Sur un marché de 45 milliards de DH, l'industrie marocaine ne capte plus que 9 milliards contre 35% en 2010. Les effets du rétablissement provisoire des droits de douane sur les produits turcs attendus dans un mois. Les industriels disposent d'un délai d'un an pour trouver les moyens de faire face à la déferlante turque. Le secteur du textile a fini l'année 2017 avec une bonne performance à l'export. Le chiffre d'affaires a franchi pour la première fois la barre des 36 milliards de DH, ce qui correspond à une hausse d'environ 9% par rapport à 2016. Plusieurs facteurs expliquent cette progression, dont la proximité du Maroc des grands marchés européens, la réactivité de ses opérateurs, la compétitivité de ses produits et le ralentissement enregistré chez certains pays concurrents. Par contre, les industriels ont du mal à convaincre sur le marché local, estimé aujourd'hui à plus de 45 milliards de DH. Les importations massives, qualifiées de déloyales, les pénalisent depuis quelques années déjà mais la situation s'est aggravée dernièrement. «En 2010, sur un marché local évalué à 42 milliards de DH, les produits marocains parvenaient à capter 15 milliards. En 2016, cette part est passée à 9 milliards. Résultat : la perte de 100 000 emplois dans le secteur», explique Mohamed Tazi, directeur général de l'Association marocaine de l'industrie textile et de l'habillement (AMITH). Les importations en provenance de Turquie sont incriminées dans cette agonie du tissu productif national. Elles ont enregistré entre 2013 et 2017 une progression de 175% en valeur. Du coup, le ministère de l'industrie, de l'investissement, du commerce et de l'économie numérique a activé, sur demande des industriels du secteur, une clause figurant dans l'article 17 de l'accord de libre-échange (ALE) signé par le Maroc et la Turquie. Une concurrence plus loyale… Cette démarche «inédite» consiste à rétablir à hauteur de 90% les droits de douane historiques sur les produits finis, notamment le prêt-à-porter, les tissus d'ameublement, le linge de maison et les tapis fabriqués en Turquie. En d'autres termes, les droits de douane que doivent désormais payer les importateurs de textile turcs sont situés entre 2,5 et 25% de la valeur de la marchandise en fonction du type de produit. Le prêt-à-porter est assujetti au taux de 25% alors que les tissus d'ameublement sont concernés par un droit de douane de 10%. Cette mesure qui a pris effet le 8 janvier dure 12 mois. «Elle nous permettra de devenir plus compétitifs, de tester de nouvelles méthodes et d'alerter toutes les parties prenantes sur l'importance du marché local. L'objectif pour l'industrie textile marocaine est de récupérer entre 3 et 5% par an de la valeur du marché local», déclare M. Tazi. Les importations, qu'elles proviennent des marques low cost (LC Waikiki, De Facto et Koton), de grossistes ou de contrebandiers sont directement pointées du doigt. Elles ont causé un déferlement de prêt-à-porter turc écoulé dans les magasins en centre-ville, dans les quartiers populaires et les souks. Même le célèbre souk de Derb Ghalef à Casablanca, qui proposait jadis du prêt-à-porter pour hommes fabriqué en Italie, s'est converti à la mode turque. Mais grâce à ces mesures tarifaires, certains industriels marocains reprennent déjà confiance. «Cela nous permettra de renforcer notre présence à l'échelle du pays. Auparavant, on n'avait pas les mêmes moyens de lutte que les Turcs. Aujourd'hui, la concurrence est plus loyale», se réjouit Abdellatif Kabbaj, DG de Soft Group qui détient les magasins de prêt-à-porter Diamantine. En effet, les marques turques bénéficient du programme étatique Turk Quality pour l'aide à l'internationalisation. «Le gouvernement prend en charge 70% des loyers des magasins, tous les coûts de communication et d'entreposage... », déclare un industriel. Du coup, la concurrence est biaisée. Le rétablissement des droits de douane aidera à rééquilibrer les forces. Les premiers résultats de ces mesures tarifaires apparaîtront dans un mois. Les professionnels espèrent que les Marocains se détourneront du prêt-à-porter turc à cause du renchérissement de leur prix au profit des articles made in Morocco. Mais l'AMITH s'attend à un détournement des importateurs vers la contrebande et l'informel. Une importatrice de prêt-à-porter turc pour femmes, qui détient un magasin à Casablanca, a même décidé d'arrêter ses importations jusqu'à la suppression des droits de douane dans un an. L'industrie textile marocaine dispose donc d'un délai d'un an pour trouver les moyens de gagner en compétitivité. Espérons que ce délai sera suffisant…