Pourquoi les noms de Berrada et Al Madini ne sont-ils pas cités afin d'éclairer les lecteurs sur la teneur de leurs propos et d'identifier ainsi les mis en cause, lesquels avaient, auparavant, accusé Ben Jelloun de lèse-langue arabe ? Prudence ou «marocattitude» bien de chez nous, faite d'allusions et de non dits ? Dans un droit de réponse de Tahar Ben Jelloun, auteur dernièrement de Partir (Editions Gallimard), l'écrivain fait un plaidoyer et de son identité et de son amour de la langue arabe. Le ton est ferme, le propos concis et le tout en langue arabe. Normal, c'est publié à la Une du quotidien Al Ittihad Al Ichtiraki (28 mars 2006) dont le ton de la nouvelle formule est, soit dit au passage, bien plus dynamique depuis quelque temps. Mais, le lecteur qui a raté quelques épisodes et notamment les «sorties» des écrivains Mohamed Berrada et Ahmed Al Madini, publiées par le même journal contre l'auteur de Partir, de même que l'autre lecteur qui a loupé notre modeste chronique (La Vie éco du 24 mars 2006) consacrée à cette polémique ne vont pas saisir la teneur du droit de réponse. En effet, à aucun moment les deux écrivains visés ne sont nommés par cette réaction courroucée de Ben Jelloun et libellée sous un titre qui en résume parfaitement le contenu : «Je n'accepte pas de leçons de qui que ce soit sur mon identité et mon amour pour l'arabe». Il s'agit, vous l'aurez deviné, de la langue arabe dont les deux romanciers arabophones ont pris la défense après les propos, jugés excessifs, de Ben Jelloun au cours d'une émission littéraire sur France 3. Bon, on ne va pas refaire le match, les curieux peuvent revenir aux archives, les autres peuvent zapper ou rester avec nous pour essayer de comprendre les termes biscornus de ce débat. Mais d'abord cette question purement journalistique sur l'identité des protagonistes de cette polémique maroco-marocaine via une télé française. Pourquoi les noms de Berrada et Al Madini ne sont-ils pas cités afin d'éclairer les lecteurs sur la teneur de leurs propos et d'identifier ainsi les mis en cause, lesquels avaient, auparavant, accusé Ben Jelloun de lèse-langue arabe ? Prudence ou «marocattitude» bien de chez nous, faite d'allusions et de non-dits puisés dans l'adage arabe : «Iyaki aâni ya jara» (c'est toi que je vise ô ma voisine.) Mais on peut aussi penser à d'autres cas de figure : un Tahar Ben Jelloun, plus magnanime, refusant d'insulter l'avenir ou alors, plus international, craignant de faire de la pub à deux auteurs locaux. Que voulez-vous ?, le non-dit c'est comme le vide, lorsqu'il s'installe d'aucuns vont s'y engouffrer et penser à tant de choses, d'autant que le débat ne vole pas très haut et c'est cela surtout qu'il faut dire et déplorer. C'est quoi, alors, le problème, dit l'autre ahuri qui n'a pas lu la presse ni vu «Culture et dépendance» sur France 3 ? C'est tranquille, y a pas de problème mon frère, c'est seulement que Tahar Ben Jelloun affirme dans son droit de réponse qu'il n'a jamais ni insulté, ni traité la langue d'Al Jahid d'incapacité sémantique ou d'impuissance à évoquer, entre autres, les choses du sexe. La preuve : il aurait même cité «Les Mille et Une Nuits». Seulement voilà , ses propos auraient été sucrés et déformés par un malencontreux montage d'une émission qui n'est pas diffusée en direct. Encore heureux qu'il ne fût pas passé dans «Tout le monde en parle !». Imaginez le décor: entre les vannes à base de cul signées Baffie, le témoignage «poignant», sous le regard faussement humide d'Ardisson, d'un prostitué transsexuel tamoul, le dernier single d'un rappeur tibétain New Age et les mémoires d'une GI's violée par des fanatiques hirsutes en plein cÅ"ur de Bagdad, je ne vous dis pas le bordel que ça aurait occasionné ! Par ailleurs, Ben Jelloun ajoute pour sa défense que nombre de ses compatriotes écrivains le jalousent et il y a parmi eux des auteurs contrariés qui passent leur temps à demander à être traduits en français tout en pourfendant cette langue et en donnant des leçons sur l'amour de l'identité et de l'expression arabes. Il est difficile de prendre part à cette petite polémique entre romanciers des deux langues sans donner la sienne au chat tant les choses sont allusives et masquées, même si le lecteur averti – qui en vaut deux et qui probablement s'en fout -devine un peu de qui il s'agit. Drôle de jeu de rôles que voilà . Tout cela nous ramène à ce théâtre d'ombres des luttes linguistiques fratricides des années 70 et 80. En ce temps-là , il n'était de littérature «marocaine», adoubée et médiatisée, que d'expression arabe et de préférence prêtant allégeance à une certaine tribu. Enfin, même dans la culture, il y a tant à dire sur le passé de ce pays que chacun porte en lui, selon le cas, comme un talisman, une perle éclairée et enfouie dans l'amour du pays ou telle une blessure ouverte et exhibée. Mais encore faut-il en parler en connaissance de cause, en débattre sans masques et en pleine possession de ses souvenirs. Alors lâchez-vous les mecs ! Mais dites-moi, à propos de souvenirs, Berrada et Ben Jelloun, n'ont-ils pas cosigné la première anthologie de la poésie marocaine, toutes langues confondues, éditée chez ce bon vieux Maspero sous ce titre révélateur : Mémoire future ? Il est vrai qu'en ce temps là , le présent avait de la gueule et la mémoire avait un avenir. Aujourd'hui, le présent fait la gueule aux esprits chagrins et la mémoire a son avenir dans le… dos, pour ne pas dire un gros mot !