Durant un procès, fut appelée à la barre une vieille dame, dont le témoignage était important. Passées les formalités d'usage, le président entreprit de l'interroger sur ce qu'elle savait de l'affaire objet du procès. Elle s'exécuta, parlant lentement, ponctuant ses déclarations par l'expression, «mon fils», couramment utilisée en dialecte marocain, lorsqu'on s'adresse à plus jeune que soi. Au Maroc, il n'existe pas de Cour d'assises, mais ce qu'on appelle la Chambre criminelle près la Cour d'appel. Appellation qui a le mérite de la clarté, puisqu'elle décrit exactement son rôle, a savoir juger des criminels, voleurs, meurtriers ou autres violeurs. Curieusement, les audiences drainent souvent une foule nombreuse, avide de voir de près ces délinquants chevronnés, et curieuse de voir le sort que leur réserve la justice. Récemment, se tenait donc l'un de ces procès, où le principal accusé devait répondre de divers méfaits, comme des agressions à l'arme blanche, tentatives de viols…et autres joyeusetés. Les audiences se sont donc succédé, et l'on a vu défiler à la barre les protagonistes du dossier : inculpé, victimes, avocats des deux camps, le tout sous la direction extrêmement précise du président de la Chambre criminelle, un magistrat professionnel, spécialiste du droit pénal, et fin connaisseur des subtilités de la procédure pénale. Celle-ci est composée de l'ensemble des articles de loi, qui régit le déroulement des audiences… car, devant une Chambre criminelle, l'improvisation n'existe pas ; les prises de parole sont réglementées, et les débats strictement encadrés par le président. Celui-ci intervient fréquemment, pour recadrer les intervenants, n'hésitant pas à couper la parole à l'un ou l'autre, indiquant, par exemple, que tels ou tels propos ne sont pas admissibles en salle d'audience (par exemple des allégations sans preuves), ou précisant que telle intervention n'entre pas dans le cadre du dossier soumis à l'audience. Durant l'un de ces procès, fut appelée à la barre une vieille dame, dont le témoignage était important. Passées les formalités d'usage (identification de la dame, prestation de serment), le président entreprit de l'interroger sur ce qu'elle savait de l'affaire objet du procès. Elle s'exécuta, parlant lentement comme si elle cherchait dans ses souvenirs, et répondait au président, ponctuant ses déclarations par l'expression, «mon fils», couramment utilisée en dialecte marocain, lorsqu'on s'adresse à plus jeune que soi et qui englobe, pêle-mêle une manifestation d'affection, de cordialité voire d'amour… Mais au bout de quelques instants, on constata que le procureur présent manifestait des signes d'agacement de plus en plus manifestes, lançant des regards furieux vers la vieille dame. Jusqu'au moment où, ne se retenant plus, il l'apostropha avec véhémence. «Madame, je vous en prie, nous ne sommes pas dans un souk, un marché ou une épicerie. Ici, nous sommes dans un tribunal, c'est écrit en grosses lettres sur le fronton du bâtiment. Et il y a des règles précises que vous devez respecter, comme tout le monde. On s'adresse aux avocats en disant «Maître»; au représentant du parquet, en disant «M. le procureur» ; et enfin, lorsqu'on s'adresse au président de l'audience, on dit «M. le président». D'accord ?» La vieille dame le regarda interloquée, et comme désarçonnée par la sécheresse du ton employé, se tut un long moment, sans que le président n'ose la sortir de ses pensées. Puis, se tournant vers le représentant du ministère public qui l'avait interpellée, lui répondit : «D'accord mon fils. Car ici, vous êtes tous mes fils, même toi qui me gronde, comme si j'étais encore un enfant». Le tout articulé d'une manière claire et audible par toute la salle, qui partit dans un grand éclat de rires. Auquel se joignirent rapidement le président, ses assesseurs, et même le procureur. Lequel, fidèle à son rôle, voulut avoir le dernier mot, et déclara: «M. le président, pour cette fois, le parquet semble avoir trouvé plus fort que lui. Malgré l'outrage caractérisé, et vu l'âge du témoin, nous ne relèverons pas ces remarques, nous ne les mentionnerons pas dans le PV d'audience, et nous n'engagerons aucune poursuite pénale pour ces propos tenus en audience publique. Vu son âge, cette dame pourrait effectivement être ma mère, et nous savons tous les défaillances qui peuvent atteindre certaines personnes âgées». D'un bref signe de la tête, le président remercia le procureur pour sa retenue, et leva l'audience afin que tout le monde puisse reprendre ses esprits.