Le pouvoir d'appréciation confié par la loi à l'administration des impôts est une source importante de contentieux. Des voies de recours pour le contribuable sont prévues mais elles pèchent notamment par la longueur de la procédure qui en découle. Depuis que nous sommes passés au régime de la déclaration qui est à la base du système fiscal en vigueur, suite à l'adoption de la loi-cadre n°3-83 relative à la réforme fiscale en 1984, l'administration des impôts s'est vue confier par le législateur des pouvoirs importants en matière de contrôle fiscal. Ces pouvoirs représentent successivement : le droit de communication, la vérification de comptabilité, le pouvoir d'appréciation, l'examen contradictoire de la situation fiscale personnelle, le pouvoir de redressement, la responsabilisation du dirigeant commettant le délit de fraude fiscale. Dans ce cadre, le contentieux de vérification fiscale apparaît souvent comme le résultat de la mise en œuvre du pouvoir d'appréciation exercé par l'administration. Prévu à l'article L. 4 du livre des nouvelles procédures fiscales, ce pouvoir permet à l'administration d'exercer son contrôle de sincérité sur la comptabilité à l'occasion du contrôle fiscal et, partant, de vérifier sa force probante. Il s'ensuit que l'administration, forte de ce pouvoir, va juger non seulement la régularité de la comptabilité présentée mais encore et surtout sa sincérité, c'est-à-dire vérifier dans quelle mesure la comptabilité produite reflète toutes les opérations effectuées par l'entreprise. Il apparaît alors que la force probante de la comptabilité se mesure par rapport à son degré de sincérité. A contrario, et par référence au texte de l'article L.4 précité, une comptabilité est dénuée de toute force probante dans les cas : – de dissimulation d'achats et de ventes dont la preuve est établie ; – de non-comptabilisation d'opérations effectuées par l'entreprise ; – de comptabilisation d'opérations fictives. Au total l'administration, dans le but de vérifier la sincérité présumée de la comptabilité va user de méthodes de contrôle dites extra-comptables. Ces méthodes, non prévues par la loi fiscale, et qui dominent largement les méthodes d'approche utilisées jusqu'ici par les vérificateurs en matière de vérification extra-comptable, reposent accessoirement sur le recoupement et principalement sur le contrôle matière ou quantitatif. Par le levier du recoupement, l'administration procède au contrôle de sincérité de la comptabilité de l'entreprise sous contrôle en effectuant des recoupements auprès des tiers de l'entreprise (clients, fournisseurs, banques et autres). Il s'agira alors de confirmer ou d'infirmer les données primaires de la comptabilité et de sécuriser, le cas échéant, le projet de reconstitution du chiffre d'affaires. Parallèlement au recoupement, les vérificateurs procèdent dans la quasi-totalité des cas en effectuant un contrôle extra-comptable, notamment un contrôle de la production vendue qui prend en compte les flux quantitatifs des achats, des ventes et des stocks dans le but de prouver la non-sincérité des opérations comptabilisées. Au terme du processus, ils procèdent à la reconstitution du chiffre d'affaires et des résultats déclarés d'après les éléments dont ils disposent. Et il appartient au contribuable d'exercer évidemment ses voies de recours pour contester le redressement. Nous nous écartons alors de la logique juridique dans laquelle semble s'inscrire naturellement le contrôle fiscal et qui consiste dans le respect des obligations découlant de la loi pour lui substituer une logique financière ou à orientation budgétaire ! En définitive, le pouvoir d'appréciation exercé par le vérificateur dans les conditions ci-dessus décrites constitue une épée de Damoclès. Il lui permet d'écarter la comptabilité du contribuable sous contrôle et de tenter un redressement du chiffre d'affaires et des résultats déclarés même si les conditions légales de rejet de comptabilité font défaut… En ce sens, il constitue une source de contentieux abondant que les commissions d'arbitrage et le juge de l'impôt s'efforceront de régler. Il rend alors d'actualité la question de la réforme fiscale qui doit définir le rôle et la place du contrôle fiscal dans notre système fiscal actuel. Mais en attendant, essayons d'évoquer à présent les insuffisances constatées lors de l'utilisation des voies de recours du contribuable et notamment dans la procédure de rectification. Précisons ici que le contradictoire constitue l'une des garanties importantes apportées par la loi-cadre relative à la réforme fiscale adoptée en 1984. Toutefois, il faut déplorer le fait que la procédure a fini par révéler ses insuffisances quant au délai de règlement des litiges et aux garanties du contribuable. Les insuffisances quant au délai de règlement des litiges La procédure de contrôle et de rectification est excessivement longue. Son dénouement intervient à l'issue du contradictoire et des recours devant les commissions locales de taxation et les commissions nationales de recours fiscal, c'est-à-dire au terme d'une période qui peut s'étaler sur 5 ans. Ce délai peut s'allonger si la procédure poursuit son cours au stade judiciaire (tribunal administratif et cour d'appel administrative). Il porte atteinte aux droits du contribuable. Les insuffisances quant aux garanties du contribuable Il y a lieu de préciser ici que la procédure souffre de deux insuffisances majeures : – dans les conditions du texte actuel qui organise la procédure, la notification de la décision de la CLT n'est assortie d'aucun délai, ce qui allonge davantage la durée du litige ; – l'exclusion des questions de droit du domaine de compétence de la commission locale et de la commission nationale est inopportune dans la mesure où ces commissions sont présidées par un juge qui dispose du pouvoir souverain d'interprétation de la loi. En définitive, compte tenu des conditions actuelles d'utilisation des voies de recours, le contribuable n'a d'autre alternative que d'introduire un nouveau recours auprès du tribunal administratif et se résoudre à faire face à la taxation suite à la décision de la CNRF (Commission nationale de recours fiscal). Et le feuilleton judiciaire se poursuit… – Ce thème a été abordé par l'auteur lors d'un colloque organisé le 15 juin par le Centre marocain des études juridiques, en collaboration avec l'Institut marocain des juristes francophones. – Titre et chapeau sont de la Rédaction.