Le spectateur lambda constate que pratiquement tous les dossiers sont renvoyés à une date ultérieure, plus ou moins proche ; et il s'en offusque, ne comprend pas, incrimine les juges, les avocats, la justice, sans connaître les raisons des renvois prononcés. Il faut savoir en effet que la notion de temps est différente selon que l'on soit magistrat ou plaideur. La vie n'est pas toujours un long fleuve tranquille, et c'est pourquoi on a créé des tribunaux. De tout temps, les litiges entre personnes ont existé, et il avait bien fallu que l'on trouve un moyen de résoudre les conflits. Jadis, les choses étaient plus simples : on réglait les différends dans un duel, à coups de revolver ou autres moyens violents. Mais, depuis, les mœurs ont évolué, et, désormais, les antagonistes se retrouvent devant une Cour de justice. Cependant, un petit problème subsiste, qui n'a jamais trouvé de solution définitive. Le temps. Quand on a un souci, on est en général pressé de s'en débarrasser. On recourt donc à un tribunal et on espère que le cas sera tranché rapidement...Et c'est là que le bât blesse, cette notion est quasiment inconnue dans les prétoires. Car dans les tribunaux, quiconque observe le déroulement d'une audience ne peut qu'être désarçonné par ce qu'il voit. D'abord, il constatera rapidement que si les débats sont bien publics, les paroles des magistrats, elles, sont quasiment inaudibles. Le juge, après avoir appelé les parties, soit nommément, soit par le numéro attribué au dossier, et en l'absence des parties, ne s'adresse plus qu'aux assesseurs qui siègent à ses côtés. Il étudie rapidement le dossier, prend une décision, qu'il ordonne au greffier de mentionner sur le procès-verbal d'audience...puis passe au dossier suivant. Souvent, les braves gens qui viennent en personne vérifier le travail de leurs avocats, n'en reviennent pas : le dialogue entre la défense et la Cour est en effet des plus succincts. Il est vrai que cela se passe entre professionnels, et que les demandes sont formulées d'une manière rapide et précise. Alors, le spectateur lambda constate que pratiquement tous les dossiers sont renvoyés à une date ultérieure, plus ou moins proche ; et il s'en offusque, ne comprend pas, incrimine les juges, les avocats, la justice, sans connaître les raisons des renvois prononcés. Il faut savoir en effet que la notion de temps est différente selon que l'on soit magistrat ou plaideur. Le premier n'est jamais pressé ; sauf dans les cas où la loi prévoit expressément qu'il faut aller vite. C'est le cas pour certains dossiers en référé, où le magistrat doit rapidement prendre une décision, dans des cas d'urgence : par exemple, s'il s'agit d'ordonner l'expulsion de locataires habitant un immeuble vétuste menaçant de s'écrouler, le juge ne tergiversera pas longtemps : il prononcera l'expulsion demandée, l'assortissant même éventuellement de mesures d'exécution d'urgence dans le souci louable de préserver des vies humaines. Le second, lui, (soit donc le plaideur), est en général très pressé. Il a un souci, il entend le régler, et donc il s'adresse à la justice dans ce but. Arrive la première audience, et, en quelques secondes, voilà le dossier renvoyé à une audience qui aura lieu dans deux mois, cela dans une hypothèse optimiste, si le tribunal n'est pas saturé de dossiers. Sinon, le renvoi peut aller jusqu'à trois ou quatre mois. Ce qui embarrasse bien le plaideur, qui voulait régler son problème rapidement... Lors de la seconde audience, notre ami plaideur croit que ça y est, maintenant on va se pencher sur son dossier un peu plus longtemps... Eh bien non, car il constate qu'un avocat, qui se présente au nom de son adversaire, demande un deuxième renvoi afin d'étudier les documents annexés au dossier. Et c'est reparti pour un second renvoi, également plus ou moins long. Là, le plaideur s'interroge : Que se passe-t-il, que fait mon avocat, à quoi jouent ces juges, serait-ce un complot contre moi ? Rien de tout cela en fait, car une procédure obéit à des règles...de procédure, justement ! Il faut mettre le dossier en état d'être jugé, donner la parole aux parties opposées pour entendre leur version, accepter (ou refuser) que des documents soient joints au dossier, décider éventuellement de mesures annexes, comme une expertise et, du coup, retarder la prise de décision en attendant l'expertise ordonnée. Autant de mesures que ne comprend pas le citoyen ordinaire qui, de guerre lasse, et après avoir assisté à deux ou trois audiences, décide de ne plus remettre les pieds au tribunal, se contentant d'attendre le jugement, tout en pestant contre ces lenteurs que rien ne justifie. Du moins à ses yeux, car tous les justiciables pensent, en général, que TOUT le tribunal, l'appareil judiciaire, les fonctionnaires, vont se pencher sur son dossier pour trouver une solution rapide. L'adage populaire ne dit-il pas : «Poursuis moi en justice, tu me rassureras». Sous entendu : devant un tribunal, on a toujours plus de temps pour se défendre !