité publique, effectuer toute une série de démarches administratives.
Il ne faut pas s'imaginer que c'est un parcours du combattant. Si votre association est en règle au niveau statut, déclaration, et surtout fonctionnement, et s'il n'y a pas de problèmes spécifiques (sécurité, lieu…), le dossier est transmis par les autorités concernées au SGG. Dans 99% des cas, il nous parvient. Le SGG se borne à réunir une commission pour apprécier quel est l'objet de cet appel à la générosité publique et, deuxièmement, de prévoir s'il va y avoir, ou non, un prélèvement fiscal. Le problème qui se pose c'est que souvent les associations attendent 3 ou 4 jours avant l'événement pour nous saisir.
Les circulaires que vous avez émises citent également le cas de l'appel à générosité publique pour la construction de mosquées…
Nous avons constaté un certain nombre d'abus au niveau de la collecte de fonds pour la construction des mosquées. Les modalités de collecte des fonds doivent être bien encadrées. A cette fin, il est prévu que les fondateurs qui font la levée de fonds constituent une association avec des statuts types, un règlement, un contrôle, etc. Et que cette association peut passer une convention avec le ministère des Habous pour l'entretien et la gestion de cette mosquée. Il y a un projet de loi en cours d'examen au Parlement pour pallier ces difficultés.
Ces associations qui sont constituées pour construire des mosquées, est-ce qu'elles sont reconnues d'utilité publique ?
Non, pas nécessairement. Pas de droit, elles peuvent la demander.
Vous ne trouvez pas que ça devrait être fait d'office ?
Vous voulez construire une mosquée. C'est votre droit le plus absolu. Pourquoi voulez-vous que le gouvernement vous accorde d'office l'utilité publique ? Je vais d'abord vérifier que ça correspond aux besoins de la population. S'il y a déjà douze mosquées dans les environs, pourquoi voulez-vous que je vous donne d'office l'utilité publique pour en construire une de plus ? Il faut que l'utilité publique, que ce soit dans le domaine religieux ou autre, soit appréciée à l'aune du besoin manifesté par la population et la couverture qu'il en faut.
Associations, fondations… quelle différence ? Est-ce que le mot fondation existe quelque part dans les textes ?
Pour créer une personne morale, qui ait une capacité juridique et puisse avoir un patrimoine, il est nécessaire qu'il y ait un cadre juridique général. Par exemple, le texte des associations nous dit : l'association est une personne morale qui est créée par contrat, etc. Et donc à partir du moment où vous remplissez les conditions qu'a prévues la loi générale, vous avez la personnalité morale. C'est la première hypothèse. Deuxième hypothèse, il faut passer par le Parlement pour créer une personne morale spécifique. Donc ou bien vous intégrez dans un cadre juridique existant, ou bien il faut faire une loi spéciale pour votre personne.
Donc pour s'appeler fondation au Maroc, il faut une loi spéciale.
Pour les fondations qui le sont au sens propre du terme, il y a une loi spéciale, mais pour les fondations qui ne le sont pas, c'est tout simplement une dénomination parce qu'il s'agit d'associations régies par le dahir de 1958.
La Fondation Mohammed V pour la solidarité … elle a été créée par le Souverain lors d'un discours ?
Lorsque Sa Majesté le Roi prononce un discours pour exprimer Sa volonté, il engage les responsables à prendre les mesures nécessaires à sa concrétisation. Dans l'espèce, la Fondation a été créée sous forme d'association. La Fondation Mohammed V pour la solidarité est une association, reconnue d'utilité publique.
Et la Fondation Mohammed VI pour les enseignants ?
La fondation Mohammed VI, a nécessité un texte de loi. Un Dahir portant loi. De même que la Fondation Hassan II pour les agents d'autorité qui s'occupe uniquement des œuvres sociales.
Un dahir portant loi et non pas un passage par le Parlement…
Dans un cas ou dans l'autre le texte est de nature législative. Mais pourquoi une loi, tout simplement parce que pour la fondation des enseignants, il y a, primo, obligation pour tous les enseignants d'en faire partie, secundo le financement qui provient d'un prélèvement de 2% sur la masse salariale, du budget de l' Education nationale. Ça sort donc du cadre de l'appel à la générosité publique et c'est pour ça qu'on avait besoin d'une loi.
L'association est un groupement de personnes qui décident de se mettre en commun dans leur intérêt ou dans un intérêt non lucratif. La fondation, c'est autre chose, c'est quand un certain nombre de personnes décide de faire un don irrévocable pour réaliser quelque chose au profit d'autrui. Il y a une grande différence. On dit que les associations, ce sont les communautés de personnes, alors que les fondations ce sont des communautés de biens, et de biens au profit d'autrui, pas à son profit.
Il y a aujourd'hui beaucoup de fondations et autant de Dahir et de lois …
Je pense que la prochaine étape sera de faire une loi sur les fondations pour intégrer le mécanisme fondation au sens propre du terme dans notre législation, de façon à ce que nous ayons des fondations qui, elles, vont faire le caritatif, le mécénat, et qui peuvent être fondations d'entreprises.
De même quand vous m'aviez demandé si la reconnaissance d'utilité publique était une faveur, je vous ai dit que c'est discrétionnaire, mais ce n'est pas arbitraire. Et il y a une pratique qui le prouve. Mais je pense qu'il faudra peut-être aller plus loin et prévoir une sorte de conseil de la vie associative qui regrouperait les administrations et les représentants du monde associatif. Le conseil pourra être saisi des difficultés de la reconnaissance de l'utilité publique ou du retrait de l'utilité publique. Outre, bien sûr, ce qui se fait déjà tous les ans sous la forme d'un forum, un séminaire sur la vie associative pour examiner où en est le développement de la vie associative au Maroc, quels sont les problèmes qu'on a rencontrés, comment améliorer le fonctionnement des associations, etc.
Une association qui est présidée par un membre de la famille royale a-t-elle d'office l'utilité publique ?
Oui. On imagine mal un membre de l'Auguste Famille Royale présider, ès qualité, une association dont l'objet n'est pas de répondre à un besoin d'intérêt général.
Pas besoin de la demander donc…
Si, la loi reste la loi, mais je vous le répète, ces associations se font un devoir d'être exemplaire.
Abdessadek Rabiah Secrétaire général du gouvernement
Il y a de manière générale la volonté de contrôler l'origine et l'emploi des fonds depuis le dahir de 1958. Mais le contrôle n'était pas rigoureux auparavant.


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