Une semaine avant la clôture de la session, les députés se sont engagés dans une course contre la montre. Un scénario a été préparé d'avance pour garantir l'adoption de la réforme de leur retraite en moins de dix jours. Pendant ce temps, une vingtaine de textes de lois, dont certains déposés il y a quatre ans, restent encore gelés au sein de la Chambre. Mardi 17 juillet devait être une journée mémorable pour les parlementaires. Leur régime de retraite aura été sauvé. La commission des finances a démarré, en effet, ses travaux en début de matinée avec une programmation assez riche. Pas moins de quatre textes de loi, des propositions déposées par les parlementaires, étaient au menu. Ils portaient tous sur la mission, combien primordiale pour les élus, de sauver leur régime de retraite. D'après des sources parlementaires, la séance a démarré avec une longue tirade du chef de groupe parlementaire du PJD aux termes de laquelle il annonçait le retrait de sa proposition de liquidation du régime des retraites des élus de la première Chambre. Lequel texte a été déposé, rappelons-le, le 17 janvier en pleine surenchère politique entre différents partis sur la question. Depuis, et selon les termes du chef du groupe parlementaire du PJD, «ce texte ne fait plus l'unanimité» des élus de son parti. De plus, ajoute le chef du groupe également maire de Fès, «nous nous sommes rendu compte plus tard que certains anciens députés vivent une situation sociale très difficile». Il faut dire que la formation islamiste, stigmatisée par la tendance désavouée de ses élus à cumuler les mandats électifs et donc des indemnités y afférentes, avait tenté de détourner l'attention en proposant la liquidation pure et simple du régime de pension des élus. Outre le texte déposé par le PJD, les autres partis de la majorité, en plus de l'Istiqlal, avaient proposé, eux, une réforme de ce régime. C'est le deuxième texte. Plusieurs mois et moult tractations plus tard, le PJD rejoint ses alliés et, avec la signature du groupement parlementaire du PPS, une version améliorée de ce texte a été déposée au bureau de la Chambre. C'était le 12 juin dernier. Dans la même foulée, le FGD a remis, lui aussi, une proposition de suppression de ce régime en seulement deux articles, le premier porte une abrogation de la loi 24.92 instaurant le régime de retraite des parlementaires et ses textes d'application, le second sur la publication au BO de leur proposition immédiatement après son adoption. On voit bien que les deux élus de la FGD, dont l'un est soupçonné d'une quête permanente du buzz, ne semblent pas s'embarrasser pour des détails comme les démarches, les procédures de liquidation de l'actuel régime ou encore les modalités d'application et les mesures transitoires et autres ingrédients nécessaires à de pareils textes. Une semaine chrono Bref, pour préserver leur droit à la retraite, les groupes parlementaires avaient tout organisé. En tout, la procédure législative ne devrait prendre que quelques jours. Le premier jour, soit le mardi 17 juillet, pour le vote en commission, seuls les porte-paroles des groupes sont autorisés à intervenir, les députés membres votent selon les directives de leurs partis. Le texte devait être présenté, examiné et adopté en une seule séance, sans donner lieu à des amendements et donc sans être tenu de respecter les délais prévus par le règlement intérieur de la Chambre. Le PAM, chef de file de l'opposition, étant censé s'abstenir au moment du vote. Le texte, adopté par la commission, devrait être de même en séance plénière lundi prochain, et sera ensuite transmis à la Chambre des conseillers où il sera adopté le lendemain par la commission et, le même jour, en séance plénière pour ensuite être soumis au SGG pour publication au BO. Entre-temps, les groupes parlementaires ont convenu tacitement de ne pas intenter un recours près la Cour constitutionnelle. C'est que, d'après de nombreux politologue et juristes, dont certains assument un mandat de député, le texte est attaquable à tout point de vue devant la justice constitutionnelle. Il enfreint, en effet, plusieurs principes constitutionnels dont la non-rétroactivité de la loi et la préservation des droits acquis, entre autres (www.lavieeco.com). Sauf que cette entente tacite entre les chefs de groupes parlementaires et la présidence de la Chambre risque d'être mise à l'épreuve. D'abord, les deux parlementaires de la FGD refusent de retirer leur proposition. Selon Mustapha Chennaoui, député de la fédération, «la retraite des parlementaires est une rente politique. Un point, c'est tout». Ce qui ouvre la voie aux amendements et donc du respect des délais légaux. L'adoption du texte de la majorité (et l'Istiqlal) en sera légèrement retardée. Ce que se sont appliqués à éviter ses auteurs. Il ne faut pas oublier, explique un parlementaire, que les deux Chambres ont convenu de clore l'actuelle session de printemps le 24 juillet, soit deux semaines avant la date prévue par la Constitution. Et si d'ici là la proposition de réforme du régime des parlementaires n'a pas été adoptée, il faudra attendre très longtemps pour ce faire. En effet, la commission des finances en charge d'examiner ce texte entamera dès la prochaine rentrée parlementaire le marathon annuel du débat du projet de Loi de finances. Le PAM, imprévisible Ce n'est pas tout, l'article 175 du règlement intérieur de la première Chambre précise que lorsque deux propositions de loi portant sur le même thème sont déposées dans chacune des deux Chambres, la priorité sera donnée à celle qui a été déposée la première. Or, cela fait près d'une année que le PAM a déposé une proposition de réforme de la retraite des parlementaires à la deuxième Chambre. Elle est donc prioritaire. Sauf que le PAM n'a pas voulu insister sur ce «détail». Bien plus, le PJD est même allé jusqu'à proposer à son ennemi juré, le PAM, de former une commission conjointe avec les autres partis, sauf la FGD, pour se mettre d'accord sur une proposition commune qui aura l'unanimité. La réponse du PAM ne s'est pas faite attendre, le parti a laissé entendre, par la voix de son député Abdelouahed Massaoudi, qu'il va saisir la Cour constitutionnelle. Malgré les heures de tractations avec le PAM pour s'assurer, sinon de son vote, du moins de son abstention et surtout de son engagement à ne pas saisir la Cour constitutionnelle, aucun accord n'a finalement été conclu en ce sens. Il n'y a donc pas eu de vote et la présidence de la commission, assurée par Abdellah Bouanou, également maire de Meknès, et les groupes parlementaires se sont accordés pour remettre la question à jeudi et se donner une journée entière de réflexion. Auquel cas, ce sont dix heures de travail sans relâche fourni par les 95% des membres de la commission, un record soit dit en passant, qui ont assisté à ces débats depuis le début jusqu'à la fin, qui risquent de tomber à l'eau. Pour le reste, les députés membres de la commission auront tout fait pendant cette course contre la montre pour valider la réforme de leur régime de retraite avant de partir en vacances. En attendant la suite des événements, au bureau de la Chambre, on se montre à la limite offusqué qu'un aussi grand intérêt soit accordé par les médias et les réseaux sociaux à un sujet qui n'en mérite pas autant. La direction de la Chambre semble oublier que ce sont justement les députés qui lui donnent une telle importance, en voulant passer au forceps cette réforme au risque de bafouer au passage certains principes constitutionnels et règles de droit. Sinon pourquoi les mêmes députés ne se sont pas donné autant de peine pour imposer, avec autant d'acharnement, le débat et l'adoption d'une autre proposition par l'USFP, le 13 novembre 2017, qui porte interdiction du cumul des indemnités relatives aux mandats électifs. Et ce afin de mettre fin à une situation nuisible aussi bien à la gestion des affaires locales qu'à l'action du Parlement à proprement parler. Les maires des principales grandes villes également députés, entre autres charges, sont, en effet, tenus de consacrer au moins deux journées par semaine au Parlement alors que leurs communes croulent sous les problèmes de gestion. 87 propositions en attente La proposition de l'USFP est devant la même commission des finances qui s'empresse d'adopter le régime de retraite des députés depuis le 4 décembre dernier. En restant dans la même logique, pourquoi les députés ne se sont pas empressés d'adopter le projet de loi relative à la grève, remis à la première Chambre en octobre 2016 ? On pourrait en dire autant pour les deux projets de lois organiques relatifs à la création du Conseil national des langues et de la culture marocaine et à la mise en œuvre de l'officialisation de l'amazighe. Les deux textes ont été déposés au bureau de la Chambre le 30 septembre 2016 et au 31 janvier dernier la commission de l'enseignement, de la culture et de la communication avait finalisé l'examen des deux textes. Ses membres ont décidé par la suite de créer une sous-commission pour plancher de nouveau sur les deux projets de loi ; depuis, leur adoption a été reportée plusieurs fois et ils n'ont toujours pas été programmés pour vote. C'est le cas également du projet de réforme du code pénal, le projet de loi 10.16, qui a été déposé à la Chambre des représentants en juin 2016. Il a été gelé pendant longtemps et ce n'est que dernièrement que la présidence de la commission de la justice a décidé de le programmer pour examen et adoption. Il s'agit au total d'une vingtaine de textes qui sont toujours bloqués à la première Chambre, dont certains depuis des années au moment où les députés insistent pour sauver leur retraite avant la fin de la session. Pas moins de 87 autres propositions de loi attendent également que les députés daignent s'y intéresser. Par ailleurs, notons qu'à l'issue de la dernière réunion du bureau de la première Chambre, ce dernier a soumis à la commission des finances et du développement un projet de loi relatif à l'organisation de la profession de commissaire de douane et s'est informé de la proposition remise à la Chambre des conseillers relative à l'état civil. Le bureau a également fixé une séance plénière avant la clôture de cette session qui sera consacrée à l'examen et au vote des projets de lois relatifs à la famille de la Résistance, la Poste et aux télécommunications que les députés ont mis quatre années pour l'adopter, les transports et l'assistance médicale à la procréation, déposé à la première Chambre en mai 2016, et cinq accords portant, notamment, sur les services aériens, la non-double imposition et le travail forcé, ainsi qu'un projet de loi organique concernant la nomination aux postes de responsabilité. Depuis l'ouverture de l'actuelle législature, les députés ont adopté 104 textes de loi dont six propositions. La plupart des projets de loi adoptés portent sur des conventions et traités internationaux. Avec le vote des derniers textes programmés, la session parlementaire et la deuxième année législative prendront fin. La troisième année qui démarre le 12 octobre promet d'être un peu plus animée et surtout plus riche. [tabs][tab title ="En quoi consiste exactement ladite réforme ?"]Tout a commencé en octobre de l'année dernière. La CNRA, filiale de la CDG, qui gère, entre autres régimes de retraire, ceux des deux Chambres du Parlement, a déclaré la faillite de celui de la première Chambre. Un millier d'anciens députés, dont 270 nouveaux qui n'ont jamais rien touché, ont cessé de recevoir leur pension. Le régime tel qu'il a été conçu n'est plus viable. Le chef du gouvernement a été approché en premier pour étudier un éventuel sauvetage du régime. Le gouvernement a été appelé à contribuer pour 80 millions de DH, mais il a refusé. Pour El Othmani, le régime de retraite des parlementaires est une affaire qui ne concerne qu'eux-mêmes. C'est donc ainsi que les groupes parlementaires, au gré des intérêts de leurs partis, ont commencé à présenter des propositions de lois, certains pour sauvegarder ce droit et d'autres pour le supprimer carrément. La dernière mouture, celle que les députés discutaient ce mardi 17 juillet, portait sur une réforme pénible pour beaucoup, mais qui reste la seule à même de sauver ce régime. D'après la réforme présentée par les députés, la pension de retraite sera désormais servie à l'âge de 65 ans. Elle était servie auparavant dès que le parlementaire a fini son mandat, c'est d'ailleurs toujours le cas pour les conseillers. De même, la base de calcul de la pension a été ramenée à 700 DH par année de mandat contre 1 000 DH dans le passé. La pension versée au député a donc été ramenée à 3 500 DH par mois par mandat entier contre 5 000 DH dans l'ancien régime. Les cotisations des députés restent, elles, au même niveau, soit 2 900 DH. L'Etat contribue, à travers le budget de la Chambre, pour le même montant. Cependant, les députés ont veillé à insérer une clause dans le nouveau texte selon lequel l'Etat mettra la main à la poche dès que les réserves du régime seront arrivées à un niveau plancher. Bien sûr, dans la nouvelle mouture, comme dans l'ancienne, la pension de retraire des parlementaires est exonérée d'impôt, non soumise à déclaration fiscale, non saisissable par la justice et peut être cumulable avec tout autre type de pension de retraite publique et privée.[/tab][/tabs]