Le hiatus actuel entre les inflations perçue et mesurée est somme toute normal. C'est à l'ampleur de ce hiatus que les producteurs de l'indice doivent faire attention, en ajustant avec une certaine régularité les pondérations des biens et services dans la composition de l'indice. Ces dernières années, et plus particulièrement en 2007, l'Indice du coût de la vie (ICV), indicateur officiel de l'inflation au Maroc, semble être mis en doute par une partie de l'opinion publique. C'est que plusieurs éléments conjoncturels sont venus, en fait à partir de 2005, perturber la perception qu'a le consommateur de l'inflation. Le coût international des matières premières importées, la facture pétrolière, la flambée de l'immobilier. Un véritable décrochage de l'opinion publique a été observé, qui s'est amplifié en 2007. Si l'inflation effective évolue toujours à un rythme de croisière modéré (de l'ordre de 2,5% l'an), il n'en est pas de même de l'inflation perçue, subjective, qui s'éloigne fortement de l'inflation mesurée, objective. Pourtant, la mesure de l'inflation n'a pas changé : l'indice garde la même structure. Pourquoi donc ce décalage ? Perception subjective et mesure objective peuvent ne pas concorder. L'ICV est un instrument qui ne mesure pas l'intégralité des prix. Tout d'abord, la consommation prise en compte dans l'indice correspond aux achats de biens et services effectués par les ménages, tels qu'ils sont définis dans la comptabilité nationale. Certaines dépenses, parfois importantes, en sont donc exclues. Ainsi, l'indice ne prend pas en compte les dépenses d'acquisition de logement, considérées comme de l'investissement. Or, les consommateurs ne font pas forcément cette distinction : ils constatent la montée des prix de l'immobilier. Ensuite, la pondération ne coïncide pas avec l'importance ressentie de la dépense : l'impact des mouvements de prix sur l'indice d'ensemble est déterminé par la pondération de chaque produit et service, c'est-à-dire la part objective que celui-ci représente dans la dépense des ménages. Mais les consommateurs n'ont pas nécessairement la même démarche. Ce qui retient leur attention est ce qui est visible pour eux, pas forcément le poids relatif des différents postes de dépense. Par exemple, une hausse de 10% du prix du pain, très visible pour le consommateur, ne contribue que faiblement à l'augmentation de l'indice d'ensemble. La même hausse sur le prix de la viande ou du poisson passera inaperçue. A l'inverse, la stabilité, voire la baisse des prix constatée sur tel ou tel poste, sera ignorée en dépit de son impact sur le niveau de vie. Il en est ainsi des produits électroniques (télévision, DVD, hi-fi…) dont la baisse des prix a contribué à l'équipement de la population. Enfin, l'agrégation des résultats produit un effet de lissage : avec l'ICV, la direction des statistiques publie les évolutions détaillées de dizaines de postes qui regroupent plusieurs variétés. Par exemple, le poste «céréales» comptabilise les évolutions des prix de plusieurs variétés : farines, semoules, céréales, pâtes, riz… Compte tenu du nombre de variétés ainsi amalgamées, les évolutions de prix qui ressortent sont nécessairement amorties, les hausses des unes pouvant être compensées par les baisses des autres. Par ailleurs, la moyenne statistique est une abstraction : les Marocains ne sont pas un ensemble constitué d'éléments identiques. En un sens, le Marocain n'existe pas dans la réalité, il n'y a que des individus. Et chacun perçoit et réagit en fonction de sa situation concrète, particulière par construction. Ainsi, la perception d'une augmentation des loyers ne peut être la même pour un célibataire à Casablanca, qui consacre 50 % de son revenu à la location de son appartement, et pour une personne propriétaire de son logement : or, dans l'indice, le poste «loyers» pèse du même poids pour les deux personnes. On touche, avec cet exemple, aux limites du raisonnement statistique fondé sur les moyennes. Dans la réalité, il n'y a pas un consommateur moyen, mais des individus qui réagissent dans un contexte particulier. La perception des consommateurs repose aussi, cependant, sur des faits. Si l'indice général n'a pas connu de dérapage, il n'en est pas de même de certains biens et services auxquels les consommateurs sont particulièrement sensibles et sur lesquels se sont concentrées des hausses importantes. Il en est ainsi des prix des produits de grande consommation alimentaire en 2007. En pratique, le consommateur est particulièrement sensible à la variation du prix de ses achats courants, ceux auxquels il procède régulièrement, voire quotidiennement : le pain, les cigarettes, l'essence ou le café. A court terme, il est plus réceptif à l'augmentation de ses charges ménagères quotidiennes incompressibles qu'à celles des biens d'équipement, par exemple. En somme, une partie des causes du hiatus actuel entre inflations perçue et mesurée ont un caractère normal. C'est à l'ampleur de ce hiatus que les producteurs de l'indice doivent faire attention, en ajustant avec une certaine régularité les pondérations des biens et services dans la composition de l'indice. Ainsi, les consommateurs pourront retrouver leurs repères. On peut raisonnablement penser qu'ils reprendront alors confiance en un instrument qui, même s'il n'est pas parfait, a démontré son utilité.