Culpabilisés face à la vague de libéralisation de l'économie, les gouvernements successifs basculent d'une tutelle excessive à une absence de contrôle, n'osant défendre ni les intérêts ni leur vision d'actionnaire dans les entreprises étatiques. L'Etat exerce-t-il sa fonction d'actionnaire de façon satisfaisante? La question n'est pas anodine. Le secteur public dans sa diversité emploie près de 200 000 salariés. Il réalise un chiffre d'affaires total de 100 milliards de dirhams. L'économie s'est relativement transformée : l'ouverture des marchés à la concurrence, la professionnalisation de la fonction d'actionnaire ont modifié et technicisé les méthodes de gestion des entreprises. Dans le même temps, le secteur public n'a pas suffisamment évolué avec cet environnement. Plus encore, son «tuteur», l'Etat, ne se réforme pas au même rythme. Cette faiblesse a desservi la qualité du lien entre l'Etat et les entreprises publiques. L'enjeu financier de la question est aussi considérable puisque, d'une année à l'autre, on assiste à un accroissement régulier des subventions budgétaires aux Etablissements et Entreprises publics (EEP). Le projet de Loi de finances 2004 prévoit pour elles un transfert de 10,6 milliards de dirhams dont 6 milliards à titre de contribution au financement des programmes d'investissement. De surcroît, l'actualité récente a confirmé l'idée que le décalage de vision stratégique entre l'Etat actionnaire et ses entreprises devait cesser. L'endettement de nombre d'établissements et entreprises publics ou les dysfonctionnements observés dans les mécanismes de prise de décision lors d'opérations de développement ont été à l'origine de cette prise de conscience. Plus généralement, la dégradation de la situation financière des entreprises publiques était devenue préoccupante. Il était ainsi apparu nécessaire de donner pleinement à l'Etat les moyens d'assurer son métier d'actionnaire afin de valoriser son patrimoine – qui est celui de tous les Marocains – et de favoriser le développement des entreprises publiques. Si des progrès ont récemment été réalisés, ils ont atteint leurs limites dans l'organisation actuelle du fait de la confusion des rôles remplis par l'Etat à l'égard des entreprises. Cela se traduit par l'identification insuffisante de sa fonction d'actionnaire, le manque d'o-rientations claires données aux dirigeants, un mauvais fonctionnement des conseils d'administration. Un grand nombre de dysfonctionnements procèdent de la confusion des rôles : régulateur, stratège, actionnaire, client: l'Etat est tout cela à la fois. Il ne sait pas distinguer ses différentes missions, ce qui se manifeste par un contrôle à la fois tatillon et inefficace où les grands objectifs sont souvent oubliés. Un terme doit être mis à une situation qui prévaut depuis près de vingt ans, où, culpabilisés face à la vague de libéralisation de l'économie, les gouvernements successifs basculent d'une tutelle excessive à une absence de contrôle, n'osant défendre ni leurs intérêts ni leur vision d'actionnaire. L'Etat doit affirmer et assumer clairement son rôle d'actionnaire. La réforme du cadre législatif et réglementaire régissant l'Etat actionnaire est-elle suffisante ? On peut en douter. Ne peut-on s'inspirer d'expériences internationales et imaginer une transformation de la DEPP en une agence de participation de l'Etat qui serait chargé à l'avenir de la conduite des entreprises publiques? L'enjeu, en confiant cette mission exclusive à une entité dont les responsables disposeraient de la visibilité, de l'expérience, de la stabilité, de la hauteur de vue et des pouvoirs requis, serait de mettre en ligne les préoccupations de l'Etat et celles des entreprises dont il est actionnaire et d'obtenir en retour de ces dernières qu'elles considèrent ladite entité comme leur interlocuteur naturel et régulier. Ne faut-il pas examiner l'opportunité de créer une commission parlementaire de suivi de la situation financière des entreprises publiques ? Son périmètre d'intervention serait précisé rigoureusement : analyser et comprendre les dérives intervenues dans la gestion des entreprises publiques afin d'améliorer le système de prise de décision. L'adoption d'une charte régissant les rapports de l'Etat actionnaire et des entreprises ne peut-elle contribuer à la modernisation de la gouvernance des entreprises publiques? Simples idées pour alimenter un débat parlementaire sur la gestion du patrimoine de l'Etat.