La multinationale allemande estime que le gouvernement marocain a entravé son investissement dans une unité de recyclage des déchets ferreux, en fermant abusivement les frontières à ses exportations de ferraille E40 à partir de l'année 2013. En partenariat avec un industriel marocain basé à Skhirat, sa filiale SMM avait investi 14 millions d'euros en 2008. Parallèlement à la requête d'arbitrage déposée auprès du CIRDI, le partenaire marocain réclame la constitution d'une commission d'enquête parlementaire. Les différends commerciaux opposant le Maroc à des pays tiers se suivent, mais ne se ressemblent pas. Après le gouvernement turc qui bataille au sein de l'OMC pour abroger les mesures antidumping activées par le Maroc contre ses exportations d'acier plat, c'est au tour d'une société allemande – Scholz Holding Gmbh – de déposer une requête d'arbitrage au Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI)basé à Washington. S'estimant lésée par des mesures «abusives et discriminatoires» ayant ciblé, entre 2012 et 2013, sa filiale marocaine SMM spécialisée dans le recyclage des déchets ferreux et la fabrication de fer à béton, Sholz n'a pas hésité à jouer cette carte. Une démarche garantie par une convention bilatérale entre le Maroc et l'Allemagne relative à l'encouragement et la protection mutuels des investissements, paraphée en 2001. L'entreprise réclame 60 millions d'euros (environ 660 MDH), pour compenser les pertes qu'aurait subies sa filiale à cause d'un protectionnisme déguisé du gouvernement marocain en faveur de sidérurgistes nationaux. Cette affaire survient alors que les membres de la Fédération des industries métallurgiques, mécaniques et électromécaniques (FIMME) sont profondément divisés quant à la politique de défense commerciale menée dans le secteur de la sidérurgie. Si, à première vue, le litige oppose une entreprise étrangère au gouvernement marocain, il n'en est rien pour ceux qui interprètent les faits à l'aune des divergences d'intérêts opposant producteur et transformateurs d'acier. D'après plusieurs observateurs, ce différend s'inscrit toujours dans l'éternel duel dans lequel les grands groupes industriels, souvent bien protégés par une série de mesures protectionnistes, arrivent à mieux défendre leurs intérêts, face aux pouvoirs publics, que les PME situées en aval. Sauf que cette fois-ci, l'origine de l'industriel et la convention de protection d'investissement dont il bénéficie pourraient coûter cher à l'Etat. La SMM a tourné à plein régime entre 2009 et 2013 Jointe par La Vie éco, une source proche du dossier révèle plusieurs détails pour mieux saisir les dessous de l'affaire. A l'en croire, tout a commencé en 2008 quand un industriel marocain installé à Skhirat arrive à convaincre l'entreprise allemande de s'associer avec lui pour la création d'une filiale marocaine. «Il s'agissait d'un investissement direct étranger idéal. L'investisseur a été attiré par le projet en lui-même, et non pas les avantages fiscaux ou le foncier», indique d'entrée de jeu notre source. L'idée était d'investir dans un outil industriel pour la valorisation de la ferraille locale après sa récupération; une sorte de recyclage des déchets ferreux. L'investissement s'est élevé à 14 millions d'euros dont une grande part a été allouée à l'acquisition de broyeurs dernier cri. «Comme dans les autres pays faiblement industrialisés, la ferraille domestique au Maroc n'est pas de bonne qualité. Elle nécessite un processus de transformation pour devenir exploitable dans les aciéries», explique la même source. Jusque-là, les sidérurgistes marocains importaient, selon elle, la ferraille E40 que l'investisseur allemand et son partenaire marocain voulaient fabriquer au Maroc. A l'évidence, l'ambition était de fournir ces aciéries locales. Toutefois, les négociations n'ont pas abouti. «Les acteurs nationaux n'ont pas apprécié l'idée qu'un opérateur étranger vient bousculer leur politique d'approvisionnement», poursuit-elle. La filiale marocaine de Scholz va donc se tourner vers l'export pour écouler sa production. Au même moment, une autre activité située à l'amont du recyclage a été développée par son partenaire marocain, à savoir la production du fer à béton à l'étranger à partir de la ferraille produite localement. Entre 2009 et 2013, la SMM tournait à plein régime. Divergences sur la procédure Ce n'est qu'à la fin de l'année 2013 que les choses vont commencer à se compliquer. A en croire notre source, le département de l'industrie a refusé de délivrer la déclaration préalable à l'exportation, une sorte d'autorisation à l'export, instaurée en 2009 pour lutter contre les négociants informels de la ferraille. Toujours d'après notre source, ce refus n'est ni notifié par écrit, ni justifié de manière officielle par le ministère de l'industrie. En clair, aucun changement dans la législation ou dans les procédures n'est survenu pour qu'un tel refus soit fondé et légitime. «SMM a livré les armatures de l'usine de Renault à Tanger et l'usine de dessalement d'eau de mer du groupe OCP à Jorf Lasfar. L'affaire était bien partie pour se développer, avant que cette décision arbitraire n'y mette un terme», indique notre source. Résultat, l'entreprise n'arrive plus à exporter, d'où sa cessation d'activité. La mesure de sauvegarde sur le fer à béton –activée en 2013– n'a pas été sans impact sur le partenaire marocain de Scholz, bien qu'elle soit difficilement contestable, puisqu'elle est fondée sur les règlements de l'OMC et la législation nationale en matière de défense commerciale. «Pas moins d'une vingtaine de correspondances ont été envoyées au ministère de tutelle depuis 2013, en vain. Avant le dépôt de la requête d'arbitrage, la société allemande a envoyé une lettre à sept départements ministériels pour chercher un règlement à l'amiable, sans réponse», déplore notre source. D'après notre interlocuteur, le partenaire marocain est déjà entré en contact avec plusieurs partis politiques pour tenter l'ouverture d'une commission parlementaire d'enquête dans l'une des deux Chambres. Une source autorisée au ministère de l'industrie confirme que l'exportation de déchets ferreux a été soumise à une autorisation en 2013, instaurée par un arrêté, suite à une demande des producteurs nationaux d'acier. Le but étant effectivement de favoriser la filière nationale. Toutefois, explique-t-elle, «nous avons constaté que ceux-ci importaient la ferraille alors que des quantités disponibles au Maroc continuait d'être exportées». Et de préciser : «Nous nous sommes réunis avec la société à plusieurs reprises en 2018 en présence de l'Agence judiciaire du Royaume, sans aboutir à une entente». Affaire à suivre.