Pistonner consiste à donner indûment des avantages à une personne. Cette pratique a fait des ravages dans beaucoup d'entreprises, publiques et privées. Elle est de moins en moins visible en raison des contraintes de compétitivité et de l'exigence d'une gestion plus rationnelle des ressources humaines. «Il y a encore de la discrimination à l'embauche. Si tu n'es pas pistonné, tu risques de galérer toute ta vie». Dépité, Kamal B., jeune lauréat fraà®chement diplômé d'une école de commerce, peine à trouver un emploi. «J'ai passé récemment un entretien en même temps qu'un ancien camarade auprès d'une banque de la place. Il a été retenu et pas moi. Tout cela parce qu'il avait une connaissance dans cette banque», poursuit-il. Le cas de Kamal B. n'est ni nouveau ni isolé. Le bouche à oreille et le relationnel, pour ne pas parler de piston, ont toujours existé dans le monde du travail. Au Maroc, on peut même dire que le phénomène était très profondément ancré. Il fut un temps oà1, dans certaines entreprises, les recrutements se faisaient d'abord sur la base du nom de famille, de la région d'origine du candidat ou des affinités. Il en était de même pour la promotion interne. Même le service public, jusque dans la haute administration, n'échappait pas à cette pratique malsaine et très courante dans les sociétés peu démocratiques. Aujourd'hui, on constate qu'elle prospère moins mais l'on ne misera pas sur sa disparition, étant entendu qu'il existe toujours une part de subjectivité dans les choix humains. Il faut dire à cet égard que donner un coup de pouce à un proche est tout à fait naturel. Nous avons tous, à un moment donné de notre vie, cherché et trouvé un appui auprès d'une relation pour dénicher un stage, débuter notre vie professionnelle, relancer notre carrière, débloquer un dossier qui coince dans une administration ou tout simplement avancer un rendez-vous dans un hôpital public. Si nous n'en sommes pas directement bénéficiaires, nous avons un jour fait une entorse à la règle pour rendre service ou renvoyer l'ascenseur. Mais, si l'on se limite au milieu professionnel et au recrutement, il y a piston et piston. Car, pour le commun des mortels, cooptation ou recommandation et piston sont souvent confondus. Le principe de la recommandation consiste en une mise en relation. Il s'agit de tendre la perche à un candidat pour l'aider à faire un premier pas vers le poste à pourvoir sans qu'il y ait volonté délibérée de le lui «donner». Pour ce faire, «la personne recommandée doit passer tous les entretiens et tests nécessaires avant d'être recrutée. A priori, elle n'a aucun avantage sur un autre postulant. Si elle présente toutes les aptitudes nécessaires, rien n'empêche de la retenir», explique Luce Rosalba, DRH de Mercure.com, filiale du groupe Ona. Pour sa part, Mohammed Benouarrek, DRH dans une multinationale, ajoute que «l'entreprise dispose tout de même d'une période d'essai permettant justement d'évaluer le candidat sur une période déterminée. Même en cas de recommandation, la recrue ne sera pas gardée si elle ne fait pas l'affaire». La cooptation est de plus en plus encouragée pour les recrutements Quant à la cooptation, elle semble séduire de plus en plus les entreprises. Elle est utilisée de manière plus organisée, notamment en raison de la rareté des profils pointus et rares. Dans certains domaines comme celui des high-tech oà1 fleurissent les sociétés de services informatiques et d'ingénierie (SSII), cette formule représente une bonne part des recrutements et donne de grandes satisfactions. Habib Sadki, DRH dans une multinationale, nous en donne la preuve. Il y a un an, il s'arrachait les cheveux pour avoir d'excellents technico-commerciaux. Il a eu beau multiplier les annonces, passer par des cabinets de recrutement et essayer lui-même l'approche directe, rien n'y a fait. Depuis, il a transformé les salariés de l'entreprise en chasseurs de têtes. Ces derniers ont commencé à vanter les atouts de la maison auprès de leurs proches ou amis. Personne n'y croyait au départ, mais ça a marché. Du coup, beaucoup de recrutements passent désormais par cette voie. Cette démarche est également très courante dans les call centers de la place qui doivent faire face à un fort turn-over lié à un déficit de compétences. Des «primes de cooptation» sont accordées à tout salarié recommandant un bon profil, évidemment si ce dernier est recruté. Dans les pays industrialisés, la pratique s'est bien enracinée. Xerox France en est un très bon exemple. Chez ce constructeur de photocopieurs et imprimantes, la cooptation est encouragée depuis plus de 15 ans, après que les responsables eurent constaté que le taux de réussite des recrutements était multiplié par deux lorsque le candidat avait été coopté. L'entreprise a donc mis en place un programme dédié à la cooptation. Cette pratique, tout comme la recommandation, moins formalisée, présente l'avantage de ne retenir que les bons profils. Aujourd'hui, les entreprises savent que pistonner un incapable est trop dangereux, d'autant qu'elles sont prises en étau entre les exigences de l'actionnariat et la concurrence toujours plus acharnée, ce qui les oblige à s'entourer des meilleurs pour réaliser de bons résultats. Autant que pour l'employeur, le piston est néfaste pour celui qui en profite, surtout s'il est incompétent. Quand on se fait pistonner, on reste l'obligé du «bienfaiteur» «Un piston est comme un cadeau empoisonné. Obtenir un emploi grâce à une recommandation vous met un fil à la patte dont vous ne réaliserez que bien plus tard le coût et les contraintes. Vous êtes moins libre dans vos propos ou dans vos actes du fait que vous êtes l'obligé de votre Â"bienfaiteurÂ". Et même si le poste ne vous convient plus, vous n'oserez plus vous dégager en raison de la faveur qui vous a été faite», fait remarquer M. Benouarrek. L'analyse de Bouchaà ̄b Serhani, DG de Gesper Services, cabinet spécialisé en ressources humaines, est à peu près identique. «A priori, un parachuté aura du mal à s'intégrer dans l'entreprise car il a été imposé à la hiérarchie intermédiaire. Il aura du mal à prouver sa légitimité même s'il est compétent», souligne-t-il. C'est ce qu'a enduré Aziz B., embauché dans une banque grâce à des relations familiales. «Ce coup de pouce m'a plus gêné que servi. Les relations avec les collègues étaient limitées par le fait que j'étais apparenté à un gros ponte de la banque. De même, mes relations avec mon supérieur hiérarchique étaient quelque peu biaisées. Je sentais bien qu'il me subissait mais n'osait pas me secouer, même quand il le fallait. Jusqu'à mon départ de cette banque, l'étiquette de pistonné m'a collé à la peau». Cet exemple est le quotidien de toute personne qui a bénéficié du même traitement. Outre les railleries, le pistonné n'échappe pas aux peaux de banane et autres petites méchancetés ; à raison, pourrait-on dire, s'il ne présente pas les compétences requises. A terme, le climat social se détériore et le malaise peut mener jusqu'à des conflits ouverts. Il n'est pas facile de voir un collègue avancer plus vite ou bénéficier d'avantages sur la seule base des relations dont il bénéficie dans l'entreprise. Mais une personne peut être accusée d'avoir indûment bénéficié d'un coup de pouce alors qu'elle n'a eu que «le tort» d'être compétente et d'avoir le profil pour un poste donné. Dans ce cas, les prétendants potentiels verront naturellement de l'injustice un peu partout. C'est la raison pour laquelle, l'idéal, pour toute entreprise, est de définir des critères connus et acceptés pour ce qui concerne le recrutement, la promotion interne, la rémunération… A défaut, un avancement jugé très rapide, une augmentation de salaire, l'octroi d'avantages en nature…, tout ce qui peut susciter une certaine forme de jalousie est marqué, à tort ou à raison, du sceau du népotisme.