USFP, Istiqlal et alliance socialiste sont pour l'instant les seules formations à avoir planché sur des amendements. L'UC et le PND refusent d'amender le texte en invoquant le risque de rompre un équilibre délicat. Quatre cas d'amendements sur lesquels les points de vue diffèrent. Le Parlement se hâte… lentement. En effet, quinze jours après la présentation du projet de loi formant Code de la famille à la Chambre des Représentants (17 décembre), la Commission de la justice, de la législation et des droits de l'Homme n'a tenu que deux réunions consacrées à la discussion générale du texte (23 et 30 décembre). Et pourtant, il était convenu de travailler au rythme de trois réunions par semaine afin d'être en mesure d'adopter ce projet de loi avant fin janvier 2004. La vitesse de croisière sera probablement atteinte dès la deuxième semaine de janvier. Pour gagner le temps perdu, la commission a donc adopté, lors de sa réunion du mardi 30 décembre, un programme de ambitieux. Elle a ainsi décidé de se réunir, dès le mardi 6 janvier 2004, à raison de quatre jours par semaine (du mardi au vendredi) en deux séances quotidiennes (de 10 heures à 13 heures et de 15 heures à 21 heures). De plus, et pour éviter de s'enliser dans une discussion marathonienne de ce projet de loi, article par article (il en compte 400 !), décision a été prise d'adopter une approche thématique dans son examen. Par ailleurs, et exception faite des groupes parlementaires de l'Alliance socialiste, de l'USFP, du Parti de l'Istiqlal et du PJD, tous les autres groupes sont dans l'expectative et n'ont pas beaucoup avancé dans la discussion de ce projet. Manque de temps, manque d'idées ou attentisme pour voir de quel côté soufflera le vent ? Intense activité de lobbying du mouvement féminin Cela dit, le Collectif Printemps de l'Egalité, mais également ses composantes comme l'Union de l'action féminine (UAF), Jossour, la Ligue démocratique des droits des femmes (LDDF) ou l'Association démocratique des droits des femmes (ADFM), mènent depuis le lundi 22 décembre une intense activité de plaidoyer (lobbying) auprès des groupes parlementaires. Le collectif et ses composantes ont ainsi eu des rencontres avec tous ces groupes, sans exception, pour présenter et expliquer leurs propositions. Lesquelles visent deux objectifs complémentaires : mettre le projet de Code de la famille en adéquation avec le contenu du discours royal du et assurer la cohérence d'ensemble du texte. Les parlementaires contactés par nos soins sont unanimes à reconnaître que le mouvement féminin a réussi à développer une expertise juridique remarquable et qu'il a mené un excellent travail d'accompagnement de la réforme de la Moudawana, dépassant le seul registre de la revendication pour devenir une véritable force de proposition. Reste à savoir maintenat quel a été le degré de réceptivité des groupes parlementaires à cette action de plaidoyer du mouvement féminin et de ses propositions d'amendement ? En fait, on peut classer les réactions des groupes parlementaires en quatre catégories. La première est celle des partis locomotives de la majorité parlementaire, qui ont constitué des groupes de travail et organisé des séminaires pour valider les propositions d'amendement qu'ils vont reprendre à leur compte et celles qu'ils vont proposer eux-mêmes. Sans surprise, on retrouve dans cette catégorie les groupes de l'USFP, du Parti de l'Istiqlal (PI) et de l'Alliance socialiste. Dans une deuxième catégorie, il y a les groupes du RNI et des partis de la mouvance populaire (MP, MNP et UD) qui suivront en fin de compte les partis locomotives, avec quelques nuances. Le PJD ne présentera d'amendements que si nécessaire Ensuite, le PJD constitue à lui seul une catégorie à part. Certes, son groupe a reçu avec courtoisie les associations féminines qui en ont formulé la demande. Ses représentants ont même participé aux réunions auxquelles ils ont été invités par ces associations. Mais la position de ce groupe est connue. Le référentiel religieux demeure son credo. Le président de son groupe parlementaire, Abdallah Baha, affirme que son parti ne proposera des amendements que si c'est absolument nécessaire. Quant au dernier type de réaction, il est représenté par le groupe parlementaire commun ente l'UC et le PND. Son président, Zaki Semlali, oppose un refus net à toute proposition d'amendement : «Il ne faut pas politiser de nouveau ce dossier en proposant des amendements. Nous estimons que le projet de Code de la famille a une cohérence fondée sur un dosage délicat entre tradition et modernité. L'introduction d'amendements risque de rompre l'équilibre.C'est pourquoi, nous sommes d'avis qu'il faudrait que le texte soit voté en l'état, sans aucun amendement». Au PI, l'approche est aux antipodes de celle des partis d'opposition. C'est ce que dit le député istiqlalien de Figuig et vice-président de la Commission de la justice, de la législation et des droits de l'Homme, Tayeb Mesbahi : «Les députés de notre parti sont réceptifs à toutes les propositions d'amendement à même de remédier aux insuffisances techniques, procédurales ou rédactionnelles du projet de Code de la famille, pour le rendre plus efficace et plus opérationnel. Il est évident que l'on ne pourra toucher ni postulats fondateurs ni aux fondamentaux. Rien ne sera rejeté par principe, mais aucune proposition ne sera acceptée en l'état» Partage des biens acquis pendant le mariage : oui, mais… L'un des exemples les plus emblématiques de ces «désignations correctes» est la disparition du fameux «Aâkd Nikah» et son remplacement par «Aâkd Zaouaj». Et il faut reconnaître qu'un effort très important en la matière a déjà été consenti par les concepteurs du projet. Nous prendrons quatre exemples pour mesurer cette réceptivité des groupes parlementaires de l'Alliance socialiste, de l'Istiqlal et de l'USFP aux propositions du mouvement féminin. Le premier exemple porte sur le dossier du mariage. Nouzha Skalli, présidente du groupe parlementaire de l'Alliance socialiste (qui regroupe les députés du PPS, du PSD et de Al Ahd), nous annonce que son groupe est d'accord pour proposer un nouvel alinéa à l'article 65 du projet de Code de la famille. «En vertu de cet alinéa, les Adouls devraient obligatoirement soumettre aux futurs époux un formulaire fourni par le tribunal de famille sur les conditions de partage des biens acquis pendant le mariage. Cela épargnera aux deux époux la gêne de préciser eux-mêmes les modalités de ce partage, ce qui suscite la méfiance entre les familles». A l'USFP, Mohamed Karam, coordinateur du comité de travail de ce parti sur la Moudawana, affirme que son groupe parlementaire soutiendra cet amendement sur le caractère obligatoire de ce formulaire, mais précise bien que le partage des biens acquis pendant le mariage ne peut intervenir en cas de décès de l'un des deux époux. Et auquel cas, estime-t-il, ce sont les règles de l'héritage qui s'appliquent dans ce domaine. Naïma Khaldoune, députée et présidente de l'Organisation de la femme istiqlalienne, affirme pour sa part que son groupe n'a pas encore tranché sur cette question, mais qu'en tout état de cause, il soutiendrait la simplification de la procédure pour qu'elle soit accessible à toutes les catégories de la population. Le deuxième exemple concerne la répudiation moyennant compensation, communément appelée divorce "Khôl". Rappelons qu'il s'agit ici du droit attribué à l'épouse d'obtenir le divorce (sans justification de motif) moyennant compensation financière accordée au mari. Or dans le projet de Code, il ne l'est qu'avec le consentement du mari. L'étendue de la reconnaissance de paternité divise les partis «Nous sommes d'accord avec le plaidoyer du mouvement féminin pour que le divorce "Khôl" soit un droit que la femme exerce même sans le consentement du mari. Quant à la compensation financière, elle devra se limiter à la restitution du montant du Sadaq», affirme Mme Skalli. Mme Khaldoune soutient cette revendication du mouvement féminin. Mais, elle précise qu'il reviendra au juge de fixer le montant de la compensation en cas de désaccord. À l'USFP, M. Karam reconnaît que les députés de son parti ne se sont pas encore prononcés sur cette question. Troisième exemple, l'une des propositions du mouvement féminin qui suscite le plus de débat concerne la reconnaissance de paternité des enfants nés sur la base d'une simple promesse de mariage (sans que celle-ci ait bénéficié des conditions de publicité dans les deux familles). La présidente du groupe parlementaire de l'Alliance socialiste en fait la promesse. Son groupe proposera «un amendement pour remédier à cette injustice, parce que trop de femmes dans le monde rural ou de condition défavorisée sont victimes de grossesses fondées sur des promesses verbales de mariage». Chez les députés istiqlaliens, comme on peut s'y attendre, cette question est très discutée et Khaldoune reconnaît que la position définitive du groupe n'a pas encore été tranchée. Pour les parlementaires socialistes, ce n'est pas non plus évident. Mohamed Karam estime que la possibilité de reconnaissance de paternité, dans ce cas précis, devra être ouverte sur la base de la présentation de preuves objectives (témoins, photos…). Le dernier exemple a trait à la déchéance de la garde des enfants en cas de remariage de la mère divorcée. Comme l'affirme un Guide édité par la Collectif 95 Maghreb Egalité: «Les mères divorcées sont triplement pénalisées. Elles sont répudiées. Elles sont "interdites'' de remariage. Et elles sont privées de leurs enfants en cas de remariage». Nouzha Skalli considère plutôt l'intérêt des enfants : «J'ai connu beaucoup d'exemples d'enfants qui ont été psychologiquement détruits par leur séparation avec leur mère en raison de son remariage et de la perte consécutive de son droit de garde. Nous proposerons un amendement qui permettra à ces mères de conserver le droit de garde sur leurs enfants, même en cas de remariage. Une garde qui devra se prolonger jusqu'à l'âge de 15 ans lorsque les enfants peuvent choisir de résider chez le père ou la mère». Khaldoune (PI) et M. Karam (USFP) abondent dans ce sens, mais conditionnent ce droit de garde par l'intérêt de l'enfant. Tous les deux sont favorables à la déchéance du droit de garde si le remariage est préjudiciable aux intérêts des enfants. Et ce sera de toute manière au juge de se prononcer. Nouzha Skalli exprime l'identité de ses vues avec les propositions du mouvement féminin en reprenant à son compte la demande de suppression de l'alinéa trois de l'article 173, qui exige comme condition de dévolution de la garde des enfants la capacité à leur donner une éducation religieuse. «Cela ouvre la porte à une véritable inquisition religieuse. Cette disposition est superflue parce que la majorité écrasante des Marocains sont musulmans. De plus, l'éducation religieuse est donnée non seulement par les parents, mais aussi par l'école et la société». La balle est maintenant dans le camp des élus. Le Roi en sa qualité d'Amir Al Mouminine s'est acquitté de sa mission. Le mouvement féminin a préparé le terrain et a même mâché le travail aux élus en remettant aux groupes parlementaires des mémorandums détaillés et précis. Au Parlement de faire son travail.